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Par Carine FRENK - @CarineFrenk

Thomas Sankara a été tué par des éléments de la sécurité présidentielle, dirigée à l’époque par Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré. L’implication de Blaise Compaoré a été immédiatement posée. Il reste aujourd’hui encore considéré comme le suspect numéro 1. L’ancien président du Burkina et son adjoint affirment qu’ils n’ont donné aucune instruction. 30 ans plus tard, les témoignages se contredisent.

L’amitié fusionnelle


Pourtant, Thomas Sankara et Blaise Compaoré étaient bien plus que de simples camarades. Fidèle Kientega, un compagnon de la première heure de Thomas Sankara, se souvient de leurs liens de fraternité et d’amitié : « Thomas lui faisait confiance de façon absolue. » Les parents de Thomas Sankara avaient même « adopté » Blaise Compaoré comme leur fils. « On disait même que ses parents préféraient Blaise ! C’était dans nos coutumes. Ici quand vous avez un fils qui a un ami et que vous l’adoptez, c’est cet ami que vous considérez d’abord comme votre fils et votre propre fils vient après. C’est dans le sens sacré et noble. »




Fidèle Kientega. © Carine Frenk/RFI


Fidèle Kientega, qui occupait le poste de conseiller diplomatique à la présidence, les voyait tous les deux au quotidien « bras dessus, bras dessous, emmêlés. » Il précise qu’à la présidence, dans un cadre plus officiel, quand on les croisait, les rapports étaient plus « policés. » Les deux hommes affichaient moins leur complicité, la connivence, la camaraderie. « Mais en privé, en famille, ils pouvaient se disputer comme des petits gamins. . » Et Fidèle Kientega de conclure : « C’était la confiance totale. Ça se sentait. C’étaient des gens qui avaient fait un long chemin ensemble et que rien ne sépare. Et que rien ne sépare », répète-t-il.



« Thomas lui faisait confiance de façon absolue. » Témoignage de Fidèle Kientega, compagnon de la première heure de Sankara



Fidèle Toe, un ami d’enfance de Sankara – les deux hommes se sont rencontrés au Lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo Dioulasso –, se souvient lui aussi de ces moments d’amitié quand il est rentré en 1979, à la fin de ses études en France.




Fidèle Toe. © Carine Frenk/RFI


« Thomas louait une maison - qui se trouvait à Samandin -, trois pièces, un salon, une cuisine. Blaise avait sa chambre là-bas. Nous nous retrouvions certains soirs avec Mariam. On buvait un peu de bière. Mais Thomas Sankara était toujours avec son Fanta coupé avec de l’eau car c’était trop sucré. Il ne buvait ni alcool, ni café. Du reste, je sais très bien que, quand on était au lycée, c’est moi qui buvais son café au lait. Thomas ne voulait pas boire de café, parce qu’on disait que ça faisait trembler les mains et lui voulait avoir une main sûre pour être adroit. »



« Quand Blaise Compaoré rentrait de Pô, c’est là [chez Thomas Sankara] qu’il dormait. » Fidèle Toe, ami d’enfance de Sankara



Fidèle Toe rappelle l’atmosphère qui régnait alors au cours de ces soirées. « Nous parlions du monde, de la politique. D’autres amis venaient aussi comme feu le professeur Somé Valère. Blaise était là et personne ne pouvait soupçonner que Blaise un jour pouvait se retourner contre Thomas Sankara. »




Thomas Sankara, le premier au second rang, en faso dan fani, le pagne tissé burkinabè. © Fidèle Toe


« La confiance était absolue », insiste Fidèle Kientega. « Ils se voyaient tous les jours et quand Thomas n’était pas là, c’est Blaise qui venait le remplacer dans son bureau, sur le fauteuil présidentiel. Il présidait les réunions et prenait les décisions ».



La brouille


Que ce soit du côté des proches de Thomas Sankara ou du côté des soutiens de Blaise Compaoré, il est clair que la relation entre les deux hommes s’est distendue au fil des quatre années de pouvoir. Et qu’une crise s’est installée sans que l’on en sache avec certitude ni les raisons ni l’origine.




La complicité entre les deux hommes se lie sur les visages. © Big Z


Basile Guissou, qui fut dans tous les gouvernements du 24 août 1983 au 4 août 1987, d’abord à l’Environnement, ensuite aux Affaires étrangères et enfin à l’Information, l’atteste : « L’attelage portait les germes de la crise. C’était le roi et le faiseur de roi. Tout le monde savait que le coup d’Etat du 4 août 1983 qui porta Thomas Sankara au pouvoir était d’abord l’œuvre de Blaise Compaoré et de ses commandos. Sankara, lui, était le roi. Donc il y avait ce rapport : "qui t’a fait roi". Même en Conseil des ministres, on ne s’adressait pas à Blaise Compaoré comme aux autres ministres ». Selon lui, le conflit était « latent » et, même s’il n’était pas ouvert, il était là. « Au fil de l’exercice du pouvoir, l’un ou l’autre veut s’affirmer. »



« C’était le roi et le faiseur de roi. » Basile Guissou, ancien ministre



Le capitaine Pierre Ouédraogo, patron des Comités de défense de la Révolution (CDR), un des personnages clés de cette époque, a décelé pour sa part des signes de changement chez Blaise Compaoré, surtout après son mariage, le 29 juin 1985, avec la Franco-Ivoirienne Chantal Terrasson de Fougères, dont on disait que la famille était proche de Félix Houphouët-Boigny, président de la Côte d’Ivoire.




