Petit pays méconnu d'Amazonie, le Suriname, qui fut une ancienne colonie néerlandaise, est devenu, quelques années après son indépendance en 1975, une plateforme majeure du trafic transcontinental de la cocaïne entre l'Amérique du Sud et l'Europe.
Sa position sur la façade atlantique, la présence d'une importante communauté surinamienne aux Pays-Bas et l'implication de hauts responsables de l'armée du Suriname ont permis aux cartels colombiens de s'ouvrir, via le Suriname, aux marchés européens de la drogue. Dans les années 1990, 60% de la cocaïne en circulation en Europe a transité par ce pays. Cette activité a connu des hauts et des bas. Mais elle est aujourd'hui encore significative et mobilise toujours les services antidrogues internationaux.
Enquête sur le narcotrafic au Suriname, à la croisée d'une histoire politique singulière.
Paramaribo, 25 février 1980 : la petite capitale amazonienne du Suriname est sous tension, l’armée vient de prendre le pouvoir en renversant le gouvernement civil de cette jeune république, indépendante depuis à peine cinq ans.
Les auteurs du putsch sont une douzaine de sergents en conflit depuis des semaines avec leur hiérarchie et avec le Premier ministre Henck Arron à propos d’un différend sur leurs conditions de travail. Le conflit va s’envenimer et incarnera progressivement les insatisfactions d’une jeune génération face à un pouvoir qu’elle juge déjà usé et incapable de porter les aspirations et les rêves de la nouvelle nation, qui fut une ancienne colonie néerlandaise. À la tête de cette « révolution des sergents », un homme, le sergent-major Désiré Délano Bouterse, surnommé Dési Bouterse, se distingue et va rapidement devenir l’homme fort du pays.
Le 25 février 1980, Dési Bouterse prend le contrôle du pays, met en place un régime militaire et devient président du Conseil militaire national. Le président, Johan Ferrier, reste en place, mais il refuse de reconnaître le gouvernement civil de Henk Chin A Sen que lui impose la junte. La situation se durcit et le 13 août 1980, Dési Bouterse fait un deuxième coup d’État, proclame l’état d’urgence, dissout le Parlement et remplace Johan Ferrier par Henk Chin A Sen à la tête de l’État.
Les Pays-Bas reconnaissent le gouvernement et soutiennent le président, qui reste un civil, en espérant influer sur les militaires. Mais la junte installe progressivement un régime dictatorial de plus en plus sévère. Les partis d’opposition sont interdits, la presse muselée, un couvre-feu imposé, la répression et les arrestations arbitraires deviennent la norme.
Sur les affaires étrangères, Dési Bouterse annonce une politique de non-alignement et tisse des liens avec Cuba, la Libye et avec les sandinistes du Nicaragua. Les Américains coupent leur aide au Suriname. Le 4 février 1982, Henk Chin A Sen est destitué. Dési Bouterse, à la tête du Conseil militaire national, impose la loi martiale.
Dési Bouterse se rapproche d’autres pays non-alignés de la région et tisse des liens privilégiés avec Maurice Bishop le président de la Grenade, qu’il invite au Suriname. Une visite qui sera lourde de conséquences.
Dans la nuit du 7 au 8 décembre 1982, seize personnalités de l’opposition sont rassemblées à Fort Zeelandia, une ancienne forteresse néerlandaise située à la sortie de la capitale. Dans la journée du 8 décembre, quinze sont exécutées par la junte.
Les victimes de ce qu’on appellera « Les assassinat de décembre » sont :
Bram Behr (31 ans), journaliste
Cyrill Daal (48 ans), leader syndical
John Baboeram (38 ans), avocat
Kenneth Gonçalves (42 ans), avocat
Eddy Hoost (48 ans), avocat
André Kamperveen (58 ans), entrepreneur
Gerard Leckie (39 ans), psychologue
Sugrim Oemrawsingh (42 ans), mathématicien et scientifique
Lesley Rahman (28 ans), journaliste
Harold Riedewald (49 ans), avocat
Jozef Slagveer (42 ans), journaliste
Robby Sohansingh (37 ans), entrepreneur
Frank Wijngaarde (43 ans), journaliste (de nationalité néerlandaise)
Deux anciens putschistes, les militaires Soerendre Rambocus (29 ans) et Jiwansingh Sheombar (25 ans), jugés en novembre 1982 pour avoir cherché à restaurer le pouvoir légitime qu’ils avaient renversé avec Dési Bouterse, sont également exécutés. Seul le leader syndical Freddy Derby sera libéré.
« Les assassinats de décembre » traumatisent durablement la population du Suriname. Ces exécutions provoquent de vives réactions à l’étranger. Les Pays-Bas rompent momentanément leurs relations diplomatiques et suspendent leur aide au développement.
Pendant de très nombreuses années, un procès au Suriname va essayer de juger les responsables de ces assassinats, malgré de nombreuses tentatives d’empêchement, comme le vote par le Parlement en 2012 d’une loi d’amnistie, pour protéger Dési Bouterse, qui finalement reconnaîtra sa « responsabilité politique ».
