Chirac, l'Africain
Mars 1976
Le premier voyage officiel en AfriqueMai 1979
Le coup des maires francophonesAvril 1981
Chirac et BongoAvril 1986
Foccart, le retourFévrier 1990
Vive le parti uniqueJuillet 1995
Sur les pas du général de GaulleAoût 1997
Chirac et SassouJuillet 1999
Chirac et les « hommes d’ordre »Décembre 1999
Chirac mis en échec par Jospin et HollandeSeptembre 2002
La revanche de Chirac aux dépens de GbagboJuin 2003
L’Afrique au G8Avril 2004
Les copains d’abordJuin 2006
Le sorcier blancJuin 2009
Le dernier voyageSeptembre 2011
L’aveu
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Jacques Chirac et l'Afrique, c'est une histoire mouvementée. Dès les années 1970, le futur président de la République tisse sa toile sur le continent africain. « Les amis d'abord »... Fort de cette devise, l'héritier du général de Gaulle rappelle à ses côtés le très controversé Jacques Foccart et noue des liens quasi-familiaux avec plusieurs hommes à poigne du continent, comme le Togolais Gnassingbé Eyadema, le Gabonais Omar Bongo et le Congolais Denis Sassou Nguesso. « Attention, l'Afrique, c'est ma chasse gardée », semble dire Chirac à Giscard, Mitterrand et Jospin, ses trois principaux adversaires politiques. Son joker ? Le sulfureux avocat franco-libanais Robert Bourgi. De 1976 à 2011, retour sur la saga d'un hussard en Afrique...
Le président Jacques Chirac (D) accueille son homologue togolais, le Général Gnassingbé Eyadéma, le 2 mars 2004, à Paris. © Patrick Kovarik/AFP
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MARS 1976
Le premier voyage officiel en AfriqueJacques Chirac, 43 ans, effectue au Tchad son premier déplacement officiel sur le continent africain. Premier ministre du président Giscard d’Estaing depuis mai 1974, Chirac rencontre alors le président Félix Malloum, avec qui il décide de renforcer la coopération militaire entre Paris et Ndjamena.
Le Premier Ministre Jacques Chirac (G) discute avec le chef de l'Etat tchadien, le Général Félix Malloum, le 6 mars 1976. © Gabriel Duval/AFP
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MAI 1979
Le coup des maires francophonesA Québec, en compagnie du maire de cette ville canadienne, Jean Pelletier, Jacques Chirac crée l’Association internationale des maires francophones (AIMF). En août 1976, Chirac a démissionné avec fracas de son poste de Premier ministre. En décembre 1976, il a fondé le Rassemblement pour la République (RPR), un parti gaulliste anti-Giscard. En mars 1977, il a été élu maire de Paris contre le candidat de Giscard. En mai 1979, avec l’AIMF, il tisse sa toile et se dote d’un réseau international qui le rapproche très vite de nombreux décideurs africains.
Jacques Chirac fait le signe de la victoire lors de la campagne municipale à Paris, le 22 février 1977. Il deviendra le premier maire de Paris un mois plus tard. Deux ans plus tard, il crée l’Association internationale des maires francophones. © Gamma-Keystone/Getty Images
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AVRIL 1981
Chirac et BongoAu premier tour de la présidentielle de 1981, Jacques Chirac, avec 18% des voix, arrive troisième derrière Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, qui sera élu deux semaines plus tard. Le candidat du RPR a-t-il reçu des soutiens financiers de la part de quelques amis africains ? Vingt-huit ans plus tard, en juin 2009, Giscard révèle sur Europe 1 que le président gabonais Omar Bongo a financé à l’époque la campagne de Chirac. « J’ai alors téléphoné à Bongo pour obtenir des explications », précise Giscard. Chirac dément aussitôt en dénonçant « une médiocre polémique ».
