Le hall de l'aéroport parisien tôt le matin, c’est un peu comme la case départ d’un pèlerinage en Israël. Pour certains, c'est écrit sur leur programme si ce n’est sur leurs chaussettes dans leurs sandales : Voyage en terre sainte, La bonne Nouvelle ! Pour d'autres, ce sera une prière séculaire réalisée à grand renfort de tissu et psalmodies dans un coin de la salle d'embarquement, pour fixer le cadre. Et tous ont la même manie de se river régulièrement à leur smartphone. La nouvelle religion serait-elle en passe de devenir technologique ? Les moutons électriques que nous sommes composent-ils le troupeau rêvé des Androïdes de Philip K. Dick ? Et vers quel horizon se dirigent ces accros aux nouvelles technologies ? Israël ? Cela peut sembler presque surprenant, mais la Silicon Valley californienne regarde la ville israélienne de Tel-Aviv avec sérieux depuis longtemps. La Start-up Nation - c'est le surnom de Tel-Aviv - rivalise d'idées et de coups technos avec sa consœur californienne depuis des années. Le gros coup médiatique fut le rachat de Waze par Google, mais l'écosystème israélien surprend et fait fureur depuis longtemps chez les initiés. Les rachats sont incessants, les échanges permanents et chaque grand groupe technologique (ou pas) se doit dorénavant de miser sur le tapis vert économique mondial un sérieux pion sur la case israélienne. Faisons un tour pour mieux comprendre cette effervescence économique et technologique autour d'une ville, Tel-Aviv.
La première journée du voyage commence par un événement très officiel. « Ce soir c'est une soirée Ferrero », nous a glissé en souriant un interlocuteur. Anne Hidalgo, maire de Paris, débutait sa visite en Israël à l'ambassade de France pour parler smart city avec ses homologues israéliens. On avait réussi à s'y faire inviter par notre guide, Yossi Dan, président de l'IE-Club de Tel-Aviv, qui en avait profité pour nous donner rendez-vous dans un des cafés branchés non loin de Jaffa, là où l'ambassade de France se situe. Le chauffeur de taxi à la sortie de notre hôtel à Tel-Aviv n'a pourtant pas daigné comprendre notre prononciation de l'adresse. Puis rassuré par le carton d’invitation de l’ambassade rédigé en hébreu, c'est direct au rendez-vous avec deux bonnes heures d'avance qu'on s’est retrouvé dans le quartier de Jaffa.
Yossi, prévenu, s'est empressé de nous rejoindre. Jaffa revit, nous a-t-on expliqué, le quartier embellit et la promenade le long de la côte en bordure de mer est agréable. Une douce invitation à la baignade dont les enfants du quartier ne se privent pas. Le long de la côte, des familles russes multi-confessionnelles (juifs, musulmans, chrétiens...) courent avec leurs enfants à la lumière du soleil couchant pendant que des groupes d’hommes fument le narguilé paisiblement. Pendant quelques minutes, des hélicoptères militaires traverseront le ciel.
Petit moment de solitude avant l’arrivée de la maire de Paris, mais quelques cacahuètes feront passer l’instant à défaut de Ferrero. Anne Hidalgo vient pour parler de ville connectée ou plutôt de smart city. Les nouvelles technologies sont maintenant parties prenantes des politiques de la ville. Elles épousent leurs formes pour aider les citoyens dans leurs déplacements par exemple, parfois aussi pour mieux les surveiller. Venue avec ses équipes, Anne Hidalgo souhaite aussi découvrir comment, grâce à un écosystème unique, une ville comme Tel-Aviv peut se féliciter d’avoir une telle forme économique. Paris pourrait ainsi mieux tirer son épingle du jeu en apprenant de l'exemple israélien dont les résultats sont excellents.
