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Tchad

l'armée au contact

Un reportage de Madjiasra Nako
pour RFI — avril 2015

C’est un tournant dans la lutte contre Boko Haram. Moins de deux semaines après le massacre de près de deux mille personnes par les jihadistes dans le village nigérian de Baga, sur les rives du lac Tchad, Ndjamena tape du poing sur la table. Idriss Déby déploie son armée sur deux fronts. L’un au nord du lac Tchad, dans la ville nigérienne de Bosso. Le second au sud du même lac, dans la ville camerounaise de Fotokol. Deux corps expéditionnaires de 2 500 hommes environ qui se lancent à la poursuite de Boko Haram en terre nigériane dès le 3 février.

Notre correspondant au Tchad, Madjiasra Nako, est l’un des rares journalistes à avoir suivi les offensives de l’armée tchadienne contre Boko Haram. Voici son carnet de route.

1 Les cendres de Ngouboua

Une odeur âcre de bétail calciné plane sur le village tchadien de Ngouboua en ce vendredi 13 février. Des habitants sous le choc errent parmi les maisons en cendres à la recherche d’objets que le feu aurait épargnés. Ce village de 4 000 âmes a presque entièrement été détruit par les flammes la veille, lorsque les hommes de Boko Haram sont arrivés en pirogue depuis le lac Tchad. Ils ont lancé une opération de représailles contre ce village suite aux attaques lancées par les hommes de Ndjamena. En quelques minutes, les jihadistes ont brûlé une quarantaine de boutiques, d’innombrables maisons ainsi que les enclos à bétail. Quatre habitants, dont le chef du village, ont été tués, ainsi qu’un gendarme tchadien.


Scènes de désolation à Ngouboua

Le garage d’un mécanicien ressemble à un champ de ruines où s'amoncèlent des pièces de véhicules calcinés, des carcasses de moutons et des tasses.

Nous sommes des miraculés
« Les Boko Haram sont arrivés dans la nuit, vers 3h. Ils ont commencé à brûler les maisons. Ici, nous avons un voisin qui a été égorgé. Là-bas, une voisine est morte dans l'incendie de sa maison. Nous sommes des miraculés. Dieu est avec nous. »

Mallaye, mécanicien


Mallaye a embarqué sa famille sur son véhicule prêt à partir pour Baga Sola, village tchadien situé à l’intérieur des terres.

Les habitants de Ngouboua quittent leur village incendié emportant ce qu’ils peuvent.

Je ne veux plus rester ici.
« J'ai fui Baga Kawa (village situé au Nigeria) pour arriver à Ngouboua. Mais ici aussi, Boko Haram nous attaque »,

Halima



Halima n'a pas la même chance que Mallaye. Sans voiture, elle a rassemblé ses enfants, ses quelques effets et elle attend l'arrivée d'un camion pour aller elle aussi à Baga Sola.

2 Bosso, vidée de ses habitants

A Bosso (Niger), les seuls êtres humains présents portent des treillis. Ils sont au camp militaire, à Mamouri, à quatre kilomètres à l’est de la ville. Les habitants ont quitté la ville après l’attaque lancée par Boko Haram à partir de Malam Fatori, de l’autre côté de la frontière, le 6 février. Les rues et les maisons de Bosso sont désertes. Ici, une cour avec des chambres aux portes entrouvertes, là des chèvres qui mangent des grains de maïs à travers un sac déchiré. Dans certaines cours, on peut apercevoir des ustensiles de cuisine éparpillés, des chiens couchés à l’ombre d’un muret. De temps à autre, des poules traversent une rue en courant. Les habitants de Bosso ont déserté la ville après les combats de début février.

Les villageois ont tout abandonné dans leur fuite.

En s’éloignant vers le fleuve, on croise des soldats postés le long de la rive de la rivière Komadougou Yobé, qui sert de frontière naturelle entre le Niger et le Nigeria. Au loin, on aperçoit un pylône. C’est la ville nigériane de Malam Fatori.

