Pollution minière en France

Scandale environnemental
à la porte des Cévennes

Déroulez pour naviguer

Saint-Félix-de-Pallières, Thoiras : deux communes rurales du piémont sud-est des Cévennes, ancien pays minier (zinc et plomb), reconverti en écrin touristique.
L’exploitant belge est parti en 1971, en laissant derrière lui près de 3 millions de tonnes de déchets contaminés. Il en a enfoui une partie, sans le reconnaître. Ces résidus recèlent des concentrations hautement toxiques d’arsenic, cadmium, antimoine, thallium, plomb…

Seuls, quelques scientifiques indépendants s’en alarment. Depuis plus de 40 ans, l’Etat fait preuve de passivité, alors que deux ministres de l’Ecologie ont été personnellement alertées : l’UMP Nathalie Kociusco-Morizet et la socialiste Delphine Batho.

Que l’une ou l’autre ait ou non tenté d’agir, il n’est manifestement pas question de fâcher un industriel très puissant sur lequel la France compte pour son « redressement productif » minier. Pas question non plus d’ouvrir la porte à des dizaines de dossiers similaires, rien que sur la ceinture cévenole… des dizaines de milliers dans l’Hexagone. L’ardoise financière serait énorme et les procès nombreux contre l’État et les entreprises.



1. Le visible et le caché


Entre garrigue et forêt, Anduze est nichée au creux de la vallée du Gardon. Petite ville d’à peine 3400 habitants, paisible l’hiver, très animée l’été. Fréquentée par de nombreux touristes, sur le chemin du jardin exotique réputé de La Bambouseraie et sur la route du Parc national des Cévennes, l’un des joyaux du tourisme vert à la française, dont la région offre un avant goût.

“La prise de conscience locale n’est pas quelque chose d’évident.”

Bonifacio Iglésias, maire d'Anduze depuis 2008

Mais sous les pins, les châtaigniers ou les chênes, certains territoires s’avèrent préoccupants : ceux des mines de zinc et de plomb, qui ont marqué l’histoire locale et dont il ne reste, à Anduze, que des souvenirs. Quelques traces aussi sur les hauteurs, à l’ouest, à Saint-Félix-de-Pallières et à Thoiras, les deux principales communes de l’ancienne exploitation.


La mine Joseph, la plus au sud, a été abandonnée en 1955. Celle de La Croix-de-Pallières , surnommée mine de la « Vieille Montagne », du nom de l’exploitant belge, a fermé, en 1971. Jusqu’à 150 mineurs, ingénieurs et techniciens ont travaillé sur le site. Avec cantine, douches, magasins, scierie pour les étais , laboratoire. Il n’en reste rien. Les puits ont été obturés, des galeries volontairement effondrées et tout le bâti, à l’exception de quelques murs et logements, a été rasé au début des années 90 par l’industriel, devenu Union Minière.

La société Umicore





“L’information” Umicore : pas un mot de la contamination ni de la toxicité du sol.


Les bâtiments ont disparu et des déchets miniers, en très grande quantité, ont été dissimulés sous la végétation. Entre 1994 et 1997, Union Minière a ainsi fait recouvrir près d’un million de tonnes de résidus de laverie : sa digue à stériles . Un chemin passe sur cette colline artificielle. Un autre la longe, sans que les panneaux du groupe, propriétaire de la parcelle et rebaptisé Umicore en 2001, relatent quoi que ce soit de l’histoire industrielle du lieu et avertissent de sa toxicité.

“Le chemin communal, circuit de randonnée de référence nationale.”

Wilhem Sunt, habitant de Thoiras



Plus grave encore : l'industriel a enfoui une partie de ces déchets très contaminés et polluants.





“Ils avaient fait des montages exprès.”

Jean-Pierre Jean, mineur à La Croix-de-Pallières de 1956 à 1970



Umicore : ni aveu, ni démenti

Guy Ethier, vice-président du groupe Umicore. Bruxelles, 24 janvier 2014


«Je ne peux pas vous dire, mais on va vous répondre », affirme le vice-président du groupe Umicore, Guy Ethier, le 24 janvier 2014, à Bruxelles. Elle arrive par écrit, cette réponse, 17 jours plus tard.

La réponse écrite d'Umicore, le 10 février 2014

“Nous ne sommes (…) plus disposés à répondre à toute autre question de votre part.”

Extrait de la lettre Umicore



Le courriel d'Umicore


L'industriel a, brutalement, fermé la porte à tout contact. Le témoignage de Jean-Pierre Jean n’en reste pas moins ferme. Corroboré par un autre mineur, André Baconnier, 86 ans, dont 24 passés au fond de la mine de La Vieille Montagne. Il confirme les propos de son ancien collègue et évoque même d’autres enfouissements.

“Bien sûr qu’il en est resté des produits chimiques.”

André Baconnier, ancien mineur





Ces pratiques ont existé, en dehors de tout contrôle et sans information appropriée de la part des industriels.

“Faire parler la mémoire encore vivante.”

Patrice Piantone, géologue et spécialiste des déchets miniers au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)




Mineurs au fond, à la mine de La Croix-de-Pallières, en 1965

Le témoignage des mineurs est d’autant plus précieux que rares sont les promeneurs ou les résidents, sur l’ancien carreau de la mine, à savoir que les sables gris, omniprésents, sont très contaminés.