En décembre 2019, un jugement par contumace condamne Dési Bouterse à une peine de 20 ans de prison sans qu’il soit incarcéré. Le 20 août 2021, la cour martiale du pays, dirigée par la présidente Cynthia Valstein-Montnor, confirme la peine de 2019 et condamne Dési Bouterse pour les « assassinats de décembre ».
Dési Bouterse, qui est président de la République au moment de la condamnation, fait alors appel de cette décision. Les mesures sanitaires dues au coronavirus entraînent un report de la procédure, qui devait aboutir au 31 janvier 2023, date à laquelle le parquet devait faire connaître ses réquisitions. Le verdict final sera annoncé le 20 décembre 2023. Depuis 2020, Bouterse a perdu les élections et son immunité, mais conformément à la loi, il demeurait en liberté au Suriname jusqu’à l’épuisement de tous les recours légaux.
L’ex-président a admis, début janvier 2023, avoir entendu des coups de feu le jour de l’assassinat des opposants, mais nie avoir donné l’ordre de les exécuter. Expliquant que ces 15 opposants voulaient le renverser et qu’il souhaitait les envoyer dans un autre pays. "C'était ma responsabilité de les faire arrêter. Pas de les tuer. Si j'avais su qu'ils allaient être tués, je n'aurais jamais ordonné leur arrestation", dit-il, continuant à accuser dans cette affaire son second Paul Bhagwandas, mort en 1996.
En pleine guerre froide, les États-Unis suivent de très près les positionnements des pays de la région. Ils craignent une expansion communiste. Des rapports de la CIA signalent d’importants projets d’implantation des Russes et des Cubains au Suriname. Le pays dispose d’une position stratégiquement intéressante sur l’Atlantique et pourrait être utilisé par des sous-marins soviétiques. Le président Ronald Reagan s’en inquiète à plusieurs reprises, et des opérations sont envisagées pour renverser le président Bouterse.
En octobre 1983, les Américains envahissent militairement Grenade. Dési Bouterse, probablement soucieux d’éviter un scénario comparable au Suriname, coupe alors immédiatement ses liens avec Cuba.
En parallèle de l’histoire politique, à partir de 1982, des rumeurs de plus en plus persistantes indiquent que le Suriname est devenu un pays de transbordement majeur pour la cocaïne colombienne. De par sa situation géographique, sur la façade atlantique de l’Amérique du Sud, et de par l’existence d’une importante diaspora aux Pays-Bas, le Suriname est effectivement une porte d’accès idéale vers l’Europe. De plus, son positionnement au sud de l’arc Caraïbe en fait aussi un point de diffusion intéressant pour le narcotrafic à destination des Caraïbes et des États-Unis.
La première preuve de l’existence d’un trafic de cocaïne entre la Colombie et le Suriname est apportée en 1983 par Jules Sedney, le président de la Banque centrale du Suriname qui doit se réfugier aux Pays-Bas après avoir refusé d’opérer un dépôt de 50 millions en provenance du cartel de Medellin.
Le cartel de Medellin rassemblera, à partir de la ville de Medellin en Colombie, les grands noms du trafic de cocaïne de l’époque : les frères Ochoa, Gonzalo Rodriguez Gacha, Carlos Lehder et Pablo Escobar. Le cartel deviendra, entre 1976 et 1992, le plus grand réseau de narcotrafiquants du monde, contrôlant 80% de la cocaïne mondiale. Le cartel exportera sa production de cocaïne principalement aux États-Unis et en Europe via, notamment, le Suriname. Il génèrera des milliards de dollars et provoquera la mort de plusieurs milliers de personnes.
Roberto Escobar, alias « El Osito » (« l’ourson ») fut le ministre des Finances du cartel de Medellin. Dans ses mémoires et dans différentes interviews qu’il accorde depuis sa libération de prison, il raconte assez volontiers – contre beaucoup d’argent – l’histoire du cartel. Il a même créé un musée à Medellin dans une maison où vivait son frère Pablo Escobar, alias « El Doctor » (« le docteur ») pour lui rendre hommage. Là, il y évoque les voyages et les rencontres que son frère Pablo et lui ont eus avec des gouvernements et des politiciens de haut rang, dans toute l’Amérique centrale et du Sud. Il indique qu’ils étaient, au début des années 1980, fréquemment les invités du régime militaire au Suriname. Une période durant laquelle le trafic va s’organiser.
Le cartel de Medellin cherche à pénétrer le marché européen et le Suriname offre de nombreux avantages : l’implication de l’État, une côte Atlantique en façade de l’Afrique et de l’Europe et une importante diaspora aux Pays-Bas. Le trafic s’organise et fait du Suriname l’une des principales plates-formes de transit de la cocaïne colombienne à destination de l’Europe via les Pays-Bas.
