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Cameroun

la terreur aux frontières

Un reportage de Olivier Rogez
pour RFI — mars 2015

Depuis mars 2014, Boko Haram s’est lancé dans une guerre contre le Cameroun. Ce furent d’abord des incursions, des raids meurtriers, des kidnappings. Puis au fil des mois, les jihadistes ont lancé des attaques planifiées contre l’armée camerounaise dans la région de l’Extrême-Nord. La secte nigériane, qui depuis 2003 utilisait discrètement le Cameroun comme base arrière, a changé de stratégie et déclaré la guerre à Paul Biya.

Face à cette montée des périls, le président camerounais a réorganisé son état-major et déployé dans la région de l’Extrême-Nord près de six mille hommes, dont deux mille éléments du Bataillon d’intervention rapide, le BIR, unité d’élite de l’armée camerounaise. Sur près de quatre cents kilomètres de frontière, ces hommes repoussent chaque attaque lancée par Boko Haram. Reportage sur la ligne de front en compagnie des soldats camerounais.

1 La ligne de front


Boko Haram n’occupera jamais un pouce de notre territoire.


Cette phrase, les officiers et les soldats camerounais la répètent à longueur de journée. Ils en ont fait une devise, un leitmotiv. Depuis près d’un an, ces hommes repoussent des attaques et des incursions des jihadistes, devenues depuis la fin de l’année 2014 quasi quotidiennes. Au fil des mois, l’armée camerounaise a érigé ses camps et ses fortins sur près de quatre cents kilomètres.

Depuis le lac Tchad et la localité de Fotokol, jusqu’aux collines de la région de Mokolo dans le département du Mayo Tsanaga. Les places fortes ont pour nom Amchidé, Kolofata, Kerawa, Limani, ou encore Gossi. Des noms de villes devenues pour les soldats des noms de batailles. Chacune de ces villes frontalières a été attaquée au moins une fois. Désormais, elles possèdent des garnisons surprotégées et surarmées. Plus au sud, entre Mokolo et Bourrha, l’armée a déployé tous les cinq kilomètres des postes avancés équipés d’artillerie. Des hauteurs, les soldats surveillent les jihadistes de Boko Haram et les pilonnent au mortier dès qu’ils approchent.


Le bataillon d’élite du BIR en première ligne

L’armée camerounaise a divisé la ligne de feu en deux zones. La zone sud est tenue par les hommes du BIR, le Bataillon d’intervention rapide, l’élite de l’armée camerounaise. C’est le théâtre de l’opération Alpha. Au nord, l’opération se nomme Emergence 4, elle rassemble, outre le BIR, divers corps de l’armée, bataillons d’infanterie mobile, bataillons de fusiliers, bataillons d’artillerie. Le commandement unique est assuré par le colonel Jacob Kodji. Le dispositif est efficace. Mais l’armée camerounaise a une limite : la frontière. En effet, elle n’entre pas en territoire nigérian, Abuja ayant refusé le droit de poursuite. Cela rend le combat contre Boko Haram inégal et plus complexe.

2 Le pont de Fotokol

L’El Beïd est une rivière malingre qui cherche sa route dans les sables sahéliens. Elle sépare la ville nigériane de Gambarou de la ville camerounaise de Fotokol. Entre les deux, un pont de béton. Ce pont est devenu le symbole de la guerre que livre Boko Haram au Cameroun. En août 2014, la secte jihadiste s’empare de la ville de Gambarou. Pour les habitants de Fotokol, la menace est à un jet de pierre. Pour les jihadistes, l’axe qui conduit de Gambarou à la ville de Kousséri, située à la frontière tchadienne, est vital. C’est par cette route que Boko Haram se ravitaille et effectue divers trafics. Lorsque l’armée tchadienne, venue au secours du Cameroun, franchit le pont sur l’El Beïd et chasse Boko Haram de Gambarou, le 3 février 2015, les populations de Fotokol pensent alors que la menace s’éloigne.


Un pont sous haute surveillance

Mais le lendemain, Boko Haram lance une contre-offensive, pénètre de nuit dans Fotokol. Quatre-vingt-une personnes sont assassinées froidement. Les assaillants pénètrent dans la mosquée de Fotokol et abattent une trentaine de fidèles rassemblés à l’heure de la prière. C’est le pire massacre de civils commis en une année de conflit. Le petit détachement camerounais, posté à moins d’un kilomètre, est impuissant. Il faudra le retour précipité des soldats tchadiens pour chasser Boko Haram de Fotokol. Camerounais et Tchadiens ont commis une erreur. Croyant Boko Haram en déroute, ils n’ont pas sécurisé les abords de Fotokol.

L’ennemi s’est infiltré entre nos lignes
Chef de bataillon Belthus Kouéné


Fotokol, ville martyre

Aujourd’hui encore, la ville porte les stigmates des violences. Bâtiments calcinés, marché pillé. Les habitants vivent désormais dans la terreur. Le jeune Abba a vu ses deux frères exécutés cette nuit du 4 février.

Ils ont tué mes frères, l’un d’une balle à la poitrine et l’autre d’une balle dans la tête
Abba, jeune victime de Boko Haram à Fotokol


3 Récits de bataille

Ils sont capitaines, sergents ou premières classes. Pour la plupart, ces jeunes soldats ont connu leur baptême du feu à la frontière nigériane. Une guerre face à un ennemi impitoyable et réputé sanguinaire. Ils parlent de leurs batailles avec retenue, en professionnels, préférant s’attarder sur les techniques de combat employées par Boko Haram plutôt que sur leurs propres peurs. Certains d’entre eux ont ramassé sur le champ de bataille les cadavres mutilés de leurs compagnons d’armes.

