La tourmente qui a emporté l’Europe dans la Première Guerre mondiale est allée chercher ses combattants bien au-delà des zones de combats. Ainsi, des milliers d’Amérindiens se sont engagés dans les armées américaine ou canadienne. Pour cela, ils ont revêtu les uniformes des « Visages pâles ». Au combat, ils ont souvent fait plus que leur part et nombreux sont ceux qui ne sont jamais revenus. Nous allons vous raconter l’histoire de quelques-uns d’entre eux…
Qu’est-ce qui a bien pu pousser ce jeune homme d’à peine 20 ans à venir s’enrôler pour combattre dans une guerre qui ne risquait pas de l’atteindre, lui, Joseph Standing Buffalo, jeune Sioux établi dans les vastes prairies du centre du Canada ? Il est pourtant issu d’une lignée prestigieuse entre toutes, celle de son grand-père, le grand chef sioux Sitting Bull. Celui-là même dont les troupes ont vaincu et tué le général George Custer lors de la bataille de Little Big Horn, le 25 juin 1876.
Fuyant la cavalerie américaine, Sitting Bull et ses guerriers sioux se réfugient au Canada au Fort Qu’Appelle où ils prendront racine. C’est dans cette localité que son petit-fils, Joseph Standing Buffalo, naît le 3 juin 1897 ; il rejoint le Corps expéditionnaire canadien à Regina dans la Saskatchewan, le 11 juin 1917. Son destin est en marche
Comme tous les engagés de l’armée canadienne, Standing Bull est examiné sous toutes les coutures. L’officier qui le reçoit note qu’il a le teint foncé, les yeux bruns, les cheveux noirs et qu’il pèse 67 kilos pour 1,67 mètre (5 pieds et 6 pouces). Sa feuille d’enrôlement nous dit qu’il est fermier, fils du chef de la réserve de Fort Qu’Appelle, Julius Standing Buffalo, célibataire, catholique et qu’il donne son accord pour toute vaccination ou inoculation…
Certificat médical de Standing Buffalo
Son bras gauche porte les marques de trois vaccinations qu’il déclare avoir reçues en 1913. Il affirme comprendre la portée de son engagement et être volontaire pour servir outre-mer dans les forces canadiennes. Joseph Standing Buffalo est déclaré bon pour le service, il est enrôlé dans le 95e Saskatchewan Rifles sous le matricule 2413310.
Sa vie de soldat se résume ensuite à un interminable périple depuis les plaines du centre du Canada en direction de l’Est : il traverse l’Atlantique et enfin, accoste à Liverpool le 6 février 1918. À peine débarqué, il est hospitalisé pendant 12 jours pour un abcès au pharynx qui requiert une intervention sous anesthésie générale, puis une convalescence de 17 jours.
Ce n’est que le 23 août 1918 qu’il arrive au front avant d’être transféré au 78e bataillon le 4 septembre. Il n’y restera pas bien longtemps. Selon les spécialistes de l’Araca, c’est fort probablement au cours de la bataille du canal du Nord lors de l’ultime offensive appelée les « Cent jours du Canada » qu’il est grièvement blessé.
Joseph Standing Buffalo meurt quelques heures plus tard, dans la nuit, le 29 septembre 1918. Il repose au cimetière de la route de Bucquoy, à Ficheux, tout près de là où il est tombé, si loin des grandes prairies de son enfance. Il a reçu la British War Medal et la World War One Victory Medal.
Quelque 425 000 Canadiens ont combattu sur le Front occidental aux côtés des Alliés du début de 1915 jusqu’à l’armistice du 11 novembre 1918. Ils ont participé à toutes les batailles décisives dans les départements français du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme ainsi qu’en Belgique, notamment à Ypres.
Thomas Longboat a presque 30 ans quand il décide de s’engager. Ce n’est sûrement pas pour se trouver une occupation, ce membre de la tribu Onondaga des Six-Nations est déjà un athlète professionnel reconnu. Champion du monde de course de fond, il a remporté le marathon de Boston en 1907. Sa célébrité atteint un sommet quand il gagne la même année un second marathon, professionnel celui-là, au Madison Square Garden de New York. Mais, aux Jeux olympiques de Londres en 1908, il s’effondre alimentant ainsi des soupçons de dopage…
Il ne cesse ensuite d’accumuler les victoires autant que les dollars. Et, quand il se retrouve sur le front, en France, c’est tout naturellement qu’il sert d’estafette dans son 107e bataillon. Entre deux missions, il participe à des compétitions avec les militaires qu’il gagne plus souvent qu’à son tour. Sa vélocité finit par alimenter une légende telle qu’il devient difficile de démêler le vrai du faux à son sujet.