Pierre Ouédraogo. © Carine Frenk/RFI


« C’est après ce mariage qu’on a commencé à voir quelques "signes d’embourgeoisement" dans le langage de l’époque. Blaise a commencé à avoir un niveau de vie avec le confort autour qui avait changé. Blaise Compaoré, on le connaissait très bien. Quand on allait chez lui à Pô, par exemple, les verres, il n’y en avait pas deux qui se ressemblaient. C’était tellement rustique… que ce changement m’a paru quelque chose de significatif [...] Quelque chose était en train de changer. »



« C’est après ce mariage qu’on a commencé à voir quelques "signes d’embourgeoisement" dans le langage de l’époque. » Pierre Ouédraogo, ancien patron des Comités de défense de la Révolution




Thomas Sankara et Blaise Compaoré en 1985. © Big Z


A partir de 1985, avec ce mariage, les relations entre Blaise Compaoré et l’entourage du chef de l’Etat se dégradent, mais la révolution se poursuit. Au fil des mois, avec les erreurs et les abus de la révolution, l’enthousiasme populaire commence, lui aussi, à faiblir. Les frustrations s’accumulent. Le mécontentement grandit, comme l’observe Etienne Traoré, secrétaire général du Syndicat national du secondaire et du supérieur (SNES) : « Des gens disaient qu’ils n’étaient pas contents de la révolution. Sankara en était conscient. Les travailleurs devaient subir beaucoup de sacrifices. Les salaires, il fallait les augmenter au lieu de passer le temps à égratigner des parties ». Quant aux chefs traditionnels, le régime s’était attaqué à leurs pouvoirs. « Dès le départ, ils se sont recroquevillés sur eux-mêmes. » Le syndicaliste parle de « rupture totale ».



Témoignage du syndicaliste Etienne Traoré



Certains affirment que Blaise Compaoré a alimenté ces frustrations pour rendre le président impopulaire. Sans aller jusque-là, la plupart des collaborateurs de Thomas Sankara estiment que Blaise Compaoré a au moins surfé sur le mécontentement. Ils pensent notamment à ceux qui, nombreux, espéraient jouir des avantages du pouvoir pour améliorer leur quotidien et pour qui la rigueur du chef devenait insupportable. « Quand vous voulez l’intégrité jusqu’au bout, à un moment donné, vous êtes embêté », affirme Fidèle Toe et, pour l’illustrer, l’ami d’enfance relate une anecdote au moment où le bouillant capitaine a dû se résoudre à changer sa vieille R5. Il se souvient de ses propos de l’époque : « C’est un problème parce que cette voiture, je ne peux pas la vendre. Un président qui met sa voiture en vente, ça paraît ridicule. Mais si je me mets à acheter un véhicule, on va penser que j’ai volé, que j’ai puisé de l’argent dans les fonds de l’Etat. » Il est arrivé que des chefs d’Etat, comme Mouammar Kadhafi, lui donnent des véhicules, mais Thomas Sankara les affectait immédiatement au parc de l’Etat. « Est-ce qu’il faut que j’achète un véhicule d’occasion depuis un pays européen ? », s’est alors interrogé Thomas Sankara. « Il m’a dit : "Sincèrement, Fidèle, je ne trouve pas de solution". »



« Cette voiture, je ne peux pas la vendre. » Fidèle Toe, ami d’enfance de Sankara




Thomas Sankara et Blaise Compaoré devant la R5 noire, le 4 août 1985. © Daniel Laine/AFP


Si au début de 1987, la crise n’est pas véritablement ouverte entre les deux hommes, elle n’est plus un secret pour personne. Le pouvoir se divise entre pro-Sankara et pro-Compaoré. « On était entrés dans une logique d’affrontement, explique le ministre Basile Guissou. C’est difficile à expliciter. C’était par les non-dits plutôt que par les dits. Mais tout le monde sentait qu’il y avait un malaise. Ce n’était pas comme au départ où il y avait l’enthousiasme. L’atmosphère était vraiment malsaine. »

En ville, des tracts circulent, plus violents les uns que les autres. On y discrédite l’orientation de la révolution. On vilipende les dérives. On dénonce de soi-disant comportements antirévolutionnaires. On en appelle au réveil du peuple.