« Les Israéliens aiment Paris », proclame l'ambassadeur. « Une relation qui traverse cependant parfois des trous d'air. Nous sommes inquiets pour la sécurité des juifs de France depuis les attentats. »
Anne Hidalgo a répondu : « Les relations entre Paris et les villes israéliennes sont des relations fortes. Avant mon élection, j’ai exprimé ma volonté de partager les expériences et de porter un message de paix. Après les attentats de janvier à Paris, ce voyage prend une signification particulière. » Puis d’enchaîner : « Derrière le projet de smart city, c'est un projet plus large qui s’ouvre à nous. Derrière cette nouvelle économie, il y a beaucoup d'entreprises et de jeunes gens. Ce sont eux qui animent la ville. Une ville progressiste, une ville jeune. »
Elle sourit : « Sur une présentation PowerPoint, on a vu qu’un des points forts de la ville de Tel-Aviv est d’être gay-friendly. C’est important. La smart city doit être une ville de liberté, tolérante et qui attire les jeunes, source de créativité. »
Bon, si la ville est si smart, on va bien trouver un moyen de rentrer après la soirée, non ? Il faut prendre un taxi et indiquer notre adresse ? Zut ! On en cherchait un quand un jeune participant quittant la soirée (il n’y avait sans doute plus de cacahuètes) s'est proposé de nous raccompagner. Il connaissait notre guide. En voiture !
Et forcément, nous sommes à côté d’un entrepreneur. Son nom est Ilan Dray, il est designer, spécialiste en expérience utilisateur, on dit UX (pour user experience) et interface graphique, là on dit GUI. Ouf ! Il est aussi un investisseur talentueux dans des projets prometteurs. Il a un joyeux débit de paroles et un certain sens du discours. Il répond très rapidement à nos questions sans trop faire dans le détail, c’est direct et cash. Un comportement typique d’ici et qui nous sera mieux expliqué dès le lendemain matin. Ainsi, en riant Ilan Dray assène des vérités sur cette scène florissante impressionnante, mais aussi déroutante. « Ça délire parfois ici ! J’appelle cela l'israbluff : le bluff israélien. »
En Californie, l'explication nous avait été précisée ainsi : un ingénieur français ou européen ne rendrait pas un software à moins de 90% de fiabilité (on peut toujours coller des patchs en update ensuite pour corriger les bugs), aux USA on peut imaginer se lancer à partir de 80% alors qu'en Israël, à 70%, ils sont capables d’envoyer. C'est une attitude risquée, mais qui peut payer, car la rapidité de la mise sur le marché joue beaucoup dans ce domaine.
Synthétisé par un interlocuteur cela donne : « Les entrepreneurs français qui arrivent juste avec un tournevis et un fer à souder ça se voit de loin ! Ici, c'est plus discret. » C’est aussi l’Américain Gary Vaynerchuk qui nous avait bien amusés en résumant lors d’une conférence la frénésie autour des start-ups : « Pour un Instagram, il y a des millions d’instashit ! »
Des projets bluffants, Ilan Dray nous en cite pourtant pas mal sur le chemin de l’hôtel, tout en montrant régulièrement du doigt les bars branchés et les discothèques qui ponctuent la route, Tel-Aviv a la réputation d’être une ville qui ne dort jamais. « J’ai même l’idée de faire un jury comme La nouvelle star, pour une Start-up academy afin de mieux filtrer » s’amuse-t-il. Tel-Aviv est surnommée la bulle, car elle semble à l’écart des zones à problèmes du pays dont on parle le plus souvent dans les médias. Ce voyage technologique se déroule d’ailleurs bien à l’abri dans cette bulle un peu privilégiée. A Tel-Aviv, il semblerait que le nombre de cafés-restaurants par habitant y soit exceptionnellement élevé. « Et vous êtes basés où ? Issy-les-Moulineaux ! Mais c’est là où j’habitais ! Ah ah ah, c’est drôle, on est voisins alors ?! » Des vélos électriques sillonnent le remblai de la plage de Tel-Aviv, des joueurs de volley-ball pieds nus dans le sable jouent sous la lumière de spots. « Avec tout ce que j’entends, j’ai l’impression tout de même qu’en France ça se réveille un peu côté start-up, non ?! » « Cela se réveille un peu en effet », mais bon là on va se coucher quand même… Merci beaucoup pour la route.