Là même où stationnent, depuis plus de 10 ans, en camionnettes ou caravanes, des adultes et des enfants. Ils sont une dizaine, l'hiver, bien plus nombreux, dès le printemps, attirés par le site et par les fêtes musicales, dont un « Funky Freaky Festival » renommé parmi les amateurs européens de musique alternative.







Pour le reste, et à vrai dire pour l’essentiel de la pollution, à La Croix-de-Pallières comme à la mine Joseph, ce sont le courage et la ténacité de deux habitants, qui ont permis d’en prendre la mesure : Johnny Bowie, ancien guitariste professionnel, et sa femme Gisèle, une enfant du pays. Lanceurs d’alerte, malgré les dénigrements d’une partie du voisinage, d’élus locaux et des services de la préfecture.

Malgré les pressions, aussi, et, parfois, des menaces, Johnny Bowie consacre presque tout son temps, depuis plus de 5 ans, à cette bataille : faire reconnaître la réalité nocive des friches industrielles de Thoiras et de Saint-Félix-de-Pallières.

“C’est très contaminé, ici.”

Johnny Bowie, lanceur d’alerte





2. Danger : territoires toxiques




Exploitée de 1848 à 1971, la mine de La Croix-de-Pallières , aux confins des communes de Saint-Félix et de Thoiras, a produit, à elle seule, 80 000 tonnes de zinc et 34 000 tonnes de plomb. On en a extrait également 520 tonnes de cadmium, 30 tonnes d’argent et, enfin, 28 tonnes de germanium.


Le traitement des métaux a occasionné d’importantes contaminations : près de deux millions de tonnes de déchets toxiques, des fines de mines , dont la moitié constituent la principale digue à stériles .


Depuis plus de 10 ans, des roulards stationnent sur les sables contaminés de l’ancien carreau de la mine.

Le reste a été soit enfoui, soit déposé, de l’autre côté du chemin, sur la plateforme, qui fait office d’aire d’accueil pour une association locale. Soit, encore, utilisé comme un sable de remblai, à la fin de l’exploitation.



“Ils ont étalé la pollution.”

Christian Sunt, gérant du groupement foncier agricole (GFA) "La Gravouillère", à Thoiras.


À ces 2 millions de tonnes de stériles de laverie , à La Croix-de-Pallières , s’ajoutent les déchets de la mine Joseph, à moins d’un kilomètre au sud, sur la commune de Saint-Félix. Quelque 600.000 tonnes de fines supplémentaires, qui, avec la même évidence, contaminent l’eau, l’air et les sols.

Il faut pourtant attendre décembre 2008 pour disposer, publiquement, d’une première étude environnementale, partielle mais suffisante pour prendre la mesure de la pollution. C’est l’expert public français de l’après-mine, Géodéris, qui réalise ce travail, dans le cadre d’un "inventaire des risques miniers environnementaux" pour la région Languedoc-Roussillon.

Le rapport Géodéris

La commande de cet inventaire par la Drire , remonte à 2004. Les résultats, pourtant alarmants sur les anciens sites de Saint-Félix et Thoiras, ne déclenchent aucune action publique à la mesure du risque avéré pour la santé humaine.

La lettre préfectorale aux maires, 2008

“On voit bien qu’il y a de l’arsenic, du cadmium et plein d’autres choses sympathiques.”

Gérard Rossignol, maire de Saint-Félix-de-Pallières de mars 2008 à mars 2014.

Il faudra attendre encore trois ans pour que des scientifiques indépendants traduisent les données brutes de Géodéris. Grâce à Johnny Bowie, habitant de Saint-Félix-de-Pallières, qui attire l’attention d’un jeune ingénieur des mines, Stéphane Garcia.


  • Sans l’acharnement de Johnny Bowie, propriétaire d’une maison à Saint-Félix-de-Pallières, pas  d’étude indépendante.
  • Sans l’analyse environnementale de Stéphane Garcia, pas de diagnostic réellement scientifique sur la pollution de l’ancien site minier.

Familier de la région et sensible aux questions d’environnement, Stéphane Garcia s’empare des mesures et des analyses effectuées par Géodéris et réalise une IEM, une interprétation de l’état des milieux, qui confirme, dans un langage accessible à tous, la nocivité des lieux pour la santé humaine.

L'étude environnementale de S. Garcia, 2011


Ce travail reçoit le soutien de deux toxicochimistes, parmi les plus connus d’Europe pour leur engagement dans les dures batailles pour la reconnaissance des maladies professionnelles, des empoisonnements chimiques de notre alimentation et des pollutions industrielles : Jean-François Narbonne et André Picot , président de l’ATC, Association toxicologie-chimie, qui va abriter en 2011 le premier dossier consacré au site gardois.

L'article scientifique de l'ATC sur Saint-Félix


“Qu’on ne laisse pas stationner des enfants, des femmes enceintes !”

André Picot, toxicochimiste.

L'article des trois scientifiques est sans appel : le site minier est très fortement pollué et, par conséquent, inhabitable. Les sols sont contaminés. Mais également l’eau aux couleurs parfois hallucinantes et à l’acidité extrême.


“Cette eau peut attaquer les mains.”

Séverin Pistre, hydrogéologue de l’université de Montpellier 2

Eaux, terres et poussières polluées, la mine s’est, tout aussi dangereusement, rappelée au souvenir des riverains et des promeneurs dans la nuit du 4 au 5 octobre 2013. L’obturation du puits n° 1, celui de l’ascenseur principal de l’exploitation, s’est brutalement dérobée, laissant un trou béant de 3,5 à 4 mètres de diamètre, sur une profondeur de plusieurs dizaines de mètres. Un avertissement spectaculaire, sur ce site à la pollution cachée et volontairement minimisée.





