« Féerie », 15 ans de magie

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Ancienne Doriss Girl, Janet Pharaoh a pris la succession de Doris Haug en 1997 en tant que maîtresse de ballet. Devenue directrice artistiques associée, elle a participé à la création de la revue « Féerie » en 1999 et continue à la superviser. C’est aussi elle qui organise les auditions des danseuses à travers le monde et qui procède à la sélection. Janet jouit d’une expérience incomparable dans le métier et porte ici un regard aiguisé sur l’institution Moulin Rouge.


Janet Pharaoh, vous êtes Anglaise et vous travaillez au Moulin Rouge depuis déjà un certain nombre d’années. Vous avez occupé pas mal de rôles déjà ?

J’ai commencé ici en tant que danseuse, puis en tant que « capitaine de ligne ». Ensuite, j’ai eu la possibilité de devenir soliste et de remplacer la meneuse. Et en 1997, à la retraite de mon prédécesseur, Madame Doris Haug, on m’a proposé de prendre sa place comme maîtresse de ballet. J’ai toujours gardé un grand intérêt pour ce spectacle, j’ai toujours été très « participante », surtout pour ce qui concerne les montages et les créations de spectacle. Au fur et à mesure, j’ai avancé dans ma position pour être aujourd’hui directrice artistique associée.

Janet Pharaoh dans la revue « Femmes, Femmes, Femmes »

Je dois dire que je n’ai pas commencé ma carrière au Moulin Rouge. J’ai commencé avec Madame Doris Haug, à Monte Carlo. On changeait souvent le spectacle, tous les trois mois, mais c’étaient des spectacles beaucoup plus modestes, rien à voir avec le Moulin Rouge ! J’appréciais son travail et la collaboration qu’il faut pour monter un spectacle. Je viens du nord de l’Angleterre, du Yorkshire, de Leeds précisément, mais j’ai pratiquement fait toute ma carrière en France, à part un petit moment en Espagne.


Il y a une grosse différence entre le spectacle de cabaret parisien et le music-hall anglo-saxon ?

Une énorme différence, ça n’a rien à voir ! Une comédie musicale, c’est une histoire, cela se passe dans un théâtre. Et c’est une histoire avec des textes, avec de la musique ou des chansons. La musique et la danse aident l’histoire. Quand vous avez une revue comme la nôtre - ce que les gens ne voient nulle part maintenant - il y a beaucoup de décors, il y a beaucoup de changements, il y a beaucoup de costumes. C’est très basé sur une bonne musique variée, sur une chorégraphie variée, et surtout sur les costumes. Et puis l’autre différence, c’est il y a beaucoup de monde sur scène.

Quand on fait une comédie musicale, on a une histoire, mais si on n’a besoin que de dix personnes sur scène, on n’a que dix personnes. Souvent le maximum c’est vingt-quatre personnes.



Ici, on est par moments soixante sur scène.

C’est la danse et c’est la ligne – ce que l’on appelle le « chorus line » – qui est la plus importante quand on fait le cancan. C’est cette ligne, cette masse dans la troupe qui fait le spectacle, autant qu’une soliste ou une meneuse. Mais ce n’est pas comme dans une comédie musicale qui tient grâce à la musique et où c’est l’acteur ou le héros qui est le plus important. C’est vraiment très différent. Ici, au Moulin Rouge, on peut dîner, on peut danser. Ce n’est pas exactement du music-hall. Le cabaret, c’est une combinaison entre ce qu’on appelait dans le passé un « floor show » où vous aviez un endroit où vous pouviez dîner et danser et du music-hall.


À quoi attribuez-vous le succès incroyable du Moulin Rouge qui fête ses 125 ans cette année et qui ne se désemplit pas ? C’est plein tous les soirs !