En Israël, il y a plus de 8 millions d’habitants. Six millions sont de confession juive et un million six cent mille de confession musulmane (soit 20% de la population). On compte un million de Russes immigrés, qui entre 1989 et 2002, furent plus de 900 000 à voyager vers Israël. Ces Russes forment aujourd'hui la première communauté juive du pays, bien que peu sensibles à la problématique religieuse. Signe fort et important pour ce secteur des nouvelles technologies : à leur arrivée dans le pays, 60 % d’entre eux étaient diplômés du supérieur, chose rare chez des migrants. On dénombre également 130 000 Ethiopiens qui vivent en Israël et les récentes et importantes manifestations qui se sont déroulées dans la ville Tel-Aviv avec comme slogan #notinmyname comme aux Etats-Unis, ont mis en avant la piètre qualité de leur intégration dans le pays. Mais il y a aussi plus de 50 000 demandeurs d'asile vivant sans statut et sans papiers, pour la plupart en provenance du Soudan et de l'Erythrée. L’année dernière, le nombre de personnes qui ont fait leur alya, choix de venir vivre définitivement en Israël, s’élevait à près de 24 000.
Pour mieux comprendre le mode de fonctionnement des entrepreneurs israéliens, on a croisé Orly Glick dans Sosa, un co-working space (espace de travail partagé) installé dans un quartier de Tel-Aviv à majorité soudanaise et erythréenne. Ce Hub a été implanté volontairement dans ce quartier par la ville pour intégrer les nouvelles technologies dans les quartiers les plus démunis.
Orly Glick est californienne, elle fait du conseil aux entreprises et évalue les start-ups pour TheNEXIT. Elle sait aussi très bien se raconter. Son storytelling d'introduction est au cordeau : sa vie personnelle, professionnelle, ses changements, ses choix et ses aspirations. Elle transmet tout cela de façon méthodique, américaine, ISO 9001.
Elle a aussi son franc-parler et son regard clair sur l'écosystème israélien qu’elle partage avec les entrepreneurs qu’elle croise. C'est son travail de consultante qui l’amène à expliquer des traits que chacun de nos interlocuteurs israéliens nous racontera au cours du voyage.
« On est ici pour bien faire, mais aussi (bien) faire des affaires. (To do good but also do good business). Nous sommes dans le deuxième meilleur écosystème de start-ups au monde avec 18 introductions en bourse en 2014 en Israël ! »
On entre dans des détails d’organisation d’entreprise qui sont amusants, voire déroutants.« Il n'y a pas de distance hiérarchique en Israël. C'est de l’ordre du religieux et dans nos gènes aussi, alors on dit souvent : Mon frère pour signifier je suis proche de toi, mais c’est à double tranchant. »
« On utilise le questionnement Thinking outside the box (penser différemment, de façon non conventionnelle, voire perturbante). On n’a pas peur de briser les lois ou d’être dans l’incertitude. »
Écouter Orly Glick, c’est un peu obtenir un condensé pour Israël de ce que le chercheur Philippe d'Iribarne observe et pense depuis des années concernant les multiples manières de s'organiser pour vivre et travailler ensemble. Auteur de La Logique de l'honneur, l'étrangeté française et penser la diversité du monde, il ne serait pas indifférent aux notions de Dugri ou Balagan.
Dugri signifie être honnête, mais aussi friser la grossièreté. « On rencontre des problèmes de formulation avec les entrepreneurs ici, car ne vous attendez pas à des : Pourriez-vous ? Ou des s’il vous plait ? Le discours est direct. » explique Orly Glick. « Les relations sont très émotionnelles aussi, alors quand c'est positif c'est super, mais quand c'est négatif Ouf ! »
Balagan. « Balagan signifie pagaille ou même chaos, mais pour une entreprise c’est une véritable aubaine, car c’est signe d’une agilité qui sauve et pour les multinationales c’est profitable. Après il ne faut pas bondir quand on se retrouve face à des ajustements importants. »
Orly Glick est intarissable et les nuances de vie en société semblent grandes.
Un interlocuteur nous glisse : « Si je veux investir ici il va falloir que j'accepte leur culture d’entreprise, ça veut bien dire cela. »
Un autre nous raconte une aventure de culture d’entreprise surprenante : « Une fois, j'ai envoyé un mail avec des mots soulignés en rouge à un fournisseur chinois. Il a tout de suite quitté notre partenariat. Il ne faut pas faire cela dans leurs codes de communication, je ne savais pas… »
On parlera de cette présentation qui nous avait marquée un peu plus tard durant le séjour.