Le 30 août 2000, le président Jacques Chirac reçoit à l’Elysée Omar Bongo, son vieux complice gabonais. © Georges Gobet/AFP
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AVRIL 1986
Foccart, le retourAu lendemain de la victoire de la droite aux législatives de mars 1986, Jacques Chirac revient à Matignon, où il cohabite avec le président de gauche François Mitterrand. Aussitôt, le nouveau Premier ministre confie la direction d’une cellule Afrique à Jacques Foccart, l’ex-bras droit du général de Gaulle sur les affaires africaines. En septembre 1987, Chirac « double » Mitterrand sur deux dossiers sensibles. En Afrique du Sud, il négocie secrètement la libération du militant anti-apartheid Pierre-André Albertini. Au Congo Brazzaville, il met à disposition du président Sassou Nguesso quelques officiers de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et un avion de transport Transall afin de l’aider à réduire un foyer de rébellion animé dans le nord du pays.
Le dernier poste officiel de Jacques Foccart (D) a été celui de conseiller de Jacques Chirac (G), alors Premier ministre pendant la première cohabitation (1986-1988). © AFP
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FÉVRIER 1990
Vive le parti uniqueTrois mois après la chute du mur de Berlin, Jacques Chirac, qui a perdu la présidentielle de mai 1988 face à François Mitterrand, assiste à une réunion de l’AIMF à Abidjan, chez son ami Félix Houphouët-Boigny. Interrogé par RFI sur la conférence nationale qui se déroule au même moment au Bénin, le n°1 de l’opposition française déclare alors : « Le multipartisme n’est pas lié à la démocratie, et il y a des pays africains parfaitement démocratiques, comme la Côte d’Ivoire, qui sont des pays à parti unique et où la démocratie s’exerce au sein de ce parti unique ». Et le président du RPR d’ajouter : « Le multipartisme est une sorte de luxe que ces pays en voie de développement n’ont pas les moyens de s’offrir ». Quatre mois plus tard, lors d’un discours au sommet de la Baule, le président Mitterrand annonce que, désormais, « la France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté. »
| Le multipartisme est une erreur pour les pays en développement
Quatre ans avant le discours de La Baule, lors du sommet de Lomé de 1986, François Mitterrand et son Premier ministre Jacques Chirac semblent presque complices, aux côtés du Togolais Gnassingbe Eyadema et de l'Ivoirien Félix Houphouët-Boigny. Mais en 1990, leurs points de vue sur les régimes togolais et ivoiriens vont diverger. © Daniel Janin/AFP
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JUILLET 1995
Sur les pas du général de GaulleTrois mois après son élection à la présidence de la République face à Lionel Jospin, Jacques Chirac, 62 ans, effectue une première tournée en Afrique. Après le Maroc du roi Hassan II, la Côte d’Ivoire de Henri Konan Bédié – Houphouët est mort vingt mois plus tôt – et le Gabon d’Omar Bongo, il fait une dernière halte au Sénégal, chez son ami Abdou Diouf. Là, il demande aux présidents des pays voisins de venir le rejoindre. Mais Alpha Oumar Konaré refuse de se rendre à ce qui ressemble, aux yeux de beaucoup de Maliens, à une « convocation ». Pendant cette tournée, Chirac se fait accompagner par le vieux Foccart, 81 ans, et par ses deux héritiers, Fernand Wibaux et Michel Dupuch.
| L’Afrique mérite une attention particulière
Le président sénégalais, Abdou Diouf, reçoit Jacques Chirac au Sénégal, le 23 juillet 1995. © Georges Bendrihem/AFP
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AOÛT 1997
Chirac et SassouDepuis deux mois, à Brazzaville, les milices du président Pascal Lissouba et de l’opposant Denis Sassou Nguesso se livrent une bataille acharnée. Officiellement, la France est neutre. C’est la position affichée par l’Elysée, où siège toujours le gaulliste Jacques Chirac, et par Matignon, où vient d’arriver le socialiste Lionel Jospin. Mais le Canard enchaîné révèle que des armes lourdes sont livrées au camp Sassou Nguesso avec l’accord tacite de l’Elysée via le Gabon, l’Angola et le Sénégal. Premier accroc sérieux à la cohabitation Chirac-Jospin. Dix mois plus tard, Chirac déclare : « Le Congo était en train de s’autodétruire et il était souhaitable que l’ordre revienne. Il y avait quelqu’un qui était capable de le faire revenir, c’était Denis Sassou Nguesso ».
