Souvent présenté comme le deuxième poumon de notre planète, le bassin du Congo joue un rôle vital dans l’équilibre écologique terrestre. De sa préservation dépend l’avenir climatique du continent africain… et celui de l’humanité. Pourtant, le bassin du Congo demeure l’une des régions les plus méconnues au monde, un manque de connaissances et de données scientifiques qui l’exclut actuellement de nombreux modèles climatiques et limite les initiatives pour le protéger. Une nouvelle génération de scientifiques africains cherche aujourd'hui à révéler les secrets de la forêt équatoriale africaine pour garantir son avenir et trouver des solutions en harmonie avec les communautés qui en dépendent.
Des cumulus dessinent le paysage au-dessus de la forêt tropicale. Le bassin du Congo est l'un des endroits les plus nuageux sur Terre, car l'air chaud et humide qui s'élève de la forêt se refroidit en montant et forme des nuages. Deuxième plus grande forêt tropicale au monde, elle est essentielle à la régulation des précipitations sur le continent africain.
- Au cœur des tourbières -
Corneille Ewango, professeur de botanique à l'université de Kisangani, grimpe à un arbre pour collecter un échantillon lors d'une expédition dans la province de Tshopo, en République démocratique du Congo, afin de cartographier les plus grandes tourbières tropicales au monde.
En 2017, après plusieurs années d’un travail de cartographie méticuleux combinant expéditions et données satellitaires, des chercheurs révèlent avoir découvert la plus grande étendue de tourbières tropicales au monde au cœur du bassin du Congo. Ces écosystèmes délicats absorbent des tonnes de carbone chaque année, qu’ils stockent au fond de l’eau – tant que la forêt demeure immergée. Une chance pour la lutte contre le changement climatique… et une bombe à retardement si les tourbières et la forêt ne sont pas protégées.
Cette découverte révèle aussi indirectement l’étendue de notre ignorance : si un écosystème si important a pu être découvert il y a quelques années, quels autres secrets la forêt abrite-t-elle ? Sans une connaissance approfondie et des données précises, protéger la forêt demeure un exercice difficile.
Les scientifiques mesurent un échantillon de tourbe qu’ils ont prélevé. Les tourbières ne couvrent que 3 % de la surface de la Terre, mais stockent deux fois plus de carbone que toutes les forêts du monde et un cinquième de l’ensemble du carbone stocké dans les sols. Si seulement un tiers de ces tourbières brûlait, la quantité de CO2 dans l'atmosphère doublerait.
En stockant les plantes et leurs graines, les tourbières sont aussi des archives naturelles permettant l’étude de l’histoire ancienne de la forêt. Corneille Ewango, Felix Kihambu et Jean-Paul Shaumba Kabeta de l'université de Kisangani collectent des échantillons de tourbes pour ainsi remonter dans le temps et comprendre les impacts du changement climatique sur ces écosystèmes fragiles
- La science, une histoire à écrire -
Noa Fidele et Norbert Yeni Olimo travaillent à l'Herbier national du Congo à Yangambi, un trésor botanique abritant la plus grande collection de plantes séchées d'Afrique centrale, en République démocratique du Congo. Quinze pour cent de ses 150 000 spécimens sont si rares qu'ils ne peuvent être trouvés qu'ici.
Dans les pas de pionniers tels que le professeur Ewango, une génération émergente de scientifiques africains s’attelle aujourd’hui à étudier la forêt. À la station de Yangambi, un ancien centre de recherche construit sous la colonisation belge, de jeunes Congolais se réapproprient ce lourd héritage issu d’un passé d’exploitation pour en faire un tremplin pour l’avenir du bassin du Congo – et celui des populations de l’Afrique centrale.
La forêt joue un rôle vital pour l’ensemble du continent, notamment en régulant les précipitations, bien au-delà de la région. Sans la forêt, l’Afrique serait un désert. Emmanuel Kasongo Yakusu, un doctorant à l’université de Kisangani, a numérisé les archives météorologiques du département de climatologie de Yangambi. Grâce à ces données uniques, représentant un siècle du travail réalisé par les observateurs de la station, Kasongo a pu précisément quantifier le réchauffement climatique dans la région (+ 1,2°C depuis 1960) ainsi que le dérèglement des saisons pluvieuses.
Des enfants jouent au football dans une piscine construite par les colons belges à Yangambi. Lorsque les chercheurs européens abandonnent Yangambi à l’indépendance en 1960, aucun scientifique congolais n’a été formé. La station de recherche tombe en désuétude.
Christian Besombi Afanta, bibliothécaire aux archives de Yangambi.
Emmanuel Kasongo Yakusu dans les archives du département de climatologie de la station de recherche de Yangambi. Kasongo a numérisé près d’un siècle de données météorologiques méticuleusement préservées sur des papiers jaunis et effrités pour constituer une base de données quantifiant le changement climatique dans la région. Son travail a démontré l’augmentation des températures et la perturbation des régimes de précipitations, avec des conséquences inquiétantes pour l’agriculture et l’écologie de la forêt.
Dans un champ derrière le département de climatologie, une douzaine d’instruments datant de l’époque coloniale – dont ce thermomètre – continue à être utilisés par les observateurs de la station pour collecter des données climatiques, notamment la température, les précipitations, l'humidité relative et la pression atmosphérique. Grâce à ces données collectées depuis 1928, les chercheurs peuvent aujourd’hui étudier le changement climatique dans la région.
- Mettre fin à la déforestation -
Merveille Mbombahundu et Dieu Yannick se réveillent à l’aube sur le radeau de fortune sur lequel ils vivent depuis un mois alors qu’ils descendaient le fleuve Congo depuis Bwende pour vendre les grumes au port de Kinkole.