« Ah bon, c’est ce qu’ils vous ont dit ? », souriait un officiel français un brin gêné de voir tout cela mis sur la table. « C'est vrai tout cela, mais il faut savoir que les entreprises américaines adorent aussi faire tester leurs versions bêta chez nous, car, nous, on leur dira toujours la vérité », s'exclame ensuite un autre ingénieur.
Quand on arrive dans les bureaux d’Edouard Cukierman, on remarque un imposant livre sur Tsahal (l’armée de défense israélienne) qui trône sur une table basse. Il nous apprend qu’il a fait une école d’ingénieur, puis l’armée avec une spécialisation dans les négociations en période de crise et prise d'otages. Depuis, il intervient parfois comme porte-parole militaire et/,mais il est aussi l’auteur d’un livre sur la révolution technologique israélienne Israel Valley. Edouard Cukierman dirige une activité de banque d’affaires avec une centaine de fonds cotés. Il explique : « Avant on avait une activité avec l’Europe très forte, maintenant le centre de gravité s’est déplacé vers la Chine et Shanghai. J’aide les sociétés à se développer sur le marché chinois. »
L’armée joue un rôle crucial dans l’activité économique israélienne, comme l’ont spécifié tous nos interlocuteurs sur place. Avec un service israélien de trois ans, les jeunes bénéficient (en fin de compte) d’une formation professionnelle très riche comme expliquée du point de vue d’un interlocuteur : « L’armée à la sortie, c’est très bien, ils peuvent prendre des risques, ils sont risk oriented. » C’est un regard positif exclusivement économique, car d’autres recrues peuvent en ressortir démolis, c’est selon. L’exemple le plus marquant de cette fusion entre secteurs militaire et civil est Mobileye. Une société qui a bénéficié de la plus grosse levée de fonds en Israël. Mobileye : ou comment d’un algorithme à usage militaire permettant d’interpréter les images provenant des missiles, on commercialise maintenant dans le secteur automobile la même technologie pour éviter les piétons. « Tesla va ainsi équiper son véhicule de sept caméras de ce type », explique Edouard Cukierman.
Nous avons 247 sociétés israéliennes cotées au Nasdaq, je crois que c’est une cinquantaine en Europe ”, sourit-il.
Israël est d’ailleurs le deuxième pays au monde après les Etats-Unis dans le nombre de sociétés cotées au Nasdaq. Le marché chinois semble la nouvelle préoccupation : « Des acquisitions sont faites par les Chinois maintenant. C’est un nouveau marché, car les Chinois ne veulent plus être les simples producteurs du Made in China mais créer, vendre et être compétitifs. C’est difficile pour eux d'investir aux USA ou en Europe. Ici, ils sont accueillis avec le tapis rouge. » Le marché chinois est une opportunité, mais il est plus agressif. « Eux-mêmes prennent en compte la propriété intellectuelle maintenant. Même si le marché chinois est dangereux, le réel danger serait de ne pas s’y implanter. »
Croiser Dan Catarivas est un peu une aubaine pour un tel sujet. Le monsieur a un CV long comme le bras et reste particulièrement actif dans son domaine. On peut dire qu’il est un peu le patron des patrons israéliens, à la tête d’un « Medef », conjointement à une ancienne activité politique très forte au ministère des Finances, en charge des relations internationales. Une chance, mais aussi un risque de confusion. Son débit est autant décontracté qu’érudit, sa connaissance du marché économique israélien sans fin, son côté militant également…
La liste des succès israéliens dans les nouvelles technologies est longue. Avec gourmandise, Dan Catarivas nous en énumère quelques-uns : « ICQ, un système de messagerie découvert par Mirabilis et tout de suite adopté par tous pour être finalement racheté par AOL, l’application Viber ou Waze, la mémoire flash sur clé USB, Anobit racheté par Apple…&nbps;» Il s’amuse : « Une fois la vente conclue, ils ne vont pas se dorer sous le soleil non ! De toutes les façons, ils l'ont le soleil. Ils réinvestissent ! Ce sont des Serial Start-Upeurs… » Dan Catarivas est fier de ce Silicon Wadi (wadi est une vallée en arabe). Cette zone périurbaine de Tel-Aviv rivalise maintenant avec la Silicon Valley californienne.