D’abord c’est un lieu qui a une histoire. Ça crée quand même une ambiance. Il y a aussi la curiosité de voir cet édifice qui a, certes, un peu changé au cours des années, mais où l’esprit est resté le même. C’est différent. Même si le spectacle reste le même, il y a beaucoup de gens qui reviennent parce que, comme c’est un grand spectacle qui a beaucoup de contenu, on voit quelque chose de différent à chaque fois. Et il y a aussi la qualité du spectacle en lui-même. Ce n’est pas uniquement destiné aux les touristes, c’est un vrai spectacle avec une musique originale.

Et avec une ou deux adaptations de chansons que les gens connaissent, vers la fin de la représentation, car le public aime bien ça aussi. Et puis il y a la bonne qualité des costumes, la bonne qualité des artistes dans la troupe et beaucoup de monde sur scène. Ça, c’est de plus en plus rare ! Et puis aussi les changements de décor. C’est fun ! Vous pouvez venir plusieurs fois et vous passerez chaque fois un bon moment. On rit, on se peut parler pendant le spectacle, on applaudit et à la fin, on sort avec le sourire.


Dans votre rôle, il y a différentes fonctions. Vous travaillez la chorégraphie, mais vous vous chargez aussi de recruter les danseuses et les danseurs. Expliquez-nous cet aspect de votre travail …

La plus grande partie de mon travail, c’est de maintenir la troupe à niveau. Et pour ça, on doit auditionner de nouveaux artistes. Je cherche partout dans le monde, j’essaie d’avoir les meilleures danseuses, surtout celles avec le potentiel de se développer et de devenir des meneuses et les solistes. Parce que la carrière d’une danseuse est courte.

Audition en Australie en août 2014

Et puis il y a des danseuses qui sont vraiment des artistes, qui aiment bien changer de revues donc qui nous quittent pour pouvoir voyager. Certaines embarquent sur des bateaux de croisière, ou vont à New York. On aime bien changer aussi notre staff parce que ça garde le spectacle frais. Deux représentations par soir, pour un artiste, c’est difficile, vous savez.


Monsieur Clerico m’a dit qu’il y avait un turnover de 40 % par an, c’est ça ?

En réalité, ça dépend. Ça peut aller jusqu’à 40 % et même des fois, un peu plus, des fois un peu moins que ça. Ça dépend aussi vraiment des situations familiales de chacun.


Cela prend combien de temps par exemple à une danseuse qui arrive de Las Vegas ou de Londres pour intégrer le show, et tout de suite s’adapter au spectacle, être dans le tempo ?

Ça prend quatre semaines. Et le plus long dans tout cela, c’est le cancan parce que, sauf à de rares exceptions, elles n’ont jamais dansé le cancan avant. C’est une technique très spécifique, car c’est un rythme très rapide. Pour ce qui concerne le reste de la danse, ce sont des danseuses professionnelles, vous savez. La plupart d’entre elles dansent depuis l’âge de cinq, six ans. Elles ont passé des examens, elles ont des diplômes, ce sont des danseuses et elles ont été choisies parce qu’elles savent danser tous les styles, du ballet classique au modern jazz, jusqu’au hip-hop. Mais elles apprennent vite.

Monsieur Clerico est toujours étonné de voir la rapidité avec laquelle elles apprennent. Mais c’est ça, leur métier ! Elles ont déjà fait dix ans d’entraînement, des heures et des heures par semaine. Ici il faut bien réaliser qu’on n’est pas une école de danse, on ne prend que des professionnelles ! Après, il y a certaines choses qui sont différentes, qui sont spécifiques au Moulin Rouge : le cancan et bien sûr aussi la présentation, notre style, la façon dont on veut que les artistes se comportent sur scène. Mais en général quatre semaines, ça suffit pour intégrer la revue.


Beaucoup de vos danseuses sont Australiennes ou Anglaises …

Ça dépend des années. L’année dernière, je suis allée auditionner en Australie. Donc vers la fin de l’année prochaine, on va avoir probablement beaucoup d’Australiennes. Après c’est le tour du Canada ou la Scandinavie ou l’Angleterre.