3. Les manquements de l’État



Un mélange de colère et d’indignation : voilà ce qu’éprouve Johnny Bowie, depuis 2008. Depuis qu’il a eu en main la première preuve formelle, et officielle, de la très forte pollution des anciennes concessions minières de Thoiras et de Saint-Félix-de-Pallières, où se trouve sa maison, « devenue » inhabitable.

“C’est une honte !”

Johnny Bowie, lanceur d'alerte.



Ce document-déclic, c’est le « rapport Géodéris », du nom de l’expert public de l’après-mine en France, chargé par la Drire Languedoc-Roussillon de recenser, ancien site d’exploitation par ancien site d’exploitation, les risques d’effondrement et de pollution.


Le rapport Géodéris


Le travail a été commandé en 2004, réalisé en 2007, officiellement remis au préfet du Gard en mars 2008 et communiqué aux mairies de Saint-Félix-de-Pallières et de Thoiras en décembre 2008.

 


La chronologie est intrigante.
Et le silence après publication, total.



Historique d'un rapport non daté



Il faut l’acharnement d’un Johnny Bowie pour sortir le document du tiroir où il a été oublié, à la mairie de Saint-Félix, pour en mesurer l’importance et parvenir à le confier à des scientifiques indépendants. Plus de deux longues années d’efforts avant que la pollution des friches minières soit, pour la première fois, médiatisée.


Article Midi Libre du 5/07/2011


L'information est alors encore très partielle et, à l’évidence, au service d’un seul et unique objet : la querelle de voisinage, qui oppose la majorité des 229 habitants de Saint-Félix aux « teufeurs » comme tout le monde appelle les membres des associations créées sur l’ancien carreau minier et les nomades, marginaux et amateurs de fêtes « techno », qui y résident plus ou moins longtemps.


3e Funky Freaky Festival, organisé par "Les Frangins Frendleaks", sur le site minier de Saint-Félix-Thoiras (août 2010).

Les fêtes et autre festival annuel organisés sur le site minier sont fréquents. Comme partout ailleurs, ils intéressent les trafiquants de drogue, d’autant que la réputation du « spot » est européenne, depuis une rave party mémorable, qui avait attiré plus de 5 000 fêtards en octobre 1999. La pollution n’a d’ailleurs été invoquée que dans ce cadre par les pouvoirs publics.


“S’il n’y avait pas eu une problématique sociale…”

Bonifacio Iglésias, maire d’Anduze depuis 2008.



“… Personne n’aurait sûrement rien remarqué.”

Lionel André, maire de Thoiras depuis 2001.

L'incompréhension est palpable et parfois même la colère contre le silence, qui a si longtemps régné.


“Un préfet qui vient vous dire :  'Tout est dans les normes', c’est pas possible !”

Gérard Bouchacourt, médecin généraliste pendant 30 ans à Anduze.

L'information fait totalement défaut sur le site, pour les promeneurs, les touristes, les écoliers de la région, les chasseurs, les cueilleurs de baies sauvages ou de champignons.


“Un terrain totalement pollué de cette nature doit être interdit.”

André Picot, toxicochimiste, CNRS


Aucune précaution particulière, ni aucune mise en garde n’ont succédé à la publication du rapport Géodéris en décembre 2008. Hormis son envoi, en … 2011 aux responsables du groupement foncier agricole (GFA), propriétaire d’une partie des anciens territoires miniers, et des associations qu’il héberge.


Rien non plus, depuis l’IEM, l’Interprétation de l’état des milieux, menée en 2012-2013. Une étude commandée au bureau d’études privé ICF Environnement, très critiquée et sujette à caution, mais qui a confirmé la dangerosité du site de La Croix-de-Pallières. Rien, sinon un arrêté préfectoral surréaliste d’août 2013, mettant le GFA en demeure de clôturer deux parcelles. Injonction retirée d’ailleurs en décembre, sous la menace d’une annulation par la justice administrative.


Étude environnementale officielle de 2013


 Caravanes, camions, jardins potagers : la reconnaissance du risque sanitaire ne change rien.

Le carreau de la mine est donc toujours habité et la digue d’un million de tonnes de déchets toxiques, en face, toujours accessible. Comme le chemin communal. Comme l’ensemble des zones polluées.

Malgré l’étude environnementale Géodéris de 2008. Malgré celle de 2013. Malgré aussi des alertes, comme les analyses médicales effectuées, en juillet 2012, par François Simon, médecin et membre de l’association des Riverains des Mines.


Près d’un tiers des analyses médicales volontaires se sont révélées anormales.



François Simon, médecin et habitant de Saint-Félix-de-Pallières.

Aucune enquête épidémiologique n’a été ordonnée. L’Agence régionale de santé a tout juste proposé un suivi médical, pour un riverain du site minier. Un enfant, imprégné au plomb.






4. L'information manipulée



Le sous-préfet du Vigan l'affirme : les seuls terrains pollués des anciennes concessions minières de Thoiras et de Saint-Félix-de-Pallières (les deux communes font partie de sa circonscription administrative) sont deux parcelles appartenant au Groupement foncier agricole (GFA), La Gravouillère. Pas n'importe lesquelles : l'une coïncide avec l'espace associatif, qui accueille temporairement des « roulards  » sur l'ancien carreau de la mine; l'autre, en contrebas, abrite l'une des deux scènes musicales, dédiées aux multiples fêtes organisées sur le site.