Sans richesse naturelle, nous avons donc fait autre chose. ”
Il sourit : « Je commence souvent mes conférences ainsi : Soyez entourés d'ennemis pendant 65 ans, ça aide ! En Israël on sait prendre des risques économiques, car on vit dans l’instabilité. » Il souligne très vite : « Les Européens mêlent le politique un peu trop. Je privilégie l'économique. »
Il enchaine : « L'économie israélienne se porte bien. Le taux de chômage est bas. Avec une dépendance au commerce extérieur de 77%, nous ne représentons pas un réel marché ici, mais plutôt une plateforme et un tremplin. Sans richesse naturelle nous avons donc fait autre chose. »
Il fait une petite parenthèse humoristique : « On connait tous cet exemple de la mère juive qui pousse ses enfants pour réussir des études de médecine ou de droit. Hé bien, maintenant elle veut les voir créer leur start-up ! »
« La part du secteur des TIC (technologies de l’information et de la communication) est plus importante dans certains domaines que celle de la Finlande qui est en tête des classements dans le monde. Nous avons transformé les contraintes en avantages. Notre pays est jeune avec une moyenne d’âge inférieure à 30 ans, en Allemagne c’est plus de 45, c'est important !
On est le premier investisseur en recherche et développement devant la Corée du Sud et la Finlande. Plus de 300 centres de R&D d’entreprises internationales viennent chez nous. Les Américains furent les premiers, les Européens c’est plus long. Il y a le mythe du boycott arabe, mais on travaille tous les jours avec eux ! »
On est parti en route vers le désert plus au sud. Un désert minéral, constitué de cailloux et de rochers, parfois ponctué de vert sur la route : des zones expérimentales de plantation dans le désert ! Notre guide Yossi Dan, nous a éclairés sur le sujet, en racontant en chemin comment il avait effectué son armée dans un kibboutz avec un chercheur sur le blé décidé à retrouver les propriétés nutritives de celui des ancêtres. Il fallait alors irriguer judicieusement. C’est un autre chercheur : Simcha Blass qui a été le penseur, dès les années 60, d’un système d’irrigation étonnant au kibboutz Hatzerim. Ces travaux se sont matérialisés en une société, Netafim : une société d’irrigation israélienne (depuis rachetée par les Américains) qui fait fleurir le désert ou ailleurs/entre autres.
La passion de Yossi pour les nouvelles technologies est demeurée intacte depuis lors. Durant le voyage, il (nous) mentionne aussi la société Green Onyx qui envisage de réaliser via une imprimante 3D du « caviar vert » un aliment thaïlandais le Khai Nam.
Il est trop tentant de filer la métaphore, car si les start-ups sont souvent comparées à des graines, on parle aussi d’écosystème, de cette infrastructure quasi organique pour favoriser les éclosions économiques. Ce « miracle » entrepreneurial là dépend de beaucoup de facteurs.
Une expression privilégiée en Israël, comme en Californie, est le Bottom-Up pour signifier que les idées, comme les décisions, partent du bas pour aller vers le haut (un peu à l’opposé des politiques d’Etat trop souvent dirigistes selon les entrepreneurs). On est encore dans la logique de l’éclosion et pour que la graine du bas devienne plante (entreprise), il faut la nourrir. Elle ne grandira que si elle bénéficie des bons investissements. C'est un véritable jeu de jardinage organique que les VC, business angels cultivent (rien d’angélique dans leurs investissements, les financiers demandent un bon retour sur investissement si possible). C’est ce point fort californien qui fait son succès et qui existe aussi en Israël. Puis on peut jouer à déplacer ces plantations de ville en ville. Jouer à la smart-city...