La cocaïne, produite par le cartel de Medellin dans des laboratoires clandestins en Colombie, est envoyée au Suriname par des petits avions qui survolent l’Amazonie à l’abri des regards. Le Suriname, qui s’est doté de nombreuses petites pistes d’avion en forêt, réceptionne la drogue et l’achemine aux Pays-Bas où elle est ensuite distribuée sur le marché européen et au-delà.
La police mettra de très nombreuses années avant d’identifier celui qui coordonne toutes ces opérations en Europe. Ce narcotrafiquant surinamais, que la police antidrogue américaine (DEA) a surnommé « le danseur », de son vrai nom Dick Stotijn, se révèlera être une personne handicapée, se déplaçant dans un fauteuil roulant, qui opérait depuis Schiphol, l’aéroport d’Amsterdam.
Pour l’ancien ministre néerlandais Jan Pronk, comme pour beaucoup d’observateurs étrangers, le Suriname est « alors sur une voie désastreuse ».
En 1985, exaspérés par le développement du trafic de drogue, les Pays-Bas montent une opération piège dans les Caraïbes pour arrêter, en dehors du Suriname et en flagrant délit, Dési Bouterse, que les services de renseignements désignent comme le responsable du trafic.
Dick Stotijn, le « danseur » (voir chapitre 1), qui collabore secrètement avec les Néerlandais depuis son arrestation, est chargé d’organiser une réunion à Curaçao (un territoire autonome néerlandais situé sur une île au nord du Venezuela) avec les responsables du trafic surinamien. Mais Dési Bouterse ne se déplace pas et envoie son bras droit, le capitaine Etienne Boerenveen. La police néerlandaise et le « danseur » reçoivent l’ordre de tout arrêter. Pour le journaliste Hans Buddingh, qui a enquêté sur cette histoire, « les Pays-Bas ont stoppé cette opération en dernière minute pour des raisons politiques, les Hollandais ont trouvé que c’était trop sensible d’aller contre Bouterse, les Pays-Bas ont préféré laisser agir les Américains qui ont alors monté l’opération "Under Cover" à Miami ».
La Drug Enforcement Administration, la DEA (la police antidrogue américaine) monte durant plusieurs mois une vaste opération pour pouvoir arrêter Dési Bouterse en flagrant délit de trafic de drogue sur le territoire américain.
Pour ce faire, l’agent de la DEA, Kenneth B. Peterson, chargé de l’opération, se fait passer pour un Américain de Floride, gros importateur de cocaïne, prêt à traiter avec les Surinamiens pour monter un important trafic régulier sur Miami à partir des vols de Surinam Airways. Kenneth B. Peterson, pour qui « l’objectif principal était Bouterse », raconte que le 25 février 1986, Ricardo Heymans, le directeur des ventes de Surinam Airways à Miami, lui avait garanti qu’au Suriname, les avions qui transporteront la drogue aux États-Unis, bénéficieront d’une protection qui « viendra des gens au plus haut niveau du gouvernement, comme le président ».
Le but de l’opération, pour la DEA, consiste alors à faire venir le président Dési Bouterse pour la négociation finale à Miami. Mais Bouterse ne fait pas le déplacement et envoie son vice-président, Etienne Boerenveen. L’objet de la négociation s’élève alors à un million de dollars par vol pour la cocaïne transportée.
La rencontre est organisée le 26 mars 1986 sur un bateau à Miami. Les narcotrafiquants américains et surinamiens, qui n’ont jusqu’à présent échangé que par le biais d’intermédiaires, s’y rencontrent pour la première fois et cherchent à obtenir des garanties sur qui ils sont. À bord du bateau se trouvent les acheteurs (quatre Américains, qui sont en réalité des agents de la DEA) et les Surinamiens représentés par Etienne Boerenveen (numéro deux du régime militaire du Suriname), accompagné par Cilvion Heymans (le représentant de la compagnie Surinam Airways à Miami) et son fils Ricardo Heymans.
Le bateau, affrété par la DEA, est équipé discrètement de micros et de caméras, et toute la réunion est enregistrée.
Bien que vice-président, Etienne Boerenveen est jeune et ne prend aucune initiative sans en référer à son chef (Dési Bouterse) dont il prend tous les ordres par téléphone, l’agent de la DEA insiste auprès de Boerenveen pour pouvoir parler directement avec son patron et se contentera d’un échange téléphonique avec Bouterse.
À l’issue de la rencontre, les agents de la DEA mettent un terme à l’opération et les Surinamiens présents sont arrêtés. Etienne Boerenveen est jugé et condamné en Floride à 12 ans de prison pour avoir tenté de monter une filière de cocaïne entre Miami aux États-Unis et Paramaribo au Suriname et il y purgera sa peine. Du moins partiellement, car après 4 ans de prison, il est libéré pour « bonne conduite » et rentre au Suriname. Les Pays-Bas soupçonnent alors les Américains d’avoir passé un accord avec Dési Bouterse. De retour au Suriname, Etienne Boerenveen aurait été promu, deux semaines plus tard, chef d’état-major de la Défense au ministère de la Défense.