Les islamistes ne sont pas loin.
« On peut les apercevoir passer de temps à autre. Il leur arrive de planter leurs drapeaux. Parfois, ils nous tirent dessus. Nous répliquons quand c’est nécessaire ».

Général Nguinambaye Bardé, un des chefs d’unité de l’armée tchadienne


Sur la rive du côté nigérien, plusieurs guetteurs de l’armée tchadienne ont été installés dans des champs de piments aux récoltes abandonnées. Aux abords des champs, des traces de pelleteuse.


Surveillance à la frontière nigérienne.

On en a tué plus de 400.
«Ce sont les tombes des éléments de la secte islamiste tués pendant les combats du 6 février. On avait compté de façon sommaire 250 cadavres mais, au moment de procéder à l’enterrement, on s’est rendu compte qu’on en a tué plus de 400 »,

explique le colonel Azem Bermandoa, porte-parole de l’armée tchadienne.


L’armée nigérienne présente à Bosso a dû faire appel à la Croix-Rouge pour inhumer les corps des islamistes qui commençaient à se décomposer au soleil.

3 Les batailles 
 de Gambaru et Wurgé

La ville nigériane de Gambaru est la première localité reprise à Boko Haram par le corps expéditionnaire tchadien, c’était le 3 février. Mais au fil des semaines, la ville a été attaquée à plusieurs reprises. Les jihadistes ne sont pas loin. Ils disposent d’une base à 17 kilomètres de là, dans le village de Wurgé. Le 26 février, les officiers tchadiens sont informés de l’imminence d’une attaque de Boko Haram. Ils choisissent d’attaquer les premiers. Le lendemain, les soldats nous emmènent de Gambaru à Wurgé.


Après la bataille

Nous quittons la base tchadienne en traversant la ville fantôme de Gambaru. Les maisons sont désertes. Une station-service abandonnée porte les inscriptions des jihadistes. Plus loin, un poste de contrôle des islamistes est en ruine. Il a été détruit lors de l’assaut des forces tchadiennes sur Gambaru le 3 février 2015.

Des villageois, femmes et enfants pour la plupart,
reviennent dans les villages désertés pour récupérer des vivres.

En sortant de Gambaru, on s’engage sur une vaste plaine parsemée d’épineux. Au loin, on croise de temps en temps des villageois, femmes et enfants pour la plupart, qui reviennent dans les villages désertés récupérer des vivres. Ils saluent la colonne au passage.

Un véhicule de Boko Haram détruit pendant les combats.

A Wurgé, les traces des combats de la veille sautent aux yeux. Dans les ruelles, des carcasses de véhicules détruits témoignent de la puissance de feu des combattants. Un transporteur a abandonné un camion chargé de sacs de sucre. Un peu plus loin, de centaines de chèvres sont regroupées à l’ombre d’épineux. Il n’y a plus personne pour les garder. Les habitants sont partis.

4 L’armée tchadienne 
 reprend Dikwa

Cette grosse bourgade était, jusqu’au 17 février, une position clé de Boko Haram. La ville est au carrefour d’un axe du sud vers la frontière du Niger et d’un axe menant à Maiduguri, capitale de l’Etat de Borno. L’armée tchadienne a attaqué cette ville une première fois le 17 février, puis une seconde fois le 2 mars. En provenance de Gambaru, la colonne tchadienne attaque les islamistes au nord de la ville. La bataille est intense.


Arrivée de l’armée tchadienne à Dikwa

Il nous a fallu près d’une heure pour entrer dans Dikwa.
« Les islamistes défendaient avant tout leur poste de commandement, une grande villa située à l’entrée de la ville »,

explique un officier qui a pris part à la bataille.

Les soldats tchadiens découvrent les corps de plusieurs jihadistes.

Nous arrivons devant cette villa quelques minutes après la fin des combats. C’est une grande bâtisse aux murs hauts où sont plantés des drapeaux de Boko Haram. Dans la cour, des motos brûlées, des marmites renversées. Dans le bâtiment, des corps d’islamistes entassés dans des chambres où ils se sont réfugiés pendant l’attaque. Nous entendons les gémissements des blessés agonisants.