L’occasion d’implanter dans une zone reculée, déserte rappelons-le, une activité de recherche et économique qui pourrait faire date. Dans ce cas, la décision infrastructurelle et politique est clairement du haut vers le bas, même si elle joue à terme sur l’idée de l’écosystème Bottom-up. L’université voit son démarrage favorisé par la présence d’une unité de renseignement de l’armée dans son voisinage, pas moins de 30 000 hommes ! Les transferts technologiques des universités israéliennes vers le monde de l'entreprise sont excellents, nous souligne-t-on.
« Bonjour ! » s’exclame Elise Donat, le représentante francophone des lieux. Puis très rapidement, elle glisse son slogan : « Demain, c'est aujourd'hui à Beer Sheva ! » À un long discours, on préfèrera plutôt constater que oui, ces jacarandas en fleurs et ces palmiers qui ornent le complexe architectural innovant du campus en plein désert sont bluffants !
Ici on s’enthousiasme pour telle société rachetée par PayPal ou l’implantation forte de Deutsche Telekom ou encore les projets gigantesques de la boîte américaine EMC. On vénère l’idée de créer un Cyber labs, car la cyber sécurité est fondamentale dans ce pays et prise en compte depuis 2001. C’est Yoav Tzruya qui nous fera un petit cours sur l’écosystème financier israélien à l’ombre d’un jacaranda. Il est partenaire de JVP Jerusalem Venture Partners, le fonds d’investissement leader en Israël basé à Jérusalem et localisé maintenant à Beer Sheva. Il détaille cette proximité de l’argent et des idées, une connivence qui fait des étincelles comme en Californie
Bientôt plus de batteries.
« Hey ! Tu as entendu parler de Stordot ? »
« Non, c’est quoi ? »
« C’est une start-up qui promet de charger son téléphone en 30 secondes ! »
« Ha cool ! »
« Ils ont fait une démo début avril ça ne marche qu’avec les Samsung pour l’instant. »
« Bon, bah je vais attendre encore un peu… »
On repart sur le chemin de ces tentacules technologiques qui sortent maintenant de Tel-Aviv, pour déborder du fameux Silicon Wadi et s’étendre dans tout le pays.
Même Jérusalem ?
«C'est bien la première fois que j'utilise le mot écosystème pour parler de Jérusalem », souriait humblement Yossi Dan, président de l'IE-Club de Tel-Aviv, quand il nous parlait des projets high-tech de la ville sainte. La visite guidée de Jérusalem dans ce périple technologique a pris l'allure d'une parenthèse respectueuse et rieuse grâce à un guide surchauffé et maîtrisant parfaitement son sujet.
C'est donc tout en souriant, au pas de course et dans une mutuelle compréhension entre gens de confessions différentes, que les quartiers ont été traversés, que l'étrangeté mystique des lieux a été commentée. Cette ville est tiraillée depuis des millénaires entre trois cultures. Elle est le berceau de religions, mais aussi le symbole de nombreux antagonismes.
Un peu plus tard dans la soirée à Yigal Arnon & Co, un des plus gros cabinets d’avocats d’Israël, avec 140 avocats spécialisés dans les fusions et acquisitions, on a pu entendre : « Jérusalem n'est pas une ville facile, mais si vous réussissez ici vous pouvez réussir partout. » Zohar Nevo, un jeune avocat du cabinet venu nous vanter les mérites économiques de sa ville, claironnait fièrement.
À nos côtés, 85 ans et l’esprit vif comme l'éclair, Sherwin Pomerantz s'amuse et dit :
« On a failli chanter New York New York ! »
Il enchaine : « On a eu l'expérience parfaite ici, un million de Russes sont venus chez nous ! »
Il ajoute « Je vais vous raconter une blague : On demande à un Russe comment était son travail en Russie : je ne peux pas me plaindre répondit-il. Et sa vie de tous les jours ? Je ne peux pas me plaindre... Et la nourriture ? Je ne peux pas me plaindre… Et le régime soviétique ?! Je ne peux pas me plaindre... Et d’être maintenant ici en Israël ? Ici je peux me plaindre ! Ah ah ah… »
Sur un ton plus sérieux il ajoute : « On a lancé un système d'intégration efficace, les ingénieurs des mines ou transports, on leur a donné des cours de software. »
Depuis 25 ans, Sherwin Pomerantz représente les intérêts économiques de six Etats des Etats-Unis. Des relations économiques très importantes pour ce pays. Il travaille aussi avec la Turquie et la Jordanie.
