Des vies plus jamais ordinaires
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Cinq ans après les attentats du 13 novembre 2015, Valérie Nivelon, productrice de l’émission La marche du monde sur RFI, vous propose de découvrir deux émissions réalisées en partenariat avec l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP), dans le cadre de leur programme « Attentats du 13 novembre 2015 : des vies plus jamais ordinaires », dirigé par l’historien et réalisateur Christian Delage.

Ces deux émissions proposent une écoute centrée sur la voix des témoins, sur la façon dont ils ont physiquement et mentalement réagi à la violence extrême des actes terroristes dont ils ont été les cibles, pour ce qu’ils sont, des jeunes Parisiens épris de liberté.

Cette collaboration entre RFI et l’IHTP nous permet de faire entendre notre ambition radiophonique profondément humaine, conjuguée à la rigueur scientifique d’un projet qualitatif. L’émotion ne nuit pas à la raison.

« À chaque témoin son 13-Novembre » a été diffusée dans La marche du monde en novembre 2017. Elle est consacrée à Véronique et son fils Julien, gérants d’un café près du Bataclan, mais aussi à Thibault, survivant du Bataclan, dont les paroles ont été recueillies par une équipe de l’IHTP. Le témoignage de Thibault, rescapé du Bataclan, est impressionnant par son intensité et sa qualité réflexive. Élisabeth Claverie, qui a conduit l’entretien, lui a écrit ces quelques mots après l’avoir écouté : « Je n’avais jamais entendu quelqu’un décrire de cette façon "présente", haletante, les dilemmes constants et de toutes sortes qu’il a dû résoudre, dans ce Bataclan livré à la folie ; jamais entendu quelqu’un qui pouvait faire ressentir à ceux qui n’étaient pas là, toute la complexité des contraintes dans lesquelles il a été pris, et sa femme avec lui, la présence de tous les autres, et cette façon de faire ressentir, aussi, la culpabilité de les avoir et traversées et "résolues" ».


Émission du 17 novembre 2017
Une émission signée Valérie Nivelon, réalisée par Sophie Janin, en présence de l’historien et cinéaste Christian Delage, spécialiste de l’utilisation de l’image dans les grands procès de l’histoire, et de l’anthropologue Élisabeth Claverie, spécialiste des formes contemporaines de conflits.
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46:00

« Ari et Alice, pour la vie » a été diffusé dans La marche du monde en novembre 2020. C’est un récit croisé d’Aristide et Alice, interrogés par Christian Delage séparément, à trois ans d’intervalle. Un frère et une sœur fous de Paris, un rugbyman et une acrobate talentueux dont les destinées ont basculé devant le restaurant Le Petit Cambodge. Face à face avec un « fou de dieu » tirant à la kalachnikov.

Aristide et Alice ont été blessés devant le restaurant Le Petit Cambodge, à Paris, dans le Xe arrondissement, le soir du 13 novembre, dont les paroles ont été recueillies par une équipe de l’IHTP.

Ancien rugbyman professionnel, Aristide a été gravement atteint par des balles de kalachnikov. Quand il est filmé à l’automne 2016, il était toujours en convalescence et espérait pouvoir reprendre l’entraînement, ce à quoi il a finalement dû renoncer.

Après l’entretien, tandis qu’Aristide avait écrit : « Vous nous appelez "les gens qui ne vivront plus jamais pareil", cette caractérisation est parfaite, elle sonne totalement juste en moi, je vous remercie. » Christian Delage lui avait répondu : « Oui, l’idée maintenant, c’est d’intituler notre collecte "Des vies plus jamais ordinaires", dans l’idée, bien sûr, que ceux qui ont été victimes des attentats du 13-Novembre, comme vous, ont eu leur vie bouleversée, mais, en même temps, que ce qu’ils avaient vécu jusqu’alors, l’ordinaire du quotidien, ne l’est plus, parce que notre intérêt s’y est porté, et que nous découvrons toujours des histoires qui méritent d’être prises en compte ».

Une relation de confiance s’est ensuite installée entre Aristide et l’équipe de l’IHTP, à qui il a proposé d’interviewer sa sœur, Alice, ce qui a été fait en février 2019, profitant d’une représentation de l’un de ses spectacles, « Les Dodos ». Christian Delage se souvient : « Dans le très beau décor du chapiteau qui avait été installé à Garges-lès-Gonesse, Alice nous a marqués par le mélange d’émotion et de distance avec lequel elle a évoqué la blessure subie devant Le Petit Cambodge, le temps de reconstruction qu’il lui a fallu pour reprendre son métier d’acrobate et retrouver l’équipe du P’tit Cirk, qui l’a attendue, et qui, d’une certaine manière, a dû se réinventer dans sa dynamique de groupe et la coordination si importante des gestes techniques et artistiques qui conditionnent leur travail de création ».

Emission de novembre 2020
Une émission signée Valérie Nivelon et Maxime Grember, réalisée par Richard Riffoneau et Victor Uhl.
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48:30

Christian Delage, peut-on réagir dans l’immédiateté, en tant qu’historien, mais aussi en tant que réalisateur, aux attentats survenus à Saint-Denis et à Paris le 13 novembre 2015 ?

Les historiens du temps présent ont fait admettre depuis maintenant de nombreuses années que l’absence de distance n’est pas un obstacle à la compréhension de l’événement, grâce, entre autres, à la présence de témoins, qu’ils figurent parmi les victimes survivantes, ou parmi les professionnels chargés de gérer la situation sur place (policiers, pompiers, médecins, etc.).