D’après certaines sources, le gouvernement néerlandais, dirigé à l’époque par le Premier ministre Ruud Lubbers, aurait planifié en 1986-1987, une opération d’invasion du Suriname avec l’aide des Américains pour renverser Dési Bouterse.
Les Pays-Bas auraient envisagé d’envoyer 850 soldats au Suriname avec un appui aérien et maritime des Américains pour cette opération. D’après ces mêmes sources, le projet était déjà dans une phase de préparation active (les services secrets ayant déjà envoyé des agents sur place pour identifier les cibles), quand finalement les Pays-Bas ont renoncé, estimant, entre autres, que le risque de pertes pourrait être trop élevé. Les Américains, de leur côté, se seraient dit sceptiques sur sa réussite et la demande d’assistance militaire américaine faite par les Pays-Bas aurait été rejetée.
Durant cette période, la situation au Suriname se détériore et le pays s’enfonce dans les années les plus sombres de son histoire. Tout commence en 1984, quand Dési Bouterse se fâche sur des questions d’origine ethnique avec l’un de ses gardes du corps, un certain Ronnie Brunswijk, qui est alors « licencié » de l’armée. Celui-ci prend le maquis et devient en 1985 un personnage populaire surnommé « Robin des bois » qui incarne, pour sa communauté dite des « marrons », une certaine forme de résistance à la junte.
En 1986, un leader de l’opposition en exil, André Haakmat aurait fait venir Ronnie Brunswijk aux Pays-Bas pour lui proposer de prendre la tête d’un mouvement armé de lutte contre la dictature. Le 1er juillet 1986, « l’armée de libération » est créée.
Ronnie Brunswijk, qui est un « marron » d’origine ndjuka, va rassembler des jeunes de sa communauté qui souffrent de la répression militaire. Ensemble, ils attaquent un poste militaire en forêt à Stolkertsijver et font une douzaine de prisonniers. Fort de ce premier fait de guerre, ils prennent le nom de « Jungle Commando » et s’attribuent des surnoms guerriers, Ronnie Brunswijk se fait appeler « Roméo Bravo ». Cet événement marque le début d’une guerre civile qui va durer de 1986 à 1992 et qui s’appellera « la révolte des marrons ».
Durant cette guerre qui divise le territoire, Dési Bouterse, qui contrôle la capitale et la côte, s’oppose à Ronnie Brunswijk qui, depuis le fleuve Tapanahoni, contrôle, avec ses « Jungle Commandos », la forêt de l’intérieur. Mouammar Kadhafi, président de la Libye, aurait envoyé des soldats de son pays à Dési Bouterse alors que des mercenaires recrutés dans les réseaux anticastristes soutenaient les marrons.
Les combats se multiplient et font de très nombreuses victimes civiles parmi les populations « marron » comme le massacre de Moiwana, un épisode tragique de cette guerre, condamné par la Cour interaméricaine des droits de l’homme. De nombreuses populations civiles franchissent le Maroni, le fleuve frontière, et se réfugient en Guyane à Saint-Laurent du Maroni. La France s’inquiète de l’évolution de cette situation et de ses conséquences sur son département d’où sont lancées les fusées et s’implique dans la recherche d’une solution en devenant une puissance de médiation.
La guerre ne met pas un terme au trafic de drogue et les petits avions chargés de cocaïne en provenance de Colombie alimentent le conflit. En mars 1990, Dési Bouterse fait arrêter Ronnie Brunswijk pour trafic de drogue. Ce dernier se défend en affirmant que la cocaïne vient d’un avion bourré de drogue colombienne que ses hommes ont intercepté près de Morengo. Il accuse Dési Bouterse de détourner l’attention pour se laver des accusations qui pèsent contre lui. Mais pour d’autres observateurs, comme le spécialiste Alain Labrousse, Ronnie Brunswijk pouvait aussi avoir financé sa rébellion en taxant les trafiquants de drogue qui faisaient escale sur son territoire.
La France organise des négociations entre les deux belligérants et réalise une première tentative d’accord de paix à Kourou, en Guyane. Un accord réalisé en pleine période de trafic, qui comprend un article sur cette question, le point VI qui spécifie : « Le gouvernement et les Jungle Commando signalent le danger de la drogue pour la communauté surinamienne et soulignent l’importance de l’effort et de la coopération internationale dans la lutte contre la drogue. » Il faudra attendre le retour des civils au pouvoir et l’arrivée du président Ronald Venetiaan pour qu’un accord définitif avec les Jungle Commando mette un terme à la guerre en 1992.
Les services de renseignements occidentaux estiment que 60% de la cocaïne qui arrive sur le port néerlandais de Rotterdam, l’un des plus grands centres de distribution de stupéfiants d’Europe, provient du Suriname.
Aux États-Unis, le sous-comité des relations étrangères du Sénat sur le terrorisme, les stupéfiants et les opérations internationales, présidé à l’époque par le Sénateur du Massachusetts, John Kerry, étudie les allégations selon lesquelles Dési Bouterse utilise la BCCI (la Banque de Crédit et de Commerce international) pour blanchir des millions de dollars provenant des profits de la drogue.