Des rumeurs se répandent à telle enseigne qu’interpellé par les journalistes lors d’une conférence de presse, Thomas Sankara déclare :

« Le jour où vous apprendrez que Blaise prépare un coup d’Etat contre moi… Ce ne sera pas la peine de chercher à vous y opposer ou même de me prévenir. Ça voudra dire que c’est trop tard et que ce sera imparable. »

« À partir du mois d’août surtout, on sentait que ça n’allait pas », se souvient Nongma Ernest Ouédraogo, ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité, un fidèle de Thomas Sankara. « Il y avait les fiches de renseignement. On devait organiser l’anniversaire de la révolution à Bobo Dioulasso. Il y avait beaucoup de tension. »

Début octobre 1987, les deux hommes ne se parlent quasiment plus. Blaise Compaoré se dit malade. Il n’assiste d’ailleurs presque plus aux activités officielles. Pierre Ouédraogo, qui était très lié aux deux hommes, prend alors l’initiative de tenter de les réconcilier. « J’ai toujours cru au dialogue, explique le secrétaire général des Comités de défense de la Révolution (CDR). Il fallait quand même que les deux puissent s’entendre puisque, derrière, les camps s’étaient déjà divisés. On entendait beaucoup d’informations. Il fallait que tout ça s’arrête. ». Le patron des CDR se rend notamment chez Blaise Compaoré pour lui proposer d’assister à un meeting commun. Compaoré refuse. « Je lui ai dit que Thomas me demandait de ses nouvelles. Mais Blaise, ce n’est pas quelqu’un qui parle beaucoup. Il dit : "Oui, oui, d’accord" mais, regrette-t-il, on n’est pas arrivé à bouger. »




Thomas Sankara (g) et Blaise Compaoré (d). © Patrick Aventurier/ Getty Images - Issouf Sanogo/AFP


Les points de désaccords ? Certains évoquent des questions d’argent : la rigueur de Sankara dans la lutte contre la corruption, ou le problème des petites rémunérations des responsables du Conseil national de la Révolution. « Là où Thomas Sankara voulait aller, il sentait qu’il y avait de moins en moins d’enthousiasme pour aller », se souvient Basile Guissou. « En Conseil des ministres, à maintes reprises, ça, il le disait : "J’empêche les gens de manger [au sens de s’enrichir, NDLR], ils veulent manger… Mais il faudra me tuer avant de manger". » L’ancien ministre fait ensuite référence aux propos de Thomas Sankara, lors d’une interview télévisée : « Je me retrouve un peu comme un cycliste qui grimpe une pente raide et qui a, à gauche et à droite, deux précipices. Pour rester moi-même, pour me sentir moi-même, je suis obligé de continuer dans cette lancée. » Pour Basile Guissou, cette déclaration est révélatrice : « C’est exactement la situation dans laquelle il se trouvait. Il se sentait pris dans un piège. »



« Il se sentait pris dans un piège. » Basile Guissou, ancien ministre



C’est dans ce contexte qu’est mise en place la FIMATS, la Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité. Pour Pierre Ouédraogo, cette création a peut-être été un élément déclencheur.

Le 14 octobre, la veille de la mort de Sankara, le Conseil des ministres adopte un projet de création d’une force de police d’intervention, rattachée au ministère de l’Intérieur, la FIMATS, sorte de brigade anti-putsch. Son commandement est confié à Vincent Sigué, considéré comme le véritable « chien de garde » de Thomas Sankara. Blaise Compaoré s'oppose à la création de cette force. Les paras commandos de Pô, qui sont sous le commandement du capitaine Compaoré, sont alors la principale force d’intervention. La FIMATS représente à ses yeux une force concurrente qui peut faire contrepoids. Le projet de loi entérinant la création de la FIMATS est d’ailleurs adopté en l’absence de Blaise Compaoré.

Selon Nongma Ernest Ouédraogo, le puissant ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité, il s’agissait juste de reconstituer une Compagnie républicaine de sécurité pour veiller à la sécurité. La CRS avait été dissoute. Le ministre reconnaît toutefois que la création de cette force était très mal perçue dans le camp de Blaise Compaoré. « Ils disaient qu’on créait une nouvelle force, à un moment où la tension montait, pour attaquer l’autre clan. Alors que ce n’était pas vrai », insiste Nongma Ernest Ouédraogo, qui dit avoir appris par la suite que Blaise Compaoré était « furax » quand on lui a dit que le projet avait été adopté.




Nongma Ernest Ouédraogo, ancien ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité. © Carine Frenk/RFI


Lors du Conseil des ministres du 14 octobre 1987, Nongma Ernest Ouédraogo a ces mots : « Pendant longtemps, nous nous sommes occupés de nos ennemis, maintenant nous allons nous occuper de nos amis ». Aujourd’hui, l’ex-ministre, un peu gêné, précise dans un sourire : « C’était juste pour plaisanter. Ils me connaissaient mais ils ont pris ça à la lettre ».



« Maintenant nous allons nous occuper de nos amis. » Nongma Ernest Ouédraogo, ancien ministre de la Sécurité



Blaise Compaoré n’avait peut-être pas tout à fait tort de s’inquiéter. « Il est probable qu’il ait interprété ça comme un acte hostile », analyse le capitaine Pierre Ouédraogo, patron des Comité de défense de la Révolution : « On allait avoir l’escadron de transport et d’intervention rapide avec le lieutenant Michel Kouama, qui était fidèle à Thomas Sankara. On allait avoir la FIMATS, sans compter le BIA, le Bataillon d’intervention aéroportée, à Koudougou, qui était en appui, même si c’est à une centaine de kilomètres de Ouagadougou. Ça faisait que la position prédominante du CNEC [le Centre national d'entraînement commando que commandait Blaise Compaoré, NDLR] allait être remise en cause tôt ou tard ».