Quelle équipe avez-vous réuni pour mettre en place le programme « Attentats du 13 novembre 2015 : des vies plus jamais ordinaires » ?

Avec l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP), qui est un laboratoire de recherche associant l’Université Paris 8, et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), nous avons décidé d’aller à la rencontre des victimes et des témoins de ces attentats, en réunissant une équipe d’étudiants, pour la plupart issus des quartiers visés par les terroristes, et de chercheurs, historiens ou anthropologues ayant une longue expérience dans la collecte et le traitement des témoignages de survivants et de témoins professionnels de génocides du XXe siècle.

Comment s’est déroulée cette collecte de témoignages ?

De mars 2016 à novembre 2019, nous avons filmé vingt personnes avec une équipe habituée des longs métrages de fiction aussi bien que des documentaires. Les entretiens se sont déroulés à Paris, mais également à Saint-Denis, autour du Stade de France.

Chaque témoin a été filmé dans un lieu différent, selon un questionnaire ouvert qui lui a donné toute latitude de construire son récit librement, sans jamais être interrompu. Dans leur majorité, les personnes interviewées se sont portées volontaires pour livrer leur récit.

Le choix de produire une archive filmée ne peut se limiter à sa bonne conservation et à un accès restreint aux chercheurs. Cette collecte a été pensée comme une médiation, à trois – réalisateur, témoin, intervieweur. Elle se veut respectueuse de l’intimité des personnes filmées (et de leur souhait initial de venir vers nous), et soucieuse, pour chacune d’entre elles, de trouver la bonne distance : celle qui met en confiance et autorise le témoin à livrer son récit, tout en donnant une place à de futurs spectateurs, quel que soit leur statut, en les invitant à voir, sans le filtre ou le détour d’une base de données, l’entretien filmé.

Pourquoi avez-vous fait le choix de la radio pour faire connaître ces témoignages, qui sont à l’origine des enregistrements audiovisuels ?

La rencontre avec Valérie Nivelon, journaliste, productrice de l’émission La marche du monde sur RFI, nous a permis de nous confronter à l’expérience qu’offre le documentaire radiophonique : l’écoute de la voix de nos témoins. Quand le visage n’est plus là pour incarner la parole, il se passe quelque chose de différent, du côté de l’auditeur, dont l’attention est renforcée par une plus grande mobilisation de son imagination. Même si le son d’ambiance de l’enregistrement audiovisuel est toujours présent, le temps radiophonique s’adresse à la part la plus intérieure de notre perception.

Au fil de ces rencontres, nous avons pu mesurer sur la durée (2016-2020) ce qu’est un travail de reconstruction pour des victimes atteintes subitement, et de manière indifférenciée, par les auteurs des attentats.

Leur voix est donc précieuse à entendre, car au-delà de ce qu’elle porte d’un parcours de vie, elle nous aide à reprendre ensemble la marche du monde.

L’Institut d’histoire du temps présent (IHTP), unité mixte de recherche associant le CNRS et l’Université Paris 8, s’intéresse depuis sa création à l’épistémologie de l’histoire du temps présent, entendue comme une approche singulière des rapports entre passé et présent, sensible à la mémoire (et à son histoire), au témoignage (dans un travail de recherche comme dans l’approche judiciaire), au rôle des historiens dans la cité (en Europe, dans l’Afrique post-coloniale et dans les Amériques). L’IHTP a développé depuis une vingtaine d’années une réflexion sur la question des violences de guerre et, plus récemment, sur la violence produite par les attaques terroristes (en France ou en Algérie), la résilience des sociétés soumises à des régimes non démocratiques ou autoritaires (du Maghreb à l’Amérique latine), la multiplicité des formes de discrimination (en particulier aux États-Unis).

Le programme « Attentats du 13 novembre 2015 : des vies plus jamais ordinaires » a été créé par l’IHTP grâce au concours du Laboratoire d’excellence des arts et médiations humaines de l’Université Paris 8.

L’ensemble des vidéos des vingt entretiens réalisés depuis 2016 va être déposé à la Bibliothèque nationale de France (BNF), comprenant les masters tournés, les montages effectués, les transcriptions, ainsi que certains échanges de correspondance avec les personnes interviewées. Depuis 2020, dans le cadre du programme de recherche sur les procès filmés porté par l’IHTP et les Archives nationales au sein du Laboratoire d’excellence « Les Passés dans le présent », la collecte de témoignages va nourrir la création d’une œuvre théâtrale et des projets de documentaires.

Valérie Nivelon présente La marche du monde sur RFI depuis 2003, une émission documentaire consacrée aux mémoires des XXe et XXIe siècles. Chaque semaine, elle revisite les événements et processus historiques aux sons des archives radiophoniques et musicales, à travers la parole des témoins et des reportages de terrain.

Prix Scam 2011, elle donne notamment à entendre l’histoire méconnue de l’Afrique à travers ses enquêtes. Elle est à l’initiative du projet multimédia autour de la mission Blaise Diagne en collaboration avec les Archives nationales, ainsi que du projet Cercec/ RFI « Archives sonores du Goulag » avec Alain Blum et Marta Craveri. Elle participe à la collecte des témoignages de l’IHTP « Des vies plus jamais ordinaires », dirigée par Christian Delage suite aux attentats de 2015.

Diffusion sur RFI chaque dimanche à 11h10 (heure de Paris)
Émission à retrouver en podcast et sur rfi.fr et sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter.

La marche du monde
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