En septembre 1990, selon le quotidien néerlandais NRC Handelsblad, la police de La Haye aurait réalisé des écoutes téléphoniques sur un cartel colombien, qui mentionneraient à plusieurs reprises le nom de Dési Bouterse.
À la suite d’élections en 1987, le Suriname connaît une transition vers un régime démocratique. Dési Bouterse reste durant cette période chef des armées. Mais, le 24 décembre 1990, les militaires, mécontents du gouvernement, renversent à nouveau le pouvoir et promettent des élections.
Finalement, des élections sont organisées en 1991 et amènent au pouvoir Ronald Venetiaan. Dési Bouterse est contraint de démissionner et quitte la tête des forces armées.
En 1992, le ministre de la Justice des Pays-Bas crée la COPA (Colombie-Paramaribo), une unité de police spécialement chargée de lutter contre les trafiquants de cocaïne du Suriname. Le travail d’enquête, d’écoute et de surveillance réalisé par la COPA jour et nuit pendant plus de huit ans permettra de fournir une information extrêmement documentée qui servira à instruire le procès par contumace de Dési Bouterse par le Tribunal de La Haye aux Pays-Bas en 1999.
Le président Venetiaan entreprend de modifier la Constitution qui donne trop de pouvoir aux militaires et fait un discours aux Nations unies, le 24 septembre 2008, où il déclare : « Le Suriname est aussi victime du mal que provoque le trafic et l’utilisation de drogues illicites… La restauration de la démocratie au Suriname passe par l’élargissement et l’intensification de la coopération internationale, c’est une exigence de base. » La DEA est autorisée à envoyer une équipe au Suriname pour évaluer la situation.
La mort de Pablo Escobar, le 2 décembre 1993, marque la fin du cartel de Medellin, mais pas la fin du trafic entre la Colombie et le Suriname. Les alliances se recomposent et le cartel de Cali, du nom d’une autre ville colombienne, prendra, pour un temps, le relais. La Colombie restant le principal opérateur parmi les pays producteurs de plants de coca que sont la Colombie, le Pérou et la Bolivie.
Ce qu’on appelle le Suri-cartel (« Suri » pour Suriname) est le résultat d’une autre alliance avec le Brésil. D’après les services brésiliens chargés de la lutte contre les narcotrafiquants, le cartel est né de la rencontre d’un Brésilien, Léonardo Dias Mendoça (un ancien exploitant de mine d’or), et de hauts fonctionnaires surinamiens. Le cartel met en place à partir de 1993 un trafic de cocaïne entre la Colombie et le Suriname via le Brésil. Ses organisateurs conviennent d’un prix de référence pour le partage des gains de 2 500 dollars pour chaque kilo de cocaïne. Un trafic qui démarre en 1993 à raison de 3 à 4 vols par mois, chaque vol pouvant transporter jusqu'à 200 kg de cocaïne pure.
Le trafic consiste alors à transporter en avion des armes et des munitions du Suriname vers la Colombie sur « Barranco Minas », un petit village à la frontière de la Colombie et du Venezuela, contrôlé par le Front 16 des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), contre un chargement retour en cocaïne qui repart vers le Brésil et le Suriname.
D’après le rapport 1999 de l'International Narcotics Control Strategy du département d’État américain, ce trafic « armes contre cocaïne » est, à cette période, en augmentation et peut se négocier sur la base « d’un kilo de cocaïne pour une arme automatique ». Le rapport ajoute à propos du Suriname qu’« il y a des rapports inquiétants de blanchiment d’argent, de trafic de drogue et d’activités criminelles connexes qui impliquent le gouvernement actuel et les responsables militaires ».
D’après le Miami Herald du 12 septembre 1999, la police brésilienne saisit, mi-août 1999, un avion, un bimoteur Piper Seneca, chargé d’armes (lance-roquettes, AK-47, pistolets mitrailleurs Uzi et de nombreuses munitions dans des boîtes en bois avec un marquage des forces armées libyennes). L’avion, à destination de la Colombie, avait chargé des armes au Suriname pour les livrer aux FARC.
À travers le Suri-cartel, Léonardo Dias Mendoça devient, au Brésil, le fournisseur de la cocaïne vendue par l’organisation « Fernandinho Beira-mer » qui alimente toutes les favelas de Rio, Sao Paulo et bien d’autres villes. Il sera arrêté en 1999. Sa fortune personnelle est alors estimée par la police brésilienne à 500 millions de reales (soit plus de 413 millions de dollars américains en 1999). Depuis sa prison, durant la période 2000 à 2009, il continuera à contrôler le trafic.
Le 7 août 1997, Interpol lance, à la demande des Pays-Bas, un mandat d’arrêt international à l’encontre de Dési Bouterse. Il est accusé d’être à la tête d’un réseau de trafic de cocaïne et d’envoi de drogue vers les Pays-Bas.