« La réforme de la FIMATS : « Un acte hostile » Capitaine Pierre Ouédraogo, patron des Comités de défense de la Révolution



Le projet de loi sur la FIMATS est donc formellement adopté ce 14 octobre. Lors de ce même Conseil des ministres, Fidèle Toe, l’ami d’enfance de Thomas Sankara, qui était alors ministre du Travail, se souvient également de la sortie de Thomas Sankara. Ce jour-là, alors que la capitale bruisse de rumeurs, que les tracts les plus violents circulent en ville, Thomas Sankara critique ses ministres qui ne posent aucune question sur le sujet. Il déclare : « On dit que j’ai tiré sur le commandant Lingani, on dit que j’ai tiré sur le capitaine Henri Zongo [ministre de Promotion économique, un des quatre principaux responsables de la révolution, qui était dans la salle, NDLR] et que je l’ai raté. » Et avec un certain humour, Thomas Sankara ajoute : « Si j’attrape ces gens, je porte plainte contre eux. Penser que je puisse tirer sur un ami et le rater en plus, c’est-à-dire que je suis maladroit. C’est une insulte à mon adresse !. » Fidèle Toe raconte : « Cela a détendu l’atmosphère ». Puis Thomas Sankara rassure les ministres : « Les choses sont en train de se calmer. Tout est entré dans l’ordre. Nous nous sommes vus et nous allons repartir de plus belle ensemble ». Commentaire de Fidèle Toe : « Moi en tout cas, je me suis senti soulagé et j’ai raconté l’anecdote autour de moi. Vous imaginez ma surprise le lendemain. »



« Il y a eu un 15 octobre et il y a eu un 14 octobre au Conseil des ministres. » Fidèle Toe, ministre et ami d’enfance de Sankara



Ce 14 octobre, ni Fidèle Toe, ni Nongma Ernest Ouédraogo, ni Pierre Ouédraogo n’ont imaginé ce qui allait se passer. Un sentiment que le patron des CDR exprime ainsi : « Je ne pensais pas que cela puisse arriver, jusqu’à ce que cela arrive. »



Le camp Compaoré accuse




Officiellement, au moment de l’attaque, Blaise Compaoré se trouve chez lui. Il est souffrant. Il a une crise de paludisme, selon plusieurs sources. Dans les semaines qui suivent le coup d’État, il accorde quelques rares interviews, affirme qu’il n’a jamais donné l’ordre d’assassiner son ami, qu’il n’était pas informé d’un quelconque projet et qu’il a dû assumer le pouvoir.



« Je reproche à Thomas Sankara d’avoir par moment méprisé son peuple. » Interview de Blaise Compaoré, RFI, 20 octobre 1987



Achille Tapsoba est actuellement président par intérim du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de Blaise Compaoré. Sous la révolution, il était directeur des « CDR (Comités de défense de la Révolution) géographiques » – 7 000 comités de base sur l’ensemble du territoire -, avant de devenir commissaire politique chargé de l’organisation et de la planification du secrétariat général des CDR. Il défend la version soutenue par Compaoré : « Moi, j’ai confiance en sa déclaration, et je suis convaincu que, s’il a dit qu’il n’avait pas donné d’instructions, il ne l’a pas fait. Parce que, connaissant l’homme, si c’était lui qui avait donné les instructions pour éliminer Thomas Sankara, après la mort de Thomas Sankara, il aurait eu le courage de le dire. Des témoins ou du moins des acteurs de l’époque nous confirment qu’ils ont dû écarter Blaise Compaoré pour pouvoir agir sinon, s’il avait été tenu au courant de ce qui allait se passer, certainement qu’il aurait dissuadé ceux qui voulaient le faire ».




Blaise Compaoré le 19 octobre 1987 lors de sa première allocution radio. © Stringer/AFP


Pour Achille Tapsoba, c’est pour cette raison que Compaoré n’a pas été informé, ni associé. « Le 15 octobre 1987, poursuit-il, ses hommes ont posé un acte dans une contradiction où c’était l’un ou l’autre… et c’est son camp qui a gagné. Ceux qui sont tombés sont tombés en pensant qu’ils avaient la vérité avec eux et que c’était pour l’amour de leur pays. Et ceux qui les ont fait tomber, eux aussi ils étaient convaincus qu’ils le faisaient pour l’amour du pays et parce qu’ils avaient la vérité avec eux ». Le président par intérim du CDP justifie également le fait que Blaise Compaoré ait accepté d’« endosser » : « Il y a eu un petit silence entre les premiers coups de feu et la situation qui s’est imposée… et après, la proclamation a été signée par Blaise Compaoré parce qu’il n’y avait plus rien à faire. Objectivement, il a dû endosser, prendre la responsabilité. Même s’il n’en est pas l’auteur, il en est le responsable. » Et Achille Tapsoba d’ajouter : « Il a pris l’État dans des circonstances assez douloureuses, il y a toujours eu l’adversité, cette question s’est toujours invitée au niveau de l’opposition pour contrecarrer le travail de son régime. »



« Si c’était lui, il aurait eu le courage de le dire. » Achille Tapsoba, président par intérim du CDP