Le plus extraordinaire témoignage sur Tom Longboat provient du journal d’un soldat allemand rédigé en 1916.
« J'ai vu courir un homme très vite. J’ai tiré, je l’ai vu tomber, rouler, s’immobiliser puis se relever et courir aussi vite. Je l’ai perdu de vue et, il s’est retrouvé derrière moi. Il était Canadien et très foncé, sûrement un de ces sauvages indiens ; je n’avais plus le choix, je me rendis sans condition ».
Thomas Longboat venait ainsi d’arrêter huit soldats allemands. Blessé, puis hospitalisé, les médecins dénombreront 24 blessures par balle sur le corps du coureur. Il ne sera rapatrié au Canada qu’en 1919 où il est mort en 1949, à l’âge de 62 ans.
Henry Norwest est un Cri né autour de 1880 dans la province de l’Alberta, au fort Saskatchewan, près d’Edmonton. Il est marié, père de famille et exerce les métiers de sellier et de cowboy quand il s’engage le 2 janvier 1915 à Wetaskiwin. Sous le nom de Henry Louie, il sert dans le 3e Canadian Mounted Rifles. Cet adepte du rodéo, pour avoir trop « levé le coude », est renvoyé à la vie civile, mais il rempile sous le nom de Norwest en septembre. Muni d’un dossier vierge, il rejoint le Corps expéditionnaire canadien à Calgary.
Le soldat Norwest embarque pour l’Angleterre en novembre 1915 et rejoint la France en août 1916, en pleine bataille de la Somme. Sa patience, son coup d’œil inégalé et sa science du camouflage en font un tireur d’élite hors pair. On lui attribue officiellement 115 coups « au but », autrement dit mortels, un chiffre encore jamais atteint dans les annales de l’armée britannique.
Selon des témoignages de prisonniers, sa renommée avait franchi les lignes ennemies et les soldats allemands disaient le craindre, à juste titre. Il arrivait en effet à Norwest de se glisser jusqu’aux positions ennemies, entre chien et loup, pour faire feu sur l’ennemi. Ses exploits lui valent la Médaille militaire en 1917 pour son rôle durant l’emblématique bataille de Vimy. Il a alors fait preuve, selon sa citation, d’une « grande bravoure, d'habileté et d'initiative dans sa tâche de tireur d'élite après la prise du "Bourgeon" à Vimy. Il réussit ainsi à sauver la vie de nombre de nos hommes ».
Son poste de tireur d’élite sera encore décisif en août 1918, lors de la bataille d’Amiens. Mais, le 18 du même mois, Henry Norwest est atteint mortellement par un tireur d’élite allemand, en pleine tête. Il repose au cimetière de Warvilliers, près d’Amiens. Au Canada, le musée du King’s Own Calgary Regiment conserve un de ses fusils dans ses vitrines.
Cette Iroquoise née en 1890 dans la réserve des Six-Nations de la rivière Grand, au sud de l’Ontario, sait ce qu’elle veut très tôt. Elle part aux Etats-Unis faire des études d’infirmière, une formation à laquelle elle ne peut avoir accès au Canada parce qu’elle est Indienne.
Diplômée en 1914 de la New Rochelle School of Nursing, Edith Anderson rejoint le corps infirmier de la Force expéditionnaire américaine. Avec 19 autres infirmières, dont 14 Canadiennes, elle est affectée en 1917 à Vittel, dans l’est de la France, à l’hôpital numéro 23 de la base américaine Buffalo.
Interrogée des décennies après sur cette période, elle racontait :
« Je me suis rendue à pied sur le lieu des combats. C’était horrible à voir, les maisons en ruines, les arbres brûlés, des obus vides gisant partout, des villes entières avaient sauté »
« L’aventure d’une vie », comme elle qualifiait son expérience d’infirmière de guerre, elle l’a passée à soigner des soldats blessés par balle ou gazés.
De retour au Canada en 1918, Edith Anderson se marie en 1919 ; elle aura quatre enfants. Elle a continué à pratiquer son métier d’infirmière à l’hôpital de la réserve des Six-Nations. Elle est morte en 1995, elle avait 105 ans.
On peut parler d’un enrôlement massif puisqu’un Amérindien sur trois a rejoint les rangs de l’armée canadienne durant la Première Guerre mondiale. Ramené à la population générale du Canada, leur engagement fut beaucoup plus large que celui de leurs compatriotes.