Connaître la forêt permet de mieux la gérer. Avec un secteur de l’exploitation du bois en plein essor et les effets du changement climatique qui se font déjà sentir, les arbres de la forêt du bassin du Congo sont sous pression. Dans le « wood lab » de Yangambi, Nestor Luamba et Chadrack Kafuti étudient les essences de la région pour en connaître les spécificités et conseiller le gouvernement en matière de politique forestière. Leurs travaux permettent aussi de constituer une base de données « d’empreintes digitales » des arbres qui aidera les agents de l’État à stopper le trafic d’espèces rares ou en danger. Leur dernier projet en date ? Résoudre le mystère des Afrormosia, des arbres particulièrement résilients qui pourraient permettre à la forêt de s’adapter aux futures périodes de sécheresse.
Chadrack Kafuti, un bio-ingénieur, passe ses journées sous la canopée à étudier l’Afrormosia, un arbre géant du bassin du Congo, particulièrement résilient aux variations climatiques mais menacé par la surexploitation humaine.
En tant que grande espèce qui domine la canopée, l'Afrormosia est un indicateur et un contributeur clé de la santé et de la diversité de l'écosystème forestier. Son bois d’œuvre très apprécié est également une source de revenus importante pour les communautés locales. Chadrack Kafuti étudie son cycle biologique pour établir des critères d’exploitation durable.
- Retrouver l’équilibre -
De jeunes garçons chassent des rongeurs et d'autres sources de protéines capturés dans les flammes d'un incendie déclenché par la communauté locale à la lisière de la forêt de Yangambi, en République démocratique du Congo.
La forêt est aussi une source importante d’alimentation pour les populations du bassin du Congo. Mais avec une population croissante et de plus en plus urbaine, certaines pratiques traditionnelles comme l’agriculture sur brûlis ne permettent plus à la forêt de se régénérer. L’agroforesterie, une pratique consistant à mêler arbres et culture agricole sur un même terrain, est une piste de recherche pour retrouver un équilibre entre besoins humains et protection de la forêt. Les abondantes ressources de la forêt sont aussi une source d’inspiration.
À Luki, une station de recherche dans le Kongo-Central, Ernestine Tipi, une chercheuse camerounaise, travaille avec les communautés locales pour développer des activités alternatives comme l’apiculture et l’élevage des chenilles. Gertrude Mbumbu, une mycologue de l’université de Kinshasa, a développé son propre business pour cultiver et vendre des champignons comestibles dans la mégapole, une source de protéines importante, mais négligée. Ces solutions durables sont malheureusement sous-estimées et pâtissent d’un manque d’investissement.
Gertrude Mbumbu (au centre), étudiante à l'université de Kinshasa, dirige une petite entreprise dans laquelle elle emploie Bibiche Buyudi, Justin Mundele, Francis Kisumbule et Shiva Mayitidi pour cultiver des champignons dans un garage loué à Kinshasa, en République démocratique du Congo. Gertrude fait vivre sa famille grâce à son activité entrepreneuriale. Les champignons sont un aliment nutritif à la faible empreinte environnementale et peuvent constituer une alternative à la viande de brousse et à l’élevage polluant.
Les apiculteurs Godfrey Kwebena Bazungula et Jean-Jacques Lutete Luakanda s'occupent de leurs ruches dans la réserve de biosphère de Luki, en République démocratique du Congo. La culture du cacao et du miel sont des sources de revenus alternatives à l’agriculture sur brûlis, le charbon ou la chasse.
- Devenir scientifique -
Des étudiants en biologie de l'université de Kinshasa explorent la réserve de biosphère de Luki, en République démocratique du Congo. Ils y cueillent des champignons et attrapent des insectes dans le cadre de leurs recherches. Ces étudiants font partie d’une génération émergente de scientifiques congolais qui s’efforcent de combler le manque de connaissances sur la forêt tropicale et d’en assurer l’avenir.
Ils pratiquent des métiers encore méconnus ou mal compris. Pourtant, ces jeunes ont décidé de devenir des scientifiques, qu'ils soient botanistes, virologues ou climatologues. Dans les universités et les écoles spécialisées qui ont vu le jour dans la région, telles que l'ERAIFT, l’École régionale d'aménagement et de gestion intégrés des forêts et territoires tropicaux de Kinshasa, une nouvelle génération d’experts pratiquent une science de la Terre appliquée à la gestion de l'environnement.
Les obstacles qu'ils ont dû surmonter pour vivre de leur vocation, soutenir des thèses et mener à bien leurs projets de recherche sont immenses. Dans l'une des régions les plus pauvres au monde, ces hommes et ces femmes ont dédié leur vie à comprendre et protéger l'environnement pour le bien de tous et dans des conditions parfois extrêmes. Leur travail change aujourd'hui notre perception des écosystèmes vitaux qui composent la forêt tropicale, et pourrait en redéfinir la destinée. Ils sont l'avenir de la science dans le bassin du Congo.
Joseph Kanyama, doctorant à l’université de Kisangani, vérifie sa boussole avant de s'aventurer dans l'une des régions les plus reculées du bassin du Congo, dans la province de la Tshopo, en République démocratique du Congo.
Cet arbre de la réserve de biosphère de Luki, en République démocratique du Congo, a plus de 800 ans. Lorsque sa graine a germé, Gengis Khan envahissait la Chine, le roi Jean signait la « Magna Carta » et le royaume du Zimbabwe était établi. La protection du bassin du Congo, la deuxième plus grande forêt tropicale au monde, est vitale pour l’avenir de notre planète. « Ici se décidera la survie de l’humanité », estime Chadrack Kafuti, un scientifique congolais.