Depuis les dernières élections de 1996, le Suriname a un nouveau président civil, Jules Wijdenbosch, qui est un proche de Dési Bouterse. Malgré les poursuites engagées contre lui, Dési Bouterse est décoré des plus hautes distinctions du Suriname.
D’après l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants en France (OCRTIS), le Suriname est, en 1999, le deuxième pays le plus important pour le transit de la cocaïne en Amérique du Sud, avant le Venezuela et après le Brésil.
Le 22 mars 1999 s’ouvre à La Haye, aux Pays-Bas, le procès par contumace de Dési Bouterse, accusé de trafic de drogue. Il sera condamné, le 30 juin 2000, à 11 ans de prison par la cour d’appel de La Haye.
(En savoir plus sur le procès de Dési Bouterse en Annexe 2)
Ronnie Brunswijk, qui s’est lancé en politique depuis plusieurs années, est aussi condamné par contumace par les Pays-Bas à 6 ans de prison et un mandat d’amener international est lancé contre lui pour le même motif, ce qui ne l’empêche pas de devenir député au Suriname et de faire une nouvelle carrière politique. Il est aujourd’hui vice-président du Suriname aux côtés du président Chan Santokhi, au pouvoir depuis le 13 juillet 2020. Suite à plusieurs accusations récentes dans la presse (InSight Crime, Le Monde…), le vice -président Ronnie Brunswik a fait savoir qu’il rejetait toutes ces accusations concernant sa contribution au trafic de drogue.
En 2001, des élections anticipées sont remportées par Ronald Venetiaan, qui est réélu en 2005 contre le candidat Dési Bouterse, qui tente de reprendre le pouvoir par le chemin des urnes.
Ronald Venetiaan reprend la lutte contre les narcotrafiquants dans un pays fortement corrompu.
Ronald Venetiaan nomme le chef de la police du Suriname, Chan Santokhi, ministre de la Justice. Chan Santokhi est un policier dont le travail contre les narcotrafiquants est reconnu au niveau international (il est depuis 2020 président du Suriname). Dési Bouterse le surnomme « le shérif ».
Les années Venetiaan permettront de diminuer de manière significative le trafic de drogue au Suriname, qui se déplacera momentanément vers le Guyana.
En 2002, Dino Bouterse, le fils de Dési Bouterse, est dans le collimateur de la justice de son pays. Il est accusé d’avoir volé des armes à l’armée pour, disent certains, payer une dette, sur une livraison de cocaïne, aux FARC colombiens. Dino Bouterse est aussi bien connu de la police brésilienne qui le soupçonne d’avoir été le relais du cartel pour le narcotrafiquant Léonardo Dias Mendoça à l’époque où il travaillait à l’ambassade du Suriname au Brésil.
Le 11 août 2005, la justice du Suriname le condamne à huit ans de prison pour avoir dirigé un gang de trafiquants d’armes et de cocaïne, il sera écroué mais libéré trois ans plus tard pour « bonne conduite ». Son père le nommera en 2010 « directeur de l’Unité antiterroriste du Suriname ».
Shaheed Roger Khan, surnommé par les Américains « le Pablo Escobar des Caraïbes », le plus puissant baron de la drogue du Guyana (pays voisin du Suriname) est arrêté le 15 juin 2006 à Paramaribo par Chan Santokhi qui le fait transférer à Trinité-et-Tobago, craignant une tentative d’évasion au Suriname. Roger Khan est finalement transféré de Trinité aux États-Unis où il sera condamné en 2009 à une peine de 40 ans de prison. L’affaire du transfert de Roger Khan à Trinité déclenche une bagarre politique avec Dési Bouterse qui s’oppose à ce transfert.
En 2011, des câbles de l’ambassade des États-Unis, révélés par WikiLeaks, décrivent « les liens sociaux et opérationnels entre Roger Khan et Dési Bouterse entre 2005 et 2006 ». Les câbles révèlent de très nombreux échanges téléphoniques entre les deux hommes et d’autres témoignages confirmeraient qu’ils se sont plusieurs fois rencontrés. Selon Hans Buddingh, des câbles révèleraient également des projets d’assassinats politiques contre des personnalités du Suriname.
Dési Bouterse finit par faire la paix avec son ennemi de toujours, Ronnie Brunswijk. Ensemble, ils unissent leurs forces politiques pour prendre le pouvoir par les urnes et nomment cette alliance la « Méga combinatie » (« la méga combinaison »). Et effectivement, le 25 mai 2010, la « Méga combinatie » remporte les élections avec 40% des voix et obtient 23 sièges au Parlement. Un gouvernement de coalition est formé et le 19 juin 2010, Dési Bouterse est élu président de la République par le Parlement, malgré l’opposition qui tente de le faire arrêter pour trafic de drogue.
Le président bénéficie alors d’une immunité qui le protège, Interpol retire son mandat d’arrêt international et durant son mandat, entre 2010 et 2015, Dési Bouterse voyagera au Brésil, au Guyana, en Afrique du Sud et aux États-Unis, où il fera un discours à l’Assemblée générale des Nations unies.