Dans le camp des partisans de Blaise Compaoré, on évoque ce que l’on a appelé le « complot du 20 heures ». Ce 15 octobre 1987, Thomas Sankara aurait décidé de passer à l’action. Des tracts et des rumeurs d’attaque circulent alors en ville. Le bruit court que la garde de Thomas Sankara, épaulée par des forces de police de la FIMATS et les militaires du camp Kamboinsin, à une quinzaine de kilomètres du centre de la capitale, s’apprête à agir afin de neutraliser Blaise Compaoré et ses partisans. Face à cette menace, il faut agir vite. Convaincus de l’imminence de l’opération, des militaires de la garde rapprochée de Blaise Compaoré auraient décidé d’« anticiper » sans en avoir reçu l’ordre de Compaoré lui-même




Des Burkinabè devant la tombe de Thomas Sankara le 20 octobre 1987. ©François Rojon/AFP


Pour les fidèles de Thomas Sankara, Blaise Compaoré a tout fait pour étouffer l’affaire. Pas de sépulture décente, pas d’hommage. Aucune sanction, encore moins de procès. Achille Tapsoba, le président par intérim du CDP, explique que c’est notamment parce que les hommes qui avaient pu agir l’avaient fait en situation de légitime défense, dans un contexte particulier : « C’est une crise politique qui a été réglée par les armes. C’était soit tirer sur l’autre, soit être tiré par l’autre. Je crois que c’est cet esprit qui est resté ». D’où l’absence de sanctions contre les militaires qui ont tiré sur le président Sankara, selon Achille Tapsoba.



« C’était soit tirer sur l’autre, soit se faire tirer dessus. » Achille Tapsoba, président par intérim du CDP



Jean Marc Palm était membre du CNR pendant la révolution. Après l’assassinat de Thomas Sankara, il est devenu ministre des Affaires étrangères. A ce titre, il a effectué de nombreuses missions à l’étranger pour expliquer ce qui s’était passé, pour rassurer aussi les différentes capitales. « Il fallait rassurer les pays voisins sur le bon voisinage, les pays disons progressistes et les pays comme la France, c’est ce qui a été fait. »



« Il fallait rassurer les pays comme la France. » Jean-Marc Palm, ministre des Affaires étrangères sous Blaise Compaoré



Et Blaise Compaoré n’a pas eu de mal à convaincre les chancelleries. Il peut s’installer au palais au présidentiel, pour 27 ans mais il restera considéré comme le suspect numéro un.



Le camp Sankara se défend


Pour les proches de Thomas Sankara, cette thèse n’est pas crédible. Secrétaire général national des CDR, les Comités de défense de la Révolution, le capitaine Pierre Ouédraogo était en contact permanent avec Thomas Sankara. Il énumère les failles de cette version des faits : pour lui l’implication de Blaise Compaoré ne fait guère de doute. D’abord, fait remarquer Pierre Ouédraogo, Blaise Compaoré n’a jamais dénoncé l’acte en tant que tel. Il a plutôt tenté de le justifier. Autre élément tangible, selon lui : « Les hommes qui l’ont fait [tuer Sankara, NDLR], ce sont ses hommes à lui, pas à quelqu’un d’autre, des gens de son unité qui ont agi contre le président du Faso et ces gens étaient en liberté. Par contre, nous, on a été mis en prison pour moins que ça, juste pour avoir dit que nous ne le suivions pas. »




Thomas Sankara au centre. © Daniel Laine/RFI


Pour le patron des CDR, Blaise Compaoré a bel et bien organisé un coup d’Etat : « Dans la normale, à supposer qu’il ait été totalement surpris par cet événement, le minimum, c’est que ce même Conseil national de la Révolution se réunisse pour voir quelles sont les mesures à prendre. Il n’y pas eu cette réunion. Au Burkina, on sait quand même ce qui se passe après un coup d’Etat, on démet le gouvernement, on suspend la Constitution, les points névralgiques sont occupés. C’est exactement ce qui s’est passé. Le fait qu’il y ait eu des actions simultanées comme la mort du capitaine Kouama Michel, commandant de l’escadron de transport et d’intervention rapide, qui aurait été tué presqu’en même temps que le président. C’est une coïncidence qui peut laisser penser qu’il y avait une organisation assez avancée pour permettre que cela se passe. D’autant plus qu’on sait que cette unité était prévue pour intervenir la première en cas de difficultés, en cas d’attaque du Conseil de l’Entente, en cas de mise en cause des institutions. C’est cette unité qui disposait des moyens pour venir rétablir l’ordre. Au lieu de cela, le commandant de cette unité a été tué presqu’en même temps. » Et Pierre Ouédraogo de conclure sur ces doutes plus que sérieux : « Ça pourrait avoir été coordonné ».



« Les hommes qui l’ont fait, ce sont ses hommes à lui [Blaise Compaoré]. » Capitaine Pierre Ouédraogo, ex-secrétaire général national des CDR



Le Conseil de l’entente est aujourd’hui une zone militaire à l’abandon, le long du boulevard Charles-de-Gaulle. Les bâtiments sont vides, délabrés. Sous le régime de Blaise Compaoré, c’était une caserne affectée au RSP, le Régiment de la sécurité présidentielle, qui a remplacé le CNEC et qui, depuis, a été dissout. La zone a été rétrocédée au Comité international pour le mémorial Thomas Sankara, qui n’a pas encore pris possession des lieux. Président de cette association qui se bat pour la mémoire de Thomas Sankara, le colonel major Bernard Sanou est toujours ému quand il arrive au pied du bâtiment du Burkina, là où Thomas Sankara a été abattu. Quant à la salle où se tenait la réunion, la justice militaire en interdit l’accès.