| Jacques Chirac se réjouit de l'intervention angolaise au Congo
Les présidents Jacques Chirac et Denis Sassou Nguesso le 15 novembre 1997. © Laurent Rebours/AFP
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JUILLET 1999
Chirac et les « hommes d’ordre »Voilà deux ans que le Premier ministre Lionel Jospin et le premier secrétaire du PS, François Hollande, affichent leur sympathie pour les jeunes démocraties africaines (Mali, Sénégal, etc.). Pour monter sa différence, Jacques Chirac entame une nouvelle tournée qui le conduit, outre au Nigeria, dans trois pays francophones tenus d’une main de fer : la Guinée du général Lansana Conté – au moment où l’opposant Alpha Condé croupit en prison –, le Togo du général Gnassingbé Eyadema et le Cameroun de Paul Biya. En février 2005, à la mort d’Eyadema, Chirac lui rend un vibrant hommage en le qualifiant d’ « ami personnel ».
Le président Jacques Chirac tient par la main Mme Chantal Biya, épouse du président camerounais Paul Biya, le 24 juillet 1999. © Georges Gobet/AFP
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DÉCEMBRE 1999
Chirac mis en échec par Jospin et HollandeA la veille de Noël, le président ivoirien Henri Konan Bédié (HKB) est renversé par l’armée. Pour le remettre en selle, Chirac veut déployer des soldats français dans Abidjan. Mais Jospin s’y oppose. Chirac s’incline et mord la poussière. Second échec pour le président français : en octobre 2000, Laurent Gbagbo, le camarade socialiste de Jospin et Hollande, est élu président de la Côte d’Ivoire en l’absence de ses deux principaux rivaux, HKB et Alassane Ouattara.
En juin 2001, quelques mois après son élection, le président ivoirien, Laurent Gbagbo, rencontre le Premier ministre français, lionel Jospin, à l’Hôtel Matignon, à Paris. Entre camarades socialistes, les sourires sont de mise. Jacques Chirac ronge son frein. © Patrick Kovarik/AFP
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SEPTEMBRE 2002
La revanche de Chirac aux dépens de GbagboEn septembre 2002, quelques mois après la déroute électorale de Jospin et la réélection de Chirac, l’Ivoirien Laurent Gbagbo est confronté à une insurrection armée des partisans d’Alassane Ouattara. Gbagbo demande alors l’aide de Chirac pour détruire le foyer rebelle. Mais le Français ne répond que par une demi-mesure. Trop content d’affaiblir le président socialiste de Côte d’Ivoire, qu’il considère comme un « enfant illégitime de la cohabitation » (Antoine Glaser), Chirac se contente de déployer une force d’interposition entre les zones Sud et Nord : le dispositif Licorne. En novembre 2004, après la mort de neuf soldats français dans le bombardement de leur caserne de Bouaké, Chirac fait détruire l’aviation de Gbagbo et déclare : « Nous ne pouvons pas laisser se développer un système pouvant conduire à l’anarchie ou à un régime de nature fasciste. »
Le 25 janvier 2003, après une réunion à Marcoussis, près de Paris, Jacques Chirac et Koffi Annan, le secrétaire général de l’Onu, tentent d’imposer à Laurent Gbagbo une cohabitation avec le rebelle ivoirien Guillaume Soro. Les visages semblent crispés… Heureusement que le secrétaire général de l’Onu de l'Onu, Koffi Annann, est placé entre les deux combattants ! © Patrick Kovarik/AFP
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JUIN 2003
L’Afrique au G8Bush à Evian ? Quatre mois après son veto à l’ONU contre une intervention armée en Irak, la France du gaulliste Jacques Chirac est dans le collimateur des Etats-Unis de George W. Bush. Finalement, après quelques hésitations, le président américain se résout à se rendre au G8 d’Evian, en France. A l’initiative de Chirac, qui prône une taxe sur les billets d’avion, le développement de l’Afrique devient un sujet prioritaire du G8 et plusieurs chefs d’Etat du continent y sont invités : l’Algérien Abdelaziz Bouteflika, l’Egyptien Hosni Moubarak, le Nigérian Olusegun Obasanjo dans son boubou coloré, le Sénégalais Abdoulaye Wade et le Sud-Africain Thabo Mbeki. Désormais, tous les ans, quelques Africains seront conviés à ce club très fermé. Par ailleurs, depuis octobre 2002, un proche de Chirac dirige l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Au sommet de Beyrouth, le président français a imposé le Sénégalais Abdou Diouf face au Congolais Henri Lopès.