Pour l’historien Gert Oostindie, Dési Bouterse aurait changé.
En 2010, le Suriname assure durant un an la présidence de la CICAD (Inter-American Drug Abuse Control Commission), pour montrer sa forte implication au niveau international dans les questions liées à la lutte contre le trafic de drogue. Le gouvernement de Dési Bouterse indique après l’élection, dans sa déclaration de politique générale, et plus tard dans le discours du Nouvel An de 2011 que « le bien-être et la sécurité de ses citoyens sont le point de départ de la politique » et que cela « comprend également la lutte contre la drogue et la criminalité liée à la drogue par la coopération internationale ».
Le 5 avril 2012, l’Assemblée nationale du Suriname, par 28 voix contre 12, vote une loi d’amnistie qui met un terme à toutes les poursuites au Suriname contre Dési Bouterse. Cette décision du Parlement (où le parti du président est majoritaire) le protège d’éventuelles poursuites au Suriname à l’issue de son mandat présidentiel, dont une peine de 20 ans de prison, dans le cadre d’un jugement en cours, concernant son implication dans les « assassinats de décembre », en 1982. L’opposition, menée au Suriname à l’époque par Chan Santokhi (ancien chef de la police et ancien ministre de la Justice et de la Police, aujourd’hui président du Suriname), va faire campagne en vain pour l’abrogation de cette amnistie, jugeant la loi anticonstitutionnelle et contraire au droit international. L’amnistie soulèvera de vives réactions internationales et les Pays-Bas, en signe de protestation, rappelleront leur ambassadeur.
Face aux critiques extérieures, Dési Bouterse nie toute implication dans le trafic de drogue et se dit victime de ceux qui ne chercheraient qu’à le discréditer et à ternir l’image du Suriname.
Si le père est aujourd’hui intouchable par la justice, ce n’est pas le cas de son fils qui est arrêté le 30 août 2013, et extradé aux États-Unis où il purge une longue peine de prison.
Plusieurs chefs d’accusation sont retenus contre Dino Bouterse. Pour le juge du tribunal de Manhattan, chargé de l’affaire, il est question d’un transport de 10 kg de cocaïne en juillet sur un vol commercial au départ du Suriname vers les Caraïbes et pour détention d’armes. Mais un autre acte d’accusation fédéral américain stipule que Dino Bouterse a travaillé, à partir de décembre 2011, avec Edmund Quincy Muntslag Aka sur de très importantes opérations de contrebande de cocaïne vers les États-Unis. Edmund Quincy Muntslag Aka, qui est arrêté par la DEA à Trinidad en même temps que Dino Bouterse, est accusé d’être un trafiquant de Trinité-et-Tobago. Il se serait approvisionné en cocaïne auprès de Dino Bouterse pour organiser, aux dires de la DEA, un véritable « pipeline de cocaïne » entre Trinidad et Miami.
Un autre chef d’accusation, et pas des moindres pour les Américains, met en cause Dino Bouterse pour un projet d’installation et d’équipement d’une base « terroriste » au Suriname. Le 8 novembre, le procureur américain déclare que Dino Bouterse a invité au Suriname des gens qu’il pensait être du Hezbollah libanais, pour qu’ils y créent une base d’entraînement afin d’attaquer les États-Unis, en échange de plusieurs millions de dollars.
Dino Bouterse, nommé par son père directeur de l’Unité antiterroriste du Suriname aurait proposé au Hezbollah libanais un site au Suriname pour accueillir un camp d’entraînement pouvant recevoir de 30 à 60 hommes. Pour réaliser cette opération, Dino aurait proposé d’investir 2 millions de dollars et de fournir les armes nécessaires telles que des lance-roquettes, des mines terrestres, des missiles sol-air, des grenades propulsées par fusée et d’autres armes susceptibles de frapper des cibles américaines. L’affaire se conclut le 31 juillet 2013 en Grèce mais ce que Dino Bouterse ignore, c’est que ses interlocuteurs du Hezbollah avec qui il croit être en affaires, sont des agents de la DEA. Selon la DEA, lors d’une négociation avec Dino, un faux représentant du Hezbollah affirme : « Vous baiserez les Hollandais et nous baiserons les Américains. » Et Dino Bouterse de répondre : « Je suis totalement derrière vous. » Dino Bouterse envoie alors un message à un associé au Suriname, en disant : « Nous avons touché le Jackpot !!! »
À la suite de l’arrestation de Dino par les Américains, le ministre des Affaires étrangères du Suriname, Winston Lackin, affirmera dans une allocution à la télévision que le Suriname n’est pas une base d’organisation terroriste.
Le 30 août 2014, Dino Bouterse est entendu par la justice américaine et reconnaît une partie des chefs d’accusation.
En juin 2015, de nouvelles élections sont organisées pour choisir un président pour les cinq prochaines années. Trois principaux candidats s’affrontent (deux ont été condamnés pour trafic de drogue et le troisième est un policier très engagé contre les narcotrafiquants) :
Dési Bouterse, président sortant, principal favori, qui postule avec son parti, le NPD (Nationale Democratische Partij) pour un nouveau mandat.