Le bâtiment du Burkina du Conseil de l’entente en 2017. © Carine Frek/RFI


Le 15 octobre 1987, le colonel-major Bernard Sanou était le chef de corps du génie militaire. « Moi, j’avais reçu effectivement l’information de notre secrétariat comme quoi nous étions convoqués à une réunion militaire à 20 heures. Mais quand on me dit que Sankara avait prévu à cette réunion d’éliminer les Blaise Compaoré, moi je n’y crois pas ». Le colonel-major Bernard Sanou ne croit pas non plus que des hommes aient pu agir par eux-mêmes.




Le colonel-major Bernard Sanou. © Carine Frenk/RFI


« Hyacinthe Kafando était un sergent à l’époque. Un simple sergent peut mobiliser des gens et décider d’aller arrêter un capitaine, de surcroît chef de l’Etat ? Soyons sérieux ! » Et d’expliquer : « Hyacinthe Kafando appartenait à une unité et tous ces éléments-là étaient issus d’un même corps, le CNEC de Pô. Et ils avaient un chef, Gilbert Diendéré. Ou bien ils auraient désobéi ! Je ne sais pas mais s’ils ont désobéi aux ordres de Gilbert Diendéré, cela veut dire que par la suite ils devaient être sanctionnés. Nous sommes une armée ! On n’a jamais pris de sanctions contre ces éléments-là. » Le président du Comité international pour le mémorial Thomas Sankara se souvient également n’avoir jamais cru aux explications avancées à l’époque sur une tentative d’arrestation qui aurait mal tourné : « C’était clair que l’élimination physique de Thomas Sankara avait été planifiée, ordonnée […] et exécutée par des éléments de Blaise Compaoré. Autre chose, ce n’est que du dilatoire et ce n’est pas la vérité. »



« C’était clair que l’élimination physique de Thomas Sankara avait été planifiée, ordonnée. » Colonel Bernard Sanou, président du Comité international pour le mémorial Thomas



« Cette théorie du complot, c’est du bidon. »

Jean-Hubert Bazié, journaliste-écrivain

Pour le journaliste écrivain Jean-Hubert Bazié, directeur de publication de l’hebdomadaire L’intrus, qui jouait le rôle de conseiller en communication de Thomas Sankara - « un conseiller et un ami », précise-t-il -, cette théorie du complot, « c’est du bidon. S’il y a un complot, il faut quand même se protéger ! Il faut un dispositif spécial. On ne va pas à l’attaque sans un minimum de protection ou de dispositif de repli. De toute évidence, il [Thomas Sankara] n’avait pas ce dispositif-là ».



Témoignage de Jean-Hubert Bazié, journaliste écrivain



Le pharmacien-colonel Abdou Salam Kaboré, ministre de la Santé puis des Sports de Thomas Sankara, était un ami du chef de l’Etat. Les deux hommes se connaissaient depuis leur passage au PMK, le Prytanée militaire de Kadiogo. Au début des années 1970, Abdou Salam Kaboré a créé avec Thomas Sankara, dans la clandestinité, le groupe des jeunes officiers que Blaise Compaoré rejoindra par la suite. Abdou Salam Kaboré avait également des rapports amicaux avec Compaoré : « On jouait à la pétanque ensemble à Zianaré – le village natal de Blaise Compaoré. On avait peut-être 17-18 ans. » Abdou Salam Kaboré ne croit pas non plus qu’un complot anti-Compaoré puisse avoir été programmé. D’ailleurs, il se souvient avoir assisté à une scène où « deux militaires étaient prêts à se rendre à Pô, avec leur détachement, pour en découdre avec Blaise, pour empêcher Blaise de nuire à Thomas. Ils ont dit : "Nous, on va monter à Pô et on va régler ce qu’il faut régler." Thomas les a empêchés de le faire. Il leur a dit : "Vous ne ferez pas ça, je ne veux pas qu’il y ait du sang versé." Comme les deux gradés insistaient, il a dit : "Vous n’irez pas au péril de ma vie", en sortant son pistolet ! » Selon le pharmacien-colonel Abdou Salam Kaboré, cela signifiait : « Si vous quittez chez moi pour aller descendre Blaise, moi je vous descends avant. »



« Deux militaires étaient prêts à se rendre à Pô pour empêcher Blaise de nuire. » Abdou Salam Kaboré, pharmacien-colonel et ami de Sankara