Pollution politiquement correcte


L'arsenic, l'antimoine, le cadmium, le thallium ou encore le plomb des anciennes mines auraient donc compris qu'il était préfectoralement proscrit de se manifester hors des limites de ces deux territoires.

“Je ne sais pas d'où ça sort !”

Carole Salvio, médecin inspecteur de santé publique, Agence régionale de santé (ARS) Languedoc-Roussillon, 25 octobre 2013.


Le propos est tellement biaisé, qu'il va jusqu'à contredire l'étude environnementale de l'ancien site minier commandée en 2012 au BRGM . Il met dans l'embarras les services publics mobilisés sur le dossier et d'autant plus gênés que la préfecture du Gard a diffusé le travail confié par appel d'offres au bureau d'étude privée ICF Environnement de bien étrange manière. De rares médias, dont RFI, ainsi que la commune de Thoiras l'ont obtenu, courant octobre 2013 (encore incomplet : des mesures, effectuées en août et octobre 2013, seront rendues publiques, séparément, en mars 2014. Le maire de Saint-Félix devra patienter jusqu'à la mi-décembre.

La commune voisine de Tornac, elle aussi concernée par les analyses, recevra les documents le… 24 avril 2014. Et le Conseil général du Gard, qui les sollicitait depuis l'automne 2013 et dont les locaux jouxtent la préfecture, à Nîmes, ne les avait toujours pas obtenus, le 15 mai 2014.

L'usage discrétionnaire et abusif de cette interprétation de l'état des milieux (IEM), conduit d'ailleurs la préfecture du Gard à de grossières erreurs.

Arrêté préfectoral du 27/08/2013

Ainsi de l'arrêté du 27 août 2013, intimant au GFA géré par Christian Sunt de clôturer les deux seules parcelles qui « poseraient problème », selon le représentant de l'État. En se référant au rapport BRGM/ICF, l'arrêté en fait dès lors un document public. Or, le 4 juillet 2013, date de la remise officielle du rapport, seul le préfet en a connaissance. Et pour plusieurs mois encore. D'où un recours en annulation de l'avocat du GFA et, avant même que le tribunal administratif de Nîmes s'empare de la demande, le retrait pur et simple de l'injonction, le 12 décembre.

Arrêté préfectoral du 12/12/2013

Bilan : un statu quo difficilement compréhensible, au su du danger, et des populations laissées dans l'ignorance, faute, notamment, de réunions publiques, pourtant obligatoires pour ces études sensibles, avant les prélèvements comme après les analyses.

L'information des habitants : une obligation

“Nous n'avons pas les coudées franches.”

Dominique Keller, directeur Santé publique et Environnement de l'Agence régionale de santé (ARS), Languedoc-Roussillon, février 2014.


«La préfecture nous a passé la muselière », confie, sous couvert de l'anonymat, un ingénieur de la Direction régionale de l'environnement. À tel point qu'au printemps 2014, seules des associations locales avaient tenté d'éclairer un peu les habitants. En organisant une réunion publique à Thoiras, le 25 janvier. Cette attitude de la préfecture a généré de l'anxiété et de la suspicion chez les habitants.

Le préfet, potentat d'État

“On nous cache quelque chose qui ne tourne pas rond.”

Pauline Bouzige, présidente de l'association des Riverains des Mines de La Croix-de-Pallières et élue conseillère municipale, en mars 2014.



“Je ne vois pas ce qu'on peut vous donner de plus.”

Gilles Bernard, sous-préfet du Vigan, 21 octobre 2013

Pour contacter l'Agence régionale de santé, la DREAL ou même le BRGM , il faudra passer outre et surtout au-dessus du premier responsable de l'État dans le département. Qu'il s'agisse d'Hugues Bousiges ou de son successeur, Didier Martin, nommé en décembre 2013, jamais le préfet du Gard n'accordera d'entretien. Jamais non plus, il ne permettra de contacter les deux ingénieures d'ICF Environnement, qui ont signé l'IEM. Bien que leur travail fasse l'objet de vives critiques, en particulier de la part de l'ATC, l'association Toxicologie-Chimie, qui avait conclu, dès 2011, à l'extrême insalubrité de l'ancien site minier.

Exclusivité RFI : Le rapport ICF épinglé

“Les endroits les plus pollués ne sont pas pris en charge !”

André Picot, toxicochimiste, président de l'ATC.

La digue à stériles a, de fait, été exclue de l'étude : « ahurissant », pour le toxicochimiste André Picot. Étranges également, les lacunes de l'étude ICF sur l'eau, qu'il s'agisse de sa cartographie ou des analyses, pour l'hydrogéologue Séverin Pistre.

L'avis critique de Séverin Pistre, hydrogéologue



Totalement absente des préoccupations d'ICF et du BRGM, par exemple, la source de la Rode, qui inonde les anciennes galeries de mine de La Croix-de-Pallières, où l'industriel a enfoui une partie de ses déchets très toxiques. Très contestable : le périmètre de l'étude. Il a été tracé avant même la localisation des zones les plus polluées (l'étude préalable, dite phase 1 de l'IEM, est d'ailleurs curieusement manquante). Invraisemblable : des échantillons de terre ont été prélevés et analysés, sans qu'ICF s'enquière de leur origine.

“C'est pas la terre du coin !”