« Les liens économiques avec les USA et le Moyen-Orient sont très forts. Intel était en Israël dès les années 1970 à Jérusalem. » Intel va d’ailleurs construire pour 6 milliards une usine de semi-conducteurs dernier cri prochainement à Kiryat Gat.
« Les statistiques sont un peu folles ici, il y a une folie des start-ups. »
Pourquoi ? « On peut dire qu’ici on a une totale absence de honte de la chute. » Ce fameux « fail, fail harder » (se planter, se planter encore plus fort) qui est le motto des entrepreneurs américains qui veulent réussir à la fin.
Un credo américain ? Pas seulement, car les entrepreneurs israéliens en sont accros également.
Une histoire amusante circule aussi concernant cette vision de l’échec. Un investisseur avait décidé de parier sur un jeune qui avait une bonne idée et surtout une démarche talentueuse. Son projet a coulé. Un deuxième essai ? Réinvestissement et replantage. Une troisième fois ? Tout pareil dans les décors. Pour le quatrième projet, l’investisseur a décidé de finalement changer de cheval et la start-up a cartonné ! Il n'avait pas investi ou n’osait même plus en parler, souligne Yossi en riant...
On a écouté sérieusement Stav Erez nous vanter le potentiel de Jérusalem en tant que nouvel écosystème de start-up. Ils appellent cela déjà JNext pour Jérusalem Next, la nouvelle Jérusalem. « On est une communauté : One big happy family » explique-t-elle. « Tout le monde s'aide, c’est du Bottom up. L'argent n'est pas suffisant, la communauté compte. » Elle reconnait tout de même : « On manquait de lieu, on cherche, on va construire. » C’est certain, ils ont vu la mine d'or, l'opportunité de voir la ville changer comme à Tel-Aviv, mais quand on entend Stav Erez parler « d’homosexuels », en accrochant vaguement sur le mot, au lieu de dire tout simplement gays, on se dit qu'il y a encore quelques kilomètres à parcourir entre la ville sainte et la plage de Tel-Aviv.
Dernière matinée à l'Academic College Tel Aviv Yaffo, après avoir visité la veille, l'accélérateur Ecomotion à l'Université de Tel Aviv. Eyal Benjamin enseignant en stratégie a le sens de l’image et s’avère très pédagogue. Selon lui l’univers des nouvelles technologies et des start-ups « c’est comme en musique : on est soit passif : on l’écoute, soit actif : on en joue, soit créatif : on en compose. » Son programme universitaire c’est d’aider ses étudiants à faire du business. Il cite le livre d’Eric Ries, The lean start-up, sous-titré : comment les entrepreneurs d’aujourd’hui utilisent en permanence des innovations pour créer des entreprises radicalement gagnantes. On aime beaucoup son image concernant la fragilité des start-ups qui font rêver : « La start-up c'est compliqué et sensible comme votre genou ! »
Anne Baer du ministère français des Affaires étrangères s’est présentée quelques instants plus tard pour « parler aux entreprises qui cherchent à se connecter à l'écosystème israélien. »
Anne Baer explique : « On a une bonne recherche en France, mais sans doute du retard en transfert technologique. Je suis là pour valoriser la France ! » Non sans négliger quelques notions de développement durable appliquées au secteur, elle décrit son action comme telle : « Une création de valeur ajoutée technologique pour les deux pays. Une demande de recherche et développement jointe pour 28 projets soit 37 millions d'euros. » Ici elle : « renforce le dispositif d'aide français technologique, c’est une nouvelle priorité, la diplomatie technologique. »
Cela tombe bien, ils sont une petite dizaine à présenter leur start-up à l’audience. En trois minutes, top chrono, ils présentent leurs projets. On avait déjà repéré cette histoire de collecte d’ADN des chiens pour verbaliser les cacas non ramassés, là c’est Dogiz qui simplifie la vie des petites bêtes, les soigner ou les promener. On parle aussi de selfies animés avec Emu. D’une selle antivol astucieuse Seatylock. Avec Spotad c’est publicité en mobilité. Vidéo dubber, des doublages de voix vidéo en instantanés. Winkapp propose de faire sortir le offline online, en gros tout ce que vous lisez sur papier peut se transformer en lien hypertexte. Plus de repos possible !