Même démenti du côté de l’ancien aide de camp de Thomas Sankara, le lieutenant Moussa Diallo, qui était en octobre 1987 l’adjoint du commandant de la gendarmerie. Moussa Diallo reconnaît qu’au sein des partisans de Thomas Sankara, il est possible que certains aient pu penser à passer à l’action, « ne serait-ce que du point de vue de leur propre sécurité, que deviendraient-ils après ? ». Mais il assure qu’il n’y a jamais eu de « complot du 20 heures ». « Ça n’a pas été planifié, affirme-t-il. Si une personne avait voulu franchir l’étape de la conception d’un projet pour passer à l’exécution, elle nous aurait associés, nous la gendarmerie. Parce que nous étions fiables et parce que nous avions, à la gendarmerie, des services de renseignements et des unités de combat. Donc il n’y avait pas d’intérêt à agir sans nous. Nous étions vraiment proches de tous les partisans de Thomas Sankara qui nous faisaient confiance. »



Le camp Sankara contre-attaque


En revanche, dans son témoignage, le numéro 2 de la gendarmerie affirme que le camp de Blaise Compaoré préparait bel et bien une opération. « En tant que gendarmerie, nous avions l’information que quelque chose se tramait. Nous avions des preuves certaines, qu’il y avait un complot contre Sankara et personnellement j’ai eu à le lui dire. Mieux, j’avais des enregistrements de conversations qui faisaient état de ce complot-là. J’ai pris un magnétophone, j’ai mis la cassette. J’ai demandé un rendez-vous. Il n’a pas voulu me recevoir pendant des jours, puisqu’il savait bien de quoi je voulais lui parler. J’ai monté un coup avec son aide de camp, celui qui m’a remplacé, Etienne Zongo. Je suis allé dans le bureau d’Etienne. Quand il n’y avait personne dans son bureau [quand nous avons vu que Thomas Sankara était seul dans son bureau, NDLR], Etienne a ouvert la porte, je suis rentré. Je lui ai dit : "Camarade président, je voudrais juste que vous écoutiez cette cassette-là. Ça ne prendra pas cinq minutes." »



« Nous avions des preuves certaines, qu’il y avait un complot contre Sankara »

Moussa Diallo, ex-commandant adjoint de la gendarmerie

« Il m’a dit : "Je ne veux pas écouter". J’ai salué, je suis ressorti. Et c’est le lendemain, le soir qu’il m’a appelé de chez lui. Il m’a dit : "Diallo, je sais bien ce dont tu veux me parler, tout le monde en parle maintenant, mais je crois qu’il ne faut pas s’inquiéter, les choses vont rentrer dans l’ordre." Je lui ai dit : "Non, les choses ne vont pas rentrer dans l’ordre. Ne vous trompez pas, on va vous faire un enterrement de première classe", parce que moi je ne croyais pas qu’ils allaient commettre un coup d’Etat aussi bête. Pour moi, ils allaient l’éliminer en douce, par exemple bombarder son avion et mettre ça sur le dos de l’impérialisme. Et quand j’ai commencé à aborder cette question, il a pris la guitare, il a commencé à jouer. Il ne me répondait plus… "Oui","Non", et puis on est passé à autre chose. J’ai compris qu’il ne voulait pas en discuter. Il avait déjà son opinion arrêtée. J’ai pris mes clefs et je suis parti. »




Thomas Sankara. © Daniel Laine /AFP


L’enregistrement ? Une interception téléphonique. Le domicile de Blaise Compaoré a été mis sur écoute, la gendarmerie sentant que quelque chose n’allait pas. Et ce jour-là, raconte Moussa Diallo, la gendarmerie a fait une prise de choix. « C’était la conversation de quelqu’un - dont je tairai le nom pour le moment - qui était chez Blaise, au domicile de Blaise et qui appelait Blaise qui était à Pô ce jour-là, et qui lui faisait état des contacts et de l’évolution de la situation… et de la nécessité d’agir au plus vite ! Ce Monsieur était un civil, en fait. Ce n’était pas un militaire, c’était un civil qui avait ses entrées chez Blaise et qui disait "Voilà, j’ai contacté untel, ils sont favorables, mais tout le monde est inquiet puisque Sankara est au courant. Il faut passer à l’action plus vite. Très tôt." »



« C’était la conversation de quelqu’un - dont je tairai le nom pour le moment - qui était au domicile de Blaise. » Moussa Diallo ex-commandant adjoint de la gendarmerie



Quel rôle pour Gilbert Diendéré ?



Le général Gilbert Diendéré le 25 juillet 2014. ©Sia Kambou/AFP


A Ouagadougou, aujourd’hui, il est difficile de trouver des acteurs du camp de Blaise Compaoré qui acceptent de livrer leur témoignage. La justice militaire est saisie, le dossier est encore à l’instruction. Certains préfèrent se faire oublier, ne pas « remuer la boue sur la place publique », explique un proche de Blaise Compaoré.

Il faut dire que Blaise Compaoré n’est plus là et que son fidèle adjoint Gilbert Diendéré est détenu à la MACA, la Maison d’arrêt et de correction des armées, dans l’affaire du putsch manqué de septembre 2015. Le général Diendéré, l’ex-chef d'état-major particulier du président Compaoré, le fidèle d’entre les fidèles, a été inculpé en 2015 dans le dossier Sankara.