Ça varie en fonction des endroits où je fais passer les auditions. Mais il y aussi pas mal de Françaises dans la troupe. Mais ça peut varier. En ce moment, c’est vrai qu’il y a un bon nombre d’Anglais et d’Anglaises, mais on a quatorze nationalités différentes sur scène, dont beaucoup de Français aussi.


Qui décide du pays où se déroulent les auditions ?

Ça, c’est moi qui décide. Je ne vais pas aller tous les ans en Australie parce que, sinon, je vais auditionner les mêmes filles. Alors j’y vais en général tous les deux ans, mais j’attends qu’il y ait assez de monde dans tous les CV qu’on reçoit. On en reçoit des centaines sur notre site web avec les formulaires pour les auditions. On les tient informés. Ici en France, je fais trois ou quatre auditions par an, parce que je suis sur place. En général, il y a un moment où mon assistante vient me dire, ‘j’ai une pile énorme de CV, regarde et élimine un peu celles qui ne sont pas au niveau’ ».

Déplacement pour un gala en Italie à Rome, en 2014


Combien recevez-vous de CV par mois, ou par an ?

Je n’ai jamais vraiment compté. Mais je sais qu’en 2014, j’ai auditionné 650 personnes pour vingt places au maximum à pourvoir. Ça varie selon les années. Ça peut être vingt places, vingt-cinq places à pourvoir dans l’année. Mais ça peut aussi être zéro place. C’est déjà arrivé ! ».


Comment se passent ces auditions ? Qu’est-ce que vous regardez en particulier ?

Quand on voit les filles, on peut dire d’abord ‘oui, celle-là m’intéresse’ parce qu’elle est grande, elle est belle, elle a un joli physique. Mais après, quand elle commence à danser, il y en a avec lesquelles on est vite déçus. C’est facile de reconnaître une bonne danseuse qui a tout ce qu’il faut. Mais parfois, surtout quand elles sont jeunes, il faut laisser passer du temps dans l’audition parce qu’il y en a qui sont très nerveuses au début. Et ça leur prend du temps ça, c’est le feeling…

Parfois, on en a qui sont trop petites ou qui n’ont pas le physique, ou qui ne savent même pas faire de pirouettes. Là, évidemment, c’est ‘non’ tout de suite ! Mais souvent, il arrive qu’une fille qui n’était pas trop bien au début devienne finalement la meilleure de toute l’audition, une fois qu’elle est plus relax. D’une façon générale, on fait appel à tous les styles de danse, il faut qu’on voie les techniques de base, le classique, le hip-hop. Et il faut aussi qu’on discerne la musicalité et surtout la personnalité. Ça, c’est très important !


Vous avez fait une longue carrière sur scène. Ça ne vous manque pas ?

Non pas du tout. J’ai la chance de continuer dans le show-business dans un rôle différent. Mais c’est vrai qu’il y a parfois ce moment de paix intérieure qu’on éprouve quand on est sur scène qui me manque un peu. Parce que, une fois qu’on est sur scène, il n’y a personne pour venir vous parler. On ne parle pas sur scène, on fait juste notre performance.

Janet Pharaoh dans la revue « Femmes, Femmes, Femmes »

On est dans un groupe et on est quelqu’un d’autre. Il y a une certaine paix à ce moment-là qui s’installe, et c’est quelque chose qui me manque parfois, oui. Parce qu’on est dans un autre monde dans ces moments-là. Mais sinon, il arrive toujours un moment où mettre les faux cils, enfiler les strings et les collants résille tous les soirs, on n’en a vraiment plus envie.


Il y a eu un moment particulier où vous vous êtes dit : ‘ça y est, j’arrête, c’est fini’ ?