Michel Bourgeat, habitant de Tornac.

Et rien n'a été entrepris, en matière sanitaire, malgré des indices alarmants : des cancers et des accidents vasculaires cérébraux dans toutes les familles résidant aux alentours de l'ancienne mine Joseph. Rien, sinon l'envoi, au premier trimestre 2014, de recommandations d'hygiène. Dérisoires.

“On a l'impression de revivre Tchernobyl !”

Gérard Bouchacourt, ancien médecin d'Anduze.

Oublis, erreurs, passivité et aussi, dans l'IEM d'ICF, des violations basiques des protocoles d'étude. Ainsi de l'évaluation du « bruit de fond », censé fournir des valeurs de référence de la géochimie naturelle du lieu étudié et permettre ainsi de mesurer le niveau de pollution, dû à l'activité minière. Tous les points de mesure du bruit de fond sont dans la zone d'étude, parfois même sur des galeries et à proximité des puits : un non-sens scientifique.

Le bruit de fond établi par ICF en pleine zone d'étude

Jamais cet étalonnage n'est établi dans le périmètre de l'étude. Sauf à Saint-Félix-de-Pallières et Thoiras, où le « guide » des IEM est foulé au pied par des mesures, réalisées non seulement dans la zone analysée, mais aussi sur des communes exclues de toute recherche régionale de ces valeurs naturelles de l'environnement géochimique par un travail spécifique publié en 2008 par… le BRGM, maître d'œuvre de l'IEM !

Zone témoin régionale : l'étude du BRGM en 2008

“Que voulez-vous que je vous dise ?”

Patrice Piantone, géologue du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).



La facture de cette étude bancale s'élève officiellement à près de 100.000 euros, réglée à un bureau d'étude privée, attelé à une entreprise française de dépollution. ICF et sa maison mère, IRH Environnement, qui ont manifestement répondu à une feuille de route plus politique que scientifique, délivrée par l'État français.





5. Le silence des politiques



Incarnation de l'écologie pour la droite française, Nathalie Kosciusko-Morizet, NKM comme on la nomme en politique, a tenu le portefeuille de l'Environnement : secrétaire d'État à l'Écologie (juin 2007 - janvier 2009), sous l'ombrageux centriste Jean-Louis Borloo, puis ministre de l'Écologie (novembre 2010 - février 2012).


Généralement très à l'aise sur les dossiers d'environnement, NKM ne répondra pourtant pas à nos questions.

Conférence de presse, 23 janvier 2014, Paris.



Elle ne dira pas comment et pourquoi s'est égaré un rapport qu'elle a commandé, en 2011, à deux inspecteurs de son ministère, sur la pollution minière à Saint-Félix-de-Pallières et à Thoiras. En réponse aux démarches personnelles et séparées auprès d'elle d'un éminent scientifique et d'un parent d'une sommité internationale, très attaché à la région. En quelques mots, échangés hors micro et caméra après la conférence de presse, l'ancienne ministre concèdera se souvenir d'un lieu « conflictuel » dans le département du Gard, mais en renvoyant vers un proche, haut fonctionnaire au ministère de l'Écologie, qui, affirmera ne trouver aucune trace d'un quelconque document.

Mission effacée. Rapport évaporé.



Libération, 10/03/2013.


Après cette inspection, NKM avait pourtant confié à l'un de ses deux interlocuteurs ne pas pouvoir réunir les moyens financiers d'une intervention. Selon nos confrères de Libération, la ministre de l'Écologie aurait en fait confié ce rapport, telle une patate chaude, non pas au ministère de la Santé mais à son collègue Éric Besson, alors ministre de l'Industrie et, ès-qualité, assurément peu enclin à donner suite.

L'article de Libération, publié en mars 2013, a sensibilisé une autre ministre de l'Écologie : la socialiste Delphine Batho, aux manettes de fin juin 2012 à début juillet 2013.

“Il y a une pollution grave.”

Delphine Batho, députée PS, ancienne ministre de l'Écologie.

Delphine Batho a été alertée, en vérité, en août 2012, par une lettre que le maire de Saint-Félix-de-Pallières adresse conjointement au préfet du Gard, à la ministre de l'Écologie et à Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur.

La lettre de colère de Gérard Rossignol

“J'attendais de l'État qu'il m'aide, évidemment.”

Gérard Rossignol, maire de Saint-Félix-de-Pallières de 2008 à 2014.


C'est toutefois la médiatisation de la pollution et du danger sanitaire qui sensibilise le gouvernement français.


En témoigne ce courriel préfectoral, adressé le 13 mars 2013 aux mairies de Thoiras et Saint-Félix-de-Pallières, mais aussi au procureur d'Alès, au commandement local de la gendarmerie et aux différents services locaux de la DREAL . Delphine Batho avait même prévu de se rendre sur place, le 4 juillet 2013. Mais, 48 heures plus tôt, elle est débarquée du gouvernement par le président Hollande.

Exclue pour avoir contesté la forte baisse du budget du ministère de l'Environnement, Delphine Batho cède la place à Philippe Martin, le 3 juillet 2013 au matin.

“Dans l'entretien de quelques minutes avec mon successeur, aucun dossier n'a pu être évoqué.”

Delphine Batho, ancienne ministre de l'Écologie.

Comme Nathalie Kosicusco-Morizet, Delphine Batho sait que des adultes et des enfants résident sur un ancien territoire minier hautement toxique, ou à proximité. Et que la santé de tous ces habitants est menacée.
Ni l'une, ni l'autre ne sont pour autant parvenues à changer la donne.