Flashback : en août 1983, après la prise du pouvoir par Thomas Sankara, un détachement de la garde présidentielle a été installé au Conseil de l’entente pour assurer la sécurité du chef de l’Etat. Ce corps d’élite était divisé en deux branches, la sécurité « rapprochée » et la sécurité « éloignée », selon les termes militaires utilisés à l’époque. La crise entre Thomas Sankara et Blaise Compaoré s’est répercutée au niveau des hommes, notamment entre la sécurité « rapprochée » (celle de Thomas Sankara) et une partie de la sécurité « éloignée » (celle de Blaise Compaoré).

Gilbert Diendéré était à l’époque commandant en second du CNEC, le Centre national d’entraînement commando de Pô. Il était en quelque sorte l’adjoint de Blaise Compaoré. C’est lui qui commandait les deux branches de la sécurité présidentielle.

« Je pense que c’était une équipe conduite par Hyacinthe Kafando et qui n’a pas reçu d’instructions de qui que ce soit. »

Me Mathieu Somé

Que faisait Gilbert Diendéré ce 15 octobre à 16 heures ? « Du sport », répond son avocat Me Mathieu Somé, mais le matin, il avait organisé une réunion entre les deux sécurités. « Le 15 octobre 1987, affirme l’avocat, dans la matinée, Gilbert Diendéré, à la demande de certains militaires, a présidé une réunion des deux gardes rapprochées pour les inviter à rester unies, pour ne pas participer au conflit qui opposait les deux chefs historiques. Dans l’après-midi, il allait au sport, il était vers l’ENAM, en dehors du Conseil de l’entente, lorsque les tirs ont retenti. Il est revenu sur ses pas pour constater ce qui s’est passé. »

« Sur l’attaque, ce qu’il a expliqué au juge, c’est que c’est un mouvement parti de la garde de Blaise Compaoré – je pense que c’était une équipe conduite par Hyacinthe Kafando – et qui n’a pas reçu d’instructions de qui que ce soit. Ce qui s’est passé, c’est que les tracts et les rumeurs que les civils ont laissé courir ont créé une tension telle que ceux qui devaient être attaqués à 20 heures ont préféré anticiper. Mais ils n’ont pas reçu d’instruction de qui que ce soit. Hyacinthe Kafando a refusé de participer à la réunion du matin où il était question d’amener les uns et les autres à mieux se comprendre, à se solidariser. Il était retranché dans l’immeuble du Togo du Conseil de l’entente avec des hommes. Quand il est sorti de là-bas, il était à la tête de plusieurs personnes dans un 4x4 et les autres suivaient à pied. Et c’est ainsi qu’ils sont allés vers la salle où Thomas Sankara était en réunion avec certains de ses collaborateurs. Et quand ils sont arrivés, ils ont ouvert le feu. » Interrogé sur de précédents propos de Gilbert Diendéré ayant décrit une autre version, une tentative d’arrestation de Sankara qui aurait mal tournée ce jour-là, l’avocat botte en touche.



« Ceux qui devaient être attaqués à 20 heures ont préféré anticiper. » Me Mathieu Somé, avocat de Gilbert Diendéré



D’après son avocat, Gilbert Diendéré a donc présidé une réunion entre militaires, le matin du 15 octobre, afin de faire en sorte que la tension s’apaise entre les deux corps de sécurité, la sécurité « rapprochée » et la sécurité « éloignée ».

Cette information est confirmée par un sous-officier de la garde présidentielle qui a assisté à cette réunion. Exceptionnellement, ce militaire a accepté de parler à RFI sous couvert de l’anonymat.



« Il fallait procéder à son arrestation […] C’est Diendéré lui-même qui a parlé de ça  »

Un sous-officier qui souhaite garder l’anonymat



Quels ont été les résultats de cette rencontre ? « Les gens n’ont pas été satisfaits dans la mesure où il y a des idées fortes qui ont été dégagées, des propositions qui ont été faites et lui Diendéré, en tant que chef de corps, en tant que responsable de la sécurité devait au moins prendre cela en compte et le mettre en pratique. »

Le 15, selon ce témoin, après la réunion regroupant les deux sécurités, l’idée de mettre la main sur Sankara pour le placer en résidence surveillée à Pô est formulée pour éviter l’effusion de sang. « C’est Diendéré lui-même qui a parlé de ça. » Ce n’est pas quelqu’un d’autre. Selon lui, il y a eu des informations de sources qu’il a reçues faisant état d’un complot que Thomas Sankara aurait organisé contre Blaise et qui devait se passer au cours de la réunion de 20 heures. Il fallait procéder à son arrestation. »



« Je ne pense pas que les choses puissent se faire comme ça […] sans qu’il y ait une main derrière. » Témoignage d’un militaire qui a requis l’anonymat




« On s’est dit que peut-être ce n’était pas l’arrestation qu’on voulait, peut-être que c’était autre chose. Sinon, si c’était pour arrêter Thomas Sankara, lui il est à l’intérieur en réunion avec son staff, sa sécurité rapprochée, ils n’étaient même pas aussi nombreux que ça. » Le sous-officier ne croit pas non plus que des éléments aient pu agir sans ordre : « Je ne pense pas que les choses puissent se faire comme ça, que des éléments puissent se lever d’eux-mêmes comme ça pour faire ce genre de chose, sans qu’il y ait une main derrière. C’est pas possible. »