| L’Afrique doit être soutenue dans son développement
Sommet du G8 à Evian le 1er juin 2003. © S005/Gamma-Rapho via Getty Images
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AVRIL 2004
Les copains d’abordLe Gabonais Omar Bongo, le Togolais Gnassingbé Eyadema, le Tunisien Zine el-Abidine Ben Ali, qu’il qualifie de grand « démocrate » lors d’une visite à Tunis en décembre 2003… Avec ses amis du continent africain, Jacques Chirac est généreux en actes et en paroles. En avril 2004, lors d’un passage en France, Jean-François Ndengué, le chef de la police congolaise, est arrêté à la demande d’un juge parisien qui enquête sur les « disparus du Beach » – 353 ex-opposants kidnappés à Brazzaville en mai 1999 et jamais réapparus depuis. Aussitôt, le président français oblige le parquet de Paris à se réunir à deux heures du matin pour faire libérer ce proche de Denis Sassou Nguesso.
Le président gabonais Omar Bongo, le président français Jacques Chirac et le président congolais Denis Sassou Nguesso le 5 février 2005 à Brazaville. © Gilles Bassignac/Getty Images
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JUIN 2006
Le sorcier blancDe longue date, Jacques Chirac se disait révulsé par le souvenir de la traite des Noirs. A partir de 2006, le 10 mai devient jour de commémoration nationale des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions. Par ailleurs, le président français se dit passionné par les « arts premiers ». En juin 2006, il inaugure, quai Branly à Paris, le Musée des arts et civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques, rebaptisé le Musée du Quai Branly – Jacques Chirac, le 20 juin 2016.
Jacques Chirac écoute attentivement l'acteur Jacques Martial citer un texte d'Aimé Césaire lors de la première commémoration de l’abolition de l’esclavage au Jardin du Luxembourg à Paris, le 10 mai 2006. © Gilles Bassignac/Getty Images
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JUIN 2009
Le dernier voyageDeux ans après son départ de l’Elysée, Jacques Chirac, 76 ans, fait un dernier déplacement en Afrique noire. Quelques jours après la mort d’Omar Bongo, il vient se recueillir, en compagnie de son successeur Nicolas Sarkozy, devant la dépouille mortelle de son vieux complice gabonais. En décembre 2001, il n’avait pas daigné se rendre à Dakar aux obsèques du poète-président Léopold Sédar Senghor. En France et en Afrique, son absence avait fait scandale. Méritait-il encore son surnom de « Chirac l’Africain » ? Cette fois, à Libreville, il n’oublie pas d’aller rendre hommage à un autre grand ami de la France.
| Omar Bongo
Les présidents Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy rendent hommage à Omar Bongo le 16 juin 2009. © Issouf Sanogo/AFP
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SEPTEMBRE 2011
L’aveuDans une interview retentissante au Journal du Dimanche, l’avocat franco-libanais Robert Bourgi révèle que, du temps de Jacques Chirac, il a convoyé des millions en liquide, dissimulés dans des mallettes ou des djembés, depuis plusieurs palais présidentiels africains jusqu’au bureau de Dominique de Villepin à l’Elysée (1). Sept mois avant la présidentielle de 2012, l’entretien met toute la France en émoi. Villepin promet de porter plainte contre Bourgi. Chirac, lui, choisit de se taire. Fatigue ? Lassitude ? A partir de ce moment, le vieux lion rentre ses griffes. On ne l’entendra plus.
Le président Jacques Chirac (D) et son Premier ministre Dominique de Villepin (G), le 27 avril 2006 à l'Élysée. © Pascal Pavani/AFP
(1) A l’approche de la campagne présidentielle de 2002, détaille Robert Bourgi, « cinq chefs d’Etat africains – Abdoulaye Wade (Sénégal), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Laurent Gbagbo (Côte d’Ivoire), Denis Sassou Nguesso (Congo Brazzaville) et, bien sûr, Omar Bongo (Gabon) – ont versé environ 10 millions de dollars ».