Pour moi, non. Parce que j’ai eu toute de suite ma promotion dans le spectacle. Quand j’ai eu cette promotion, monsieur Jacki Clerico m’a demandé de rester sur scène, tout en faisant mon rôle de maîtresse de ballet. Là, je lui ai dit,

Quand on fait une comédie musicale, on a une histoire, mais si on n’a besoin que de dix personnes sur scène, on n’a que dix personnes. Souvent le maximum c’est vingt-quatre personnes.

Je ne peux pas être à la fois sur scène et dans le bureau’. Alors, j’ai dit : non ! Même si j’avais eu deux salaires, ce qui n’était pas le cas, j’aurais dit non. Donc je ne suis jamais passée par ce moment-là. Mais c’est sûr qu’il arrive toujours un moment critique. C’est quelque chose qui est très difficile pour les danseuses qui avancent en âge. Il faut vraiment bien savoir se regarder dans le miroir.


Cela doit être très difficile à gérer humainement? Comment ça se passe ? On doit dire à une danseuse d’arrêter. Ou c’est elle, d’elle-même, qui le sait ?

C’est très délicat. Vous espérez que c’est elle-même qui va le faire. J’essaie de parler, mais il faut faire attention à ce que l’on dit. C’est très difficile, même d’un point de vue légal parce que, dans le droit français du travail, on ne peut pas obliger quelqu’un à arrêter la scène pour une question d’âge.



Le problème, c’est que la plupart des gens ne se voient pas vraiment tels qu’ils sont.

C’est humain. Mais au Moulin Rouge, le personnel a des possibilités de plan de carrière. On organise des formations pour les reconversions, à nos frais. On paie pour ce genre de choses. Il y a des danseurs et des danseuses qui sont intelligents et qui en profitent pour organiser leur rupture conventionnelle. Mais il y en a, en effet, qui ne se regardent pas bien dans le miroir. Pourtant, il faut être réaliste. Il y a un moment où l’on n’a plus l’énergie, physiquement, pour lever la jambe …


C’est comme pour un athlète de haut niveau ?

Voilà. Il y a un moment où il faut regarder autour de vous et dire ‘il y a des jeunes à côté, moi je ne me sens pas bien’. Et il faut partir en gardant toujours le respect et la fierté de ce que les autres gens pensent. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. C’est un souci de tous les jours.


Le Moulin Rouge, c’est quand même une grande famille. Tous les gens que nous avons rencontrés nous ont dit la même chose …

C’est une grande famille. Et c’est une entreprise familiale, ce qui est rare de nos jours. Ça change toutes les perspectives. Et c’est une grande famille qui grandit tout le temps. Avant, on connaissait tout le monde. Mais maintenant, il y a des fois où on ne connaît plus tout le monde. C’est difficile de continuer à se développer, mais c’est normal. Personne ne veut rester immobile non plus. On cherche toujours à innover, à s’agrandir, mais avec cela apparaissent d’autres problèmes parce que, quand vous vous agrandissez, cela signifie aussi que vous embauchez plus de monde. Comme c’est une entreprise familiale, on essaie quand même de toujours garder la même ambiance.

Le meilleur exemple ce sont les arbres de Noël. On a les meilleurs arbres de Noël du monde ! Il y a, tous les ans, un spectacle créé par les salariés eux-mêmes, des brigades de maîtres d’hôtel jusqu’aux bureaux. Tout le monde participe et ce sont de grands moments. On en revient toujours au fait qu’ici, au Moulin, il y a une histoire. Et puis on sait qu’on a la chance d’être bien traités ici. Les salaires sont bons, très bons même. Et il y a aussi un respect. Tout le monde est respecté par la profession. Nous avons beaucoup de corps de métier ici : de la fabrication des chaussures, aux plumes, aux costumes, les brigades, les cuisines, c’est énorme ! Espérons que, tout en grandissant dans les prochaines années, l’esprit va rester le même. C’est aux gens de la direction de garder cet esprit et la motivation.