Selon les derniers chiffres recensés, ils furent ainsi plus de 4 500 à s’enrôler et certaines réserves comme celle des Algonquins de Golden Lake en Ontario vit partir tous les hommes jeunes, à l’exception de trois d’entre eux.
Les femmes n’étaient pas en reste qui partaient aussi comme infirmières ou cantinières. La moitié des Micmacs et des Malécites au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse s'enrôlèrent, et la collectivité de File Hills, en Saskatchewan, offrit tous ses hommes, de même que la tribu Had of the Lake en Colombie-Britannique.
Le goût de l’action doublé de l’attrait d’une solde fixée à 1,10 dollar par jour ainsi qu’un patriotisme affirmé pour certains poussèrent de nombreux Amérindiens à s’engager. Fins tireurs, éclaireurs exceptionnels, leurs qualités de chasseurs résistants et rusés trouvèrent à s’employer tout naturellement au combat. Pour ceux qui revinrent à la vie civile, la reconnaissance de la patrie s’était arrêtée en 1918. De retour chez eux, plusieurs ont constaté que leurs terres avaient été attribuées à d’anciens combattants blancs…
Plus de 300 Indiens canadiens inscrits ont été tués pendant la Grande Guerre.
Francis Pegahmagabow
Le soldat amérindien le plus médaillé durant la Première Guerre mondiale a été le caporal Francis Pegahmagabow. Né le 9 mars 1891 et décédé le 5 août 1952, il a reçu trois fois la Médaille militaire et a été blessé sérieusement deux fois au combat. Membre d’un commando d’attaque des tranchées et tireur d’élite, celui que ses camarades appellent « Peggy », reste le soldat amérindien le plus décoré de l'histoire militaire canadienne.
Cet Ojibwa de Parry Island dans l’Ontario, détient le record de 378 Allemands tués et de 300 autres capturés. C’est un des rares soldats canadiens à avoir combattu durant toute le Grande Guerre. De retour au Canada, Francis Pegahmagabow militera inlassablement pour faire reconnaître les droits des Amérindiens.
Envoyer des « sauvages » sur le front faisait mauvais effet
S’il est si difficile de retrouver la trace des combattants amérindiens du conflit de 14-18, c’est notamment parce lors de leur engagement, ils le faisaient sous un nom d’emprunt, à consonance francophone ou anglophone, héritage des écoles blanches obligatoires. Il n’était pas de bon ton en effet, dans le Canada de l’époque, de mettre en avant la part que prenaient ces populations à la Première Guerre mondiale.
Yann Castelnot, qui en France a fait un travail remarquable au sein de l’Araca (Association de recherche des anciens combattants amérindiens), relève que les fiches d’engagement militaire de 1914 et 1915 ne portent aucune mention spécifique permettant d’identifier l’origine de l’engagé. Le seul indice dont dispose le chercheur pour savoir s’il s’agit d’un autochtone est le lieu de naissance. A partir de là et à condition de se livrer à un vrai travail de bénédictin, il devient possible de remonter jusqu’à la véritable identité du soldat.
En 1917, constatant le taux élevé de pertes au combat et le manque d’effectifs, le gouvernement canadien modifie sa politique et envoie des agents recruteurs auprès des membres des Premières Nations. La même année est instaurée la loi du Service militaire. Elle impose la conscription pour tous les Canadiens. Aucune exemption n’est prévue pour les Indiens qui n’avaient pourtant pas la citoyenneté canadienne. Les Premières Nations n’obtiendront finalement qu’en janvier 1918 d’être dispensées de combattre.
Auteure : Claire Arsenault, RFI
Edition et scénarisation : Latifa Mouaoued, RFI
Conception, graphisme et développement : Studio Graphique France Médias Monde
Photos : Archives du Canada, Gouvernement du Canada, Musée canadien de la guerre, Getty Images
Musique : Indian Music Of The Canadian Plains, Folkways 1955 - Assiniboine Warrior's DeathSong (For Sitting Bull), Cree Pow Wow Song, Blackfoot War Song
Merci à l’Araca (Association de recherche des anciens combattants amérindiens), à Yann Castelnot et à Annick Bouquet pour leur disponibilité et leur générosité.
Le Musée canadien de la guerre et la Bibliothèque et Archives Canada ont été des sources précieuses pour les illustrations photos.
NB : la photo en ouverture de ce webdocumentaire est une simple illustration (Photo by Heyn & Matzen/Buyenlarge/Getty Images), elle ne saurait correspondre à aucun des personnages évoqués dans ce document.