On a envie de leur suggérer de monter également une application permettant aux gens d'éteindre leur téléphone pendant les évènements publics.
Lors d'un déjeuner, une attachée de presse israélienne qui nous avait fait part des circonstances de son alya, nous a déstabilisés avec une question pourtant très simple.
« Alors comment trouvez-vous le pays !?! » Nous a-t-elle demandé avec des yeux perçants et un désir de réponse franche. « Ça va, il fait vraiment super beau aujourd'hui, mais il a un peu plu hier quand même », a-t-on dit en souriant histoire de botter en touche.
« Quoi ?! C'est tout ce que vous avez comme ressenti ? » On lui dit alors qu'on s'est baigné dès notre arrivée à Tel-Aviv sans doute parce que le temps à venir allait être compté, mais aussi surtout parce que la plage était franchement accueillante. Elle a souri, le regard adouci.
C'est un air de Cole Porter joué par Nina Simone qui curieusement nous a envahi l'esprit à l'aéroport sur le chemin de retour. On avait osé, sans regret, le falafel à proximité du duty free. Et sur le tapis roulant des notes de musique se sont enchaînées. Un morceau de piano joué en concert en 1960 par la diva qui se débattait avec le mélodrame de sa vie sentimentale, voire musical. Flirtant parfois dangereusement avec la fausse note, Nina Simone peut à tout instant de ce morceau vous arracher des larmes ou vous faire frissonner d’inquiétude tant elle semble au bord du gouffre. Trois minutes vingt d'intro au piano obsédant avant l'intervention vocale de la grande dame qui réclame le retour, de sa voix la plus puissante, de (c'est selon) son amant, son enfant, ses rêves ou bien son ancienne vie perdue. You'd be so nice to come home to. Tu serais bien gentil de rentrer à la maison. Shalom ! comme ils disent.
On s'est raccroché à un voyage découverte pour professionnels pour faire ce voyage. A l'instar des « eductour » dans le secteur du tourisme qui permettent aux professionnels du domaine de découvrir une ville ou un pays, le genre de voyage que propose l'IE-Club et Challengy permet d'avoir un regard sur un écosystème particulier en l'occurrence Israël. Nombreux sont les investisseurs ou chefs d’entreprises à effectuer ce genre de déplacement pour découvrir la flamboyante Californie. C’est sans doute moins le cas pour Israël, un écosystème peu visible de l’extérieur, mais grandement vanté par nos interlocuteurs californiens néanmoins.
Ces entrepreneurs bénéficient de l’appui de Nicole Guedj qui à la tête de la fondation France Israël créée avec Jacques Chirac cherche à mettre en relation les entreprises entre elles. Isralink, un lien vers Israël sert ainsi à accroitre les relations bilatérales qui « sont très volontaires » et « permettent de mieux se connaitre, d’avoir un regard neuf avec moins de préjugés » nous a expliqué Nicole Guedj. Les entrepreneurs profitent aussi des conseils du président de la chambre de commerce franco-israélienne Henri Cukierman, ancien banquier d’affaires.
Les participants de ce voyage sont des amoureux des nouvelles technologies et d'Israël sans en connaître parfaitement les contours économiques. Chef d'entreprise à succès, en mode reconversion pour d'autres, à la recherche d’un tremplin ou de projets d’investissement, c'est un groupe d'une dizaine de personnes qui s'est interrogé pendant quatre jours sur l'économie israélienne en cherchant des solutions de partage a l'extérieur. Un voyage dans lequel on s’est discrètement incrusté, nous les en remercions.
© 2015
Auteur (texte et photos) : Thomas Bourdeau – France Médias Monde
Edition et scénarisation : Latifa Mouaoued - RFI
Conception, graphisme et développement : Studio Graphique France Médias Monde
Intégration : Léo Deverne - Absolight