Abubakar Shekau , le chef du groupe islamiste terroriste Boko Haram.

Après avoir pris le camp, les forces tchadiennes ont avancé rue après rue, tuant un nombre important d’adversaires dont certains ont réussi à fuir la ville. Idriss Déby dira quelques jours plus tard qu’Abubakar Shekau, le chef de Boko Haram, était présent dans la ville. Il se serait enfui de justesse.

5 Damasak, le charnier

Le 8 mars, les forces tchadiennes, stationnées depuis un mois à Bosso, ont fait mouvement pour rejoindre les troupes nigériennes venant de Diffa. Ensemble, elles enjambent le pont sur la rivière Komadougou Yobé, la frontière naturelle entre le Niger et le Nigeria. Le double contingent attaque les villages de Doutchi , Abalam, Abadam avant de prendre le verrou stratégique de Damasak, le 14 mars. Depuis novembre 2014, Damasak est aux mains de Boko Haram qui en a fait une place forte.

Des soldats tchadiens brandissent un drapeau de Boko Haram.
(Traduction : « Il n'y a qu'un seul Dieu, c'est Allah »)

Après les combats, la ville est saccagée. Sur certains édifices endommagés par les combats, des graffitis aux couleurs de Boko Haram. Sur des mosquées flottent encore les drapeaux de la secte. La population a fui, à l’exception de quelques personnes âgées trop faibles pour partir en exil.

Une des signatures de Boko Haram, une kalachnikov et le slogan « Il n'y a qu'un seul Dieu, c'est Allah »

Le 20 mars au soir, une colonne composée de militaires tchadiens et nigériens quitte la ville pour une opération de ratissage en direction du nord.

Au bout de quelques kilomètres, nous avons été alertés par une forte odeur.
« En inspectant la petite clairière que traverse la piste, les soldats ont découvert des corps de civils assassinés et abandonnés »,

raconte le général Ahmat Youssouf de l'armée tchadienne.

Décision est prise de les montrer aux journalistes.

Plus loin, on arrive sur un pont qui enjambe, une petite rivière asséchée. Au pied du pont, des dizaines de corps dont il ne reste que les vêtements et les os. Sur le pont, on aperçoit ça et là des traces de sang, preuve que les personnes étaient exécutées avant d'êtres jetés dans la rivière. La forte odeur et l'insoutenable spectacle imposent un silence. D’autres corps sont disséminés sur plusieurs centaines de mètres. Nous en comptons au total près de 70, mais le général Ahmat Youssouf nous explique que sa colonne en a comptabilisé une centaine ; des corps d'hommes, de femmes et d'enfants.

6 Malam Fatori, 
 une conquête clé

Les troupes tchadiennes et nigériennes chassent, le 31 mars, les extrémistes de Boko Haram de Malam Fatori, ville frontalière du nord du pays. La prise de Malam Fatori était l’un des objectifs des deux armées depuis qu’elles ont fait leur entrée en territoire nigérian. Après avoir conquis Damasak, Abadam et Abalam, les deux colonnes sont entrées dans Malam Fatori.

L’ennemi a été totalement défait
« Les forces armées du Tchad et du Niger ont libéré la ville de Malam Fatori après d’intenses combats. L’ennemi a été totalement défait, la ville de Malam Fatori est sous le contrôle de nos forces. »

a commenté le colonel Azen Bermandoa, porte-parole de l'armée tchadienne.


Malam Fatori après les combats

Mais le lendemain, en ratissant les abords de la ville, les forces tchado-nigériennes tombent dans une embuscade à une dizaine de kilomètres de la ville. Les combats sont violents et font officiellement neuf morts et seize blessés côté tchadien.

Malam Fatori est un champ de ruines, les éléments de Boko Haram ont pris soin d’incendier boutiques et concessions avant de s’enfuir. En perdant Malam Fatori, les islamistes de Boko Haram perdent un de leur bastion stratégique dans le nord-est du Nigeria.

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