Ronnie Brunswijk, candidat du parti ABOP (AlgemeneBrevrijdings- en Ontwikkelingspatij / « Parti pour la libération générale et le développement »), qui déclare sa candidature lors d’un concert de hip-hop de la star américaine Rick Ross qu’il fait venir spécialement pour l’occasion à Paramaribo : vidéo du déplacement de Rick Ross à Paramaribo.
Chan Santokhi, candidat d’une coalition de plusieurs partis d’opposants à Dési Bouterse (qui l’a surnommé « le shérif »). Ancien ministre de la Justice et de la Police, porté par son parti le VHP (Vooruitstrevende Hervormings Partij / « Parti réformiste progressiste »).
Ces élections redonneront un nouveau mandat de 5 ans à Dési Bouterse. En 2020 Chan Santokhi remporte les élections et devient le président du Suriname avec comme vice-président Ronnie Brunswijk.
Dési Bouterse a été condamné par contumace par les Pays-Bas, en 2000, à onze ans de prison sur des affaires de trafic de drogue, mais le Suriname n’ayant pas de traité d’extradition avec les Pays-Bas, il n’a pas été inquiété. De plus, il bénéficie, sur l’ensemble des affaires évoquées, comme tout citoyen, de la présomption d’innocence et d’une amnistie obtenue dans son propre pays sur les événements liés à l’époque de la dictature.
Que penser des mises en cause dont Dési Bouterse fait l’objet ? Nous avons sollicité à plusieurs reprises une interview avec Inez Weski, l’avocate de Dési Bouterse, pour aborder toutes ces questions, mais la réponse a été négative. L’avocate invoquait l’impossibilité de communiquer, car une demande de révision était en cours auprès de la Cour de cassation des Pays-Bas.
En 2020, Dési Bouterse perd les élections, Chan Santokhi est élu président et il le sera jusqu’en 2025, à la suite d’une alliance politique avec Ronnie Brunswijk, qui est le vice-président du Suriname. Le pays reste une zone de rebond pour le trafic de cocaïne et le changement attendu dans la lutte contre le narcotrafic ne donne pas les résultats escomptés.
Aujourd’hui, la production de cocaïne n'a jamais été aussi élevée dans le monde. L'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) l’estime, sur l’ensemble des trois pays producteurs (Colombie, Pérou, Bolivie), à environ 2 000 tonnes de cocaïne pure par an. Cette « avalanche de cocaïne », comme l’a qualifiée le chercheur et spécialiste David Weinberger, est déversée sur le monde entier et plus particulièrement sur ses principaux marchés que sont l’Amérique du Nord et l’Europe.
Pour sortir la cocaïne d’Amérique latine et l’acheminer vers les destinations où sont réalisés les plus gros chiffres d’affaires, les trafiquants utilisent la voie aérienne et la voie maritime. Les plus grosses quantités sont acheminées par conteneurs, notamment à partir de ports de plus en plus éloignés des pays producteurs. C’est le cas du Brésil qui, en raison de sa taille et du nombre de ports se trouvant sur sa façade Atlantique, est considéré actuellement par la lutte antidrogue comme la principale porte de sortie de la cocaïne vers l’Europe et dans une moindre mesure vers les États-Unis. Mais il y a aussi d’autres routes moins connues et très actives. Dans le cône sud, l’Uruguay depuis qu’il s’est doté d’un port en eau profonde, l’Argentine avec ses connexions avec le Rio de la Plata et le Chili, très certainement tourné vers la zone asiatique. Enfin au nord, il y a les deux grandes zones historiques, parfaites pour toucher l’Europe : le Venezuela et le plateau des Guyanes, dont le centre névralgique du trafic de cocaïne est le Suriname.
À chaque étape, à chaque fois qu’une frontière est franchie, le prix de la cocaïne augmente et permet aux narcotrafiquants de dégager des marges énormes. À la sortie du laboratoire en Colombie, le kilo de cocaïne est autour de 900 USD (dollars américains), au Suriname il va passer à 4 000 USD, en Afrique de l’Ouest, il est à 17 000 USD et il sera revendu brut en France 35 000 USD et atteindra 80 000 USD au marché de détail. Sachant que sur le trajet, l’un des coûts les plus importants pour les trafiquants, c'est le prix de la sécurisation à l’entrée et à la sortie des ports et des aéroports par la corruption des agents qui y travaillent et que ce prix est beaucoup plus élevé en Europe de l'Ouest qu’en Afrique ou en Amérique latine.
Au Suriname, la progression des quantités à transporter et la croissance des contrôles néerlandais ont amené les narcotrafiquants à diversifier leurs routes vers l’Europe et l’on a vu se développer à partir de 2010, et de manière intensive à partir de 2015, une route guyanaise, qui utilise des « mules » (des passeurs) pour transporter la cocaïne sur les vols commerciaux réguliers entre Cayenne et Paris.
Le développement croissant du trafic de cocaïne a des conséquences