La légende veut ici que Boko Haram éventre les soldats et coupe leurs organes génitaux.

Malgré leur jeune âge, ces jeunes soldats sont déjà des vétérans. Leur regard brille de récits de batailles, d’exploits réels ou quelque peu enjolivés. Des histoires qui redonnent du courage le soir au fond des casernes ou la nuit derrière les sacs de sable sur les postes de garde. Ces jeunes soldats ont ravalé la peur, empoigné leur arme, repoussé l’ennemi. Ils sont convaincus que Boko Haram sera vaincu.

Sur la position de Kerawa, l’ennemi est de l’autre côté de la colline

Moral, une vieille chanson apprise par les soldats et remise au goût du jour

Au lendemain du sommet de Paris, en mai 2014, consacré à la lutte contre Boko Haram, le président camerounais Paul Biya sort de son immobilisme. Il nomme un nouvel état-major qui met en place le commandement opérationnel pour le nord du pays. Les vieux généraux indolents sont remplacés par une poignée de colonels soucieux de gagner leurs galons sur le champ de bataille. Le BIR, l’unité d’élite de l’armée, est envoyé en renfort aux côtés des unités classiques. L’Etat fait un effort d’équipement en blindés, et en hélicoptères de combats. La guerre et ses répercussions ont un coût, selon des sources officieuses, le Cameroun a dépensé l’équivalent de près d’un milliard d’euros en 2014.

4 Les tactiques de Boko Haram

Le 8 février dernier, entre l’avant-poste de Kerawa et la base de Kolofata, une patrouille camerounaise tombe dans une embuscade. Sept soldats sont blessés. La frontière nigériane est à moins de cinq kilomètres. A cette occasion, les soldats découvrent avec stupeur que près de deux cents combattants de Boko Haram sont positionnés à moins d’un kilomètre de là, dans un village de brousse. Ils attendaient la nuit pour lancer une offensive sur la base de Kerawa. C’est une stratégie maintes fois expérimentée par l’armée camerounaise. Les jihadistes jouent de l’effet de surprise.

On sait que ceux (Boko Haram) qui portent une tenue militaire sont des chefs. Il faut faire ses preuves, égorger beaucoup de personnes pour porter la tenue militaire
Chef de bataillon Clément Garangsou


Leurs attaques se déroulent toutes selon un même schéma, expliquent les officiers camerounais. Une première vague de combattants arrive à pied, à moto ou sur des pick-up dans un crépitement d’armes automatiques. Le but est d’effrayer et de déstabiliser l’adversaire. Ensuite Boko Haram sort son artillerie lourde, généralement un blindé épaulé par une ou deux mitrailleuses se dirige vers l’enceinte de la base, tandis que des artilleurs pilonnent le camp à l’aide de mortiers artisanaux. Sur le champ de bataille, des « officiers » de Boko Haram coordonnent les mouvements autour du camp. Si l’attaque échoue, les jihadistes se replient en emportant leurs morts, si possible.


Des localités dévastées par la guerre


Durant ces attaques, l’important est de garder son sang froid,

relève le capitaine Djankouro. Ne pas céder à la panique face à « ces hordes sauvages ». Les militaires savent désormais comment se comporter. L’armée utilise des tireurs d’élite chargés d’éliminer les chefs, les donneurs d’ordres. L’expérience d’une année de combat est précieuse.
Lors d’une attaque de Boko Haram contre le camp de Kolofata, le 12 janvier dernier, le capitaine Djankouro raconte comment il a éliminé un « général » de Boko Haram.

Il y avait trois combattants autour du général, ils lui servent de bouclier
Capitaine Ibrahim Djankouro


5 Résistances locales

Assassinats, rapts, pillages, les populations de l’Extrême-Nord sont les premières victimes de Boko Haram. En outre, la guerre déstabilise une économie déjà fragile. En raison du déplacement des populations, des milliers de paysans ne peuvent plus cultiver. Cent soixante-dix écoles ont dû fermer leurs portes. Le grand marché nigérian est fermé aux exportations de bétail, l’une des grandes richesses de la région.


Des villages qui se vident de leurs habitants

Mais surtout, Boko Haram a beaucoup recruté au sein des populations camerounaises, le long de la frontière. Un recrutement parfois forcé, mais pas toujours. Beaucoup de Camerounais ont succombé aux promesses d’argent de Boko Haram. Et c’est ce qui explique la récurrence des attaques ainsi que la bonne connaissance du terrain acquise par les assaillants.

La population coopère avec Boko Haram par peur mais aussi par conviction
Chef de bataillon Clément Garangsou


Enfin, les militaires ne le cachent pas, dans certains villages les habitants sont favorables aux thèses de Boko Haram. Ce qui rend plus complexe la lutte contre les jihadistes, et plus délicate encore la tâche des autorités politiques qui doivent à la fois combattre la secte tout en préservant l’unité nationale. Boko Haram mène à la fois une guerre sur le terrain et une guerre idéologique. Le Cameroun sait qu’il doit se battre sur tous les fronts.

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