En fonction jusqu'au 31 mars 2014, Philippe Martin, n'a jamais daigné répondre aux demandes d'entretien. Parce qu'il ne s'agit que d'un « problème technique local », selon sa conseillère en communication.

L'ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault (g) et Philippe Martin (d), ancien ministre de l'Écologie.


La boucle politique, à droite comme à gauche, est fermée à l'information et à l'action.


Les courriers stéréotypés du ministère de l'Écologie

Mots choc de William Dumas, député socialiste de la 5e circonscription du Gard, la région de Saint-Félix et Thoiras, qui renvoie propriétaire et résidents des parcelles polluées à leur sort, et paroles difficilement rassurantes, du coup, du sous-préfet du Vigan, Gilles Bernard, qui, lui, insiste sur son devoir de santé publique.

Gilles Bernard (g) et William Dumas (d).

“Si M. Sunt veut "se polluer", qu'il se pollue !”

William Dumas, député socialiste du Gard, 21 octobre 2013.



“Notre préoccupation, c'est de protéger les populations.”

Gilles Bernard, sous-préfet du Vigan, 21 octobre 2013.

La réalité est tout autre : depuis la mi-mars 2014, les fêtes techno ont repris, à bon rythme, sur les terrains miniers, propriété du groupement foncier agricole de Christian Sunt et de son fils Wilhem, que le député local invite à « se polluer » tout seul.

Mépris et passivité politique qui, pour certains, relèvent d'une entente entre l'État et l'industriel, le groupe belge UMICORE.

La société Umicore

“La société devrait dépolluer le site mais l'État a semblé dire que tout était bon.”

Geneviève Blanc, conseillère générale d'Anduze





“Le politique ne sait pas par quel bout attraper le problème.”

Séverin Pistre, hydrogéologue, Université Montpellier 2.

Cette réalité est connue de l'administration depuis le début des années 1990. Y compris, donc, du temps des ministres écologistes de l'Environnement, Brice Lalonde, puis Dominique Voynet. Informés comme tous leurs successeurs de l'état catastrophique du territoire français, avec près de 400.000 anciens sites industriels pollués, dont au moins 150.000 très dangereusement.





6. L'industriel a toujours raison



L'industriel a bel et bien tenté de vendre ses déchets.


Quand Guy Ethier affirme qu'Umicore n'a jamais tenté de vendre sa digue à stériles , il ne peut pas se tromper. Il est vice-président depuis 2001 et chargé de l'environnement, de la santé et de la sécurité sur tous les sites et anciens sites du groupe.

Mais les témoignages abondent.

Lionel André, maire de Thoiras depuis 2001, se souvient d'une offre en 2011. Pour l'euro symbolique. En 1996, l'industriel avait déjà « offert » sa montagne de déchets à la commune. C'était avant même la fin des travaux dits de « réhabilitation » de ce million de tonnes de fines de mines, magma de plomb, de zinc, de cadmium, d'antimoine, d'arsenic… en concentrations et en interactions chimiques extrêmement toxiques.



Réhabilitation ou dissimulation ?



“ Ils voulaient donner le crassier !”

Patrick Renaud, ancien maire-adjoint de Thoiras.



Autant de propositions que le groupe belge affirme n'avoir jamais faites. Et ce n'est que confronté à des preuves de négociations, que la dénégation vacille.



Guy Ethier, vice-président du groupe Umicore


Umicore a également cherché à vendre sa dernière parcelle en propriété, sur le territoire de Saint-Félix-de-Pallières.

La commune avait déjà acquis plusieurs confettis fonciers dans les années 1980 puis en 2001. Et quand un nouveau maire, élu en 2008, s'installe, il est rapidement contacté par l'industriel, qui lui propose 1,7 hectare à vil prix, sans plus de précisions sur cette terre, très polluée au plomb et au zinc.



“Une visite de courtoisie d'abord, puis pour me proposer des achats.”

Gérard Rossignol, maire de Saint-Félix-de-Pallières de mars 2008 à mars 2014.



Depuis 2012, on n'entend plus parler dans la région que de « tout ou rien ». Comprenez : une offre discrète d'achat groupé des trois dernières parcelles propriétés d'Umicore.

Comme si l'industriel - la plupart du temps représenté sur place par son directeur France pour l'environnement, Gaétan Pastorelli - cherchait à couper définitivement les derniers liens historique et… juridique avec son ancien site d'exploitation.



Umicore est prudent et fait toujours des offres alléchantes. Christian Sunt y a succombé. En décembre 2000, au nom de son GFA, il a acheté près de 5 ha à Union Minière. Séduit par le prix affiché : à peine plus de 14.000 francs, soit quelque 2.000 euros. Inespéré, dans cette région touristique cotée. Certes, l'acquéreur, qui se revendique agriculteur bio et adepte de la décroissance, aurait pu se douter de la pollution, en particulier sur l'ancien carreau de mine . Mais l'acte de vente se garde bien d'en faire état.

L'acquéreur n'est informé que du « passé minier » du terrain.

Guy Ethier, vice-président du groupe Umicore

L'industriel s'abrite derrière les satisfecit que lui a délivrés l'État français.

Ainsi de l'arrêté préfectoral du 25 janvier 1999, qui lui a donné acte de la cessation de toute activité sur le site gardois et de sa demande de renonciation aux titres miniers . Il est signé d'un certain Michel Gaudin, qui deviendra, 8 ans plus tard, préfet de police de Paris, puis, en 2012, directeur de cabinet de l'ancien président Nicolas Sarkozy.

Arrêté préfectoral du 25/01/1999

Le document est intriguant. À le lire, il n'y aurait effectivement, sur l'ancien site minier, qu'une seule parcelle exigeant une attention postindustrielle particulière. Sans que les mots pollution ou produits toxiques soient utilisés.


Pourtant, l'État français et Union Minière savent que la parcelle cadastrée 1676 de la commune de Thoiras, vendue au GFA en décembre 2000, est contaminée.



Parcelle cadastrale 1676 et « zone 1 » sur le plan du site d'Union minière, ne font qu'une. Ce territoire est « contaminé ».



Extrait de la renonciation à concessions d'Union minière


Ces éléments tendent à démontrer que l'industriel n'a pas respecté la loi.



« Lorsqu'une installation soumise à autorisation a été exploitée sur un terrain, le vendeur de ce terrain est tenu d'en informer par écrit l'acheteur ; il l'informe également, pour autant qu'il les connaisse, des dangers ou inconvénients importants qui résultent de l'exploitation (…) » Article L 514-20 du Code de l'Environnement (en vigueur en décembre 2000)

Il connait en effet les « dangers » et les « inconvénients graves », résultant de son exploitation du site. De même que l'État, préfet du Gard en tête, qu'il en a informé dans sa renonciation à concessions. Et son notaire - qui a refusé de répondre à nos questions - se devait de livrer cette information à l'acheteur.

L'administration s'est, il est vrai, toujours montrée très conciliante, depuis la fermeture des mines, en 1971.

Au point de n'avoir jamais exigé de l'exploitant qu'il interdise l'accès à ces déchets nocifs. La digue, aussi bien que le carreau de mine de Thoiras, ont été laissés à l'état de sables gris, très fins, pendant plus de 20 ans. Terrain de jeu privilégié des jeunes de la région…



“C'était notre dune du Pilat !”

Wilhem Sunt, groupement foncier agricole (GFA) « La Gravouillère »



“Adolescents, ils allaient s'amuser sur le crassier.”

Didier Colpart, habitant de Saint-Félix-de-Pallières.



Ni le BRGM , qui connait tout de la mine et de l'après-mine, ni aucun responsable de l'État n'ont jamais protesté. Personne, non plus, n'a relevé l'une des inexactitudes les plus frappantes de Bugeco, le consultant belge qui en 1998 fournit à Union Minière une caution environnementale contestable. Il va effectivement jusqu'à qualifier de naturelle l'acidité extrême de l'eau au contact des déchets de l'exploitation.


« Renonciation-concessions »

- page 95 :

(…) « Nous avons une eau acide (pH = 2,5) (…) »

 

- page 96 :

(…) « la couleur rouge (…) »

Ce phénomène est naturel et fréquent dans la région (…) »

 

« Les analyses montrent qu’il n’y a (…) « pas d’influence directe de la mine sur la minéralisation de l’eau du Paleyrolle (…).C’est la géochimie locale, de par la nature géologique et gîtologique du site, qui influence la minéralisation très localisée du ruisseau ».

 

- page 124 :

« Nous avons constaté que (…) « l’exploitation minière n’est pas directement liée aux minéralisations des eaux. L’origine de celle-ci semble davantage être le fait de la gîtologie naturelle des sites. Le risque de pollution chimique des eaux est d’ailleurs quasi inexistant (…) ».



“Il n'y a pas d'eau naturelle qui ait ce pH-là !”

Séverin Pistre, hydrogéologue, Université Montpellier 2.



Une contrevérité en appelle d'autres.

La compagnie minière présente ainsi un dossier formellement parfait, validé sans sourciller par le gouvernement français, qui ne s'inquiète même pas d'un projet de piste d'aéromodélisme que propose l'industriel sur sa digue à stériles - pourtant contradictoire avec l'arrêté de 1999 -, non plus que de l'idée d'un parcours historique sur le carreau de la mine.

Au contraire : l'État encourage les élus locaux à saluer une réhabilitation "exemplaire".



“On s'est levé et on a tous applaudi.”

Patrick Renaud, ancien maire adjoint de Thoiras



“On fait honnêtement ce qui nous est demandé.”

Guy Ethier, vice-président d'Umicore.



La réalité ne colle pas aux protestations de bonne foi de l'industriel.

Mais rien n'y fait. Et l'étude environnementale commandée par l'État en 2012 sert d'abord le propos d'Umicore. Le bureau d'étude choisi, ICF-environnement, n'a pas analysé la digue à stériles et n'a pas questionné les anciens mineurs, qui l'auraient informé des enfouissements de déchets miniers toxiques, aujourd'hui encore totalement ignorés.

L'administration se montre tout aussi complaisante avec l'industriel après l'effondrement brutal, début octobre 2012 de la dalle fermant le puits n° 1. Un accident spectaculaire, qui aurait pu être dramatique, l'endroit étant très fréquenté.

Compte-rendu Géoderis de l'effondrement, 24/10/2013

Dans son compte rendu, l'expert public de l'après-mine, Geoderis, exonère Umicore de toute responsabilité.

D'abord, en assurant identifier dans les « ferraillages » les restes du dispositif de mise en sécurité exigé pour l'obturation du puits par l'arrêté préfectoral du 16 juillet 1971, cité dans le rapport. Il y est fait mention de « rails de 12 kg par mètre ». Soit, ce genre de pièces d'acier :

Assurément pas les fers à béton, qu'on aperçoit après l'effondrement.




Par ailleurs, Géodéris s'abstient étonnamment de feuilleter la documentation disponible. A commencer par le rapport de renonciation d'Union minière, où la réouverture des puits, en 1990, est mentionnée, noir sur blanc.

“Ce puits de 140m de profondeur a été remblayé en 1990.”

Extrait de la renonciation à concessions d'Union minière, 1998


Le puits n° 1 a donc été rouvert, près de 20 ans après son obturation. Jean-Pierre Jean, ancien mineur de Saint Félix, s'en souvient.

“Ils ont fait exploser la dalle. J'y étais.”

Jean-Pierre Jean (et son épouse)



Contre toute évidence, l'État français refuse de demander des comptes à Umicore et se cantonne à indiquer au maire de Saint-Félix comment et quoi écrire lui-même à Umicore pour solliciter un geste financier.

Lettre du maire de Saint-Félix à Umicore, 24/12/2013







Quoi qu'il fasse ou ne fasse pas, l'industriel semble souvent faire valoir ses raisons.

Pourquoi ?

Peut-être parce que le proche avenir va à nouveau réunir l'État français et le groupe héritier de Vieille Montagne et Union Minière, industriel d'un secteur, qui a les faveurs explicites du gouvernement depuis l'annonce de la relance d'une compagnie nationale des mines de France (CNM), par le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg.

Depuis quelques années déjà, le BRGM y travaille. Sa lecture du rapport environnemental Geodéris publié en 2008, sur Saint-Félix-de-Pallières, l'atteste.

“On est en train de travailler sur la bande cévenole pour le renouveau minier français.”

Patrice Piantone, ingénieur du BRGM





Le gallium et le germanium font partie des minerais dits stratégiques ou critiques.



Saint-Félix, gisement potentiel de germanium; la ceinture cévenole, possiblement riche en gallium. Des métaux-clés de la très haute technologie militaire et civile.

De quoi sceller solidement l'entente État-industriel sur le chemin de la 'deuxième mine' .

La France veut en retirer les métaux stratégiques et les terres rares qu'elle peut. Umicore sait comment les récupérer. D'où des déchets non traités, en attente d'exploitation, malgré les énormes risques écologiques.



“On a créé une sorte de réacteur, qu'on ne maîtrise pas.”

Séverin Pistre, hydrogéologue de l'université de Montpellier 2



“La population n'est pas beaucoup consultée sur ces problèmes.”

André Picot, toxicochimiste, CNRS.

 

 

 

En 1971, la mine ferme et les mineurs partagent un dernier moment sur le site.

 

La logique économique l'emporte sur la logique de santé publique.

Elle permet à l'industriel d'échapper à toute mise en cause juridique et financière. De quoi entretenir de bonnes relations avec l'État qui, depuis qu'il s'est engagé dans le recensement des sites et anciens sites industriels pollués sur le sol français - métropolitain et ultra-marin -, s'emploie à en minimiser l'ampleur, ainsi que le souligne le chercheur Frédéric Ogé.

La consultation des deux bases de données nationales s'avère éclairante.

Basol d'abord, censée lister les « sites et sols pollués ou potentiellement pollués appelant une action des pouvoirs publics, à titre préventif ou curatif ». Ni Thoiras, ni Saint-Félix-Pallières n'en font partie.

Basias ensuite, l' « inventaire historique » français. Les fiches locales sont approximatives, lacunaires, quand elles ne sont pas erronées.

Et jamais mises à jour. A moins qu'on en relève l'inexactitude : Patrice Piantone, géologue du BRGM, corrigera personnellement la fiche Basias de Saint-Félix, le 14 février 2014, au lendemain de son entretien avec Pour-Suites. Le site minier de La Croix-de-Pallières sera, enfin, étiqueté « pollué, connu », après 15 ans de statut, on ne peut plus neutre, d'« inventorié ».

Fiches Basias de Saint-Félix, 1999 et 2014

L'ancienne mine Joseph, tout aussi polluée, reste toutefois dans l'ombre.

C'est dire les réticences à l'œuvre. Il est vrai que reconnaître la dangerosité du site, c'est ouvrir la Boîte de Pandore : dépréciation des biens immobiliers ; risques de plaintes individuelles et collectives pour mise en danger d'autrui, pour empoisonnement, etc.

Concéder la catastrophe environnementale et sanitaire sur les hauteurs ouest d'Anduze, c'est prendre le risque, pour les pouvoirs publics, de devoir faire face à des dizaines d'autres dossiers, tout aussi graves, dans la seule ceinture méridionale des Cévennes, où les anciens territoires miniers sont légions.

L'onde de choc serait même nationale, avec sans doute plus de 150.000 anciens sites dangereux, rien que dans l'Hexagone. La facture politique et judiciaire pourrait être vertigineuse, en particulier dans les zones urbaines. A l'instar de l'ardoise financière. La dépollution des seules zones les plus contaminées de Saint-Félix et Thoiras coûterait la bagatelle d'une centaine de millions d'euros.

Enfin, en plein débat sur l'exploration des gaz et huile de schiste en France, il n'est pas question non plus de laisser la pollution minière refaire surface, en particulier dans cette région, où les sondages se révèlent encourageants pour les industriels, mais où la mobilisation des opposants à l'exploitation s'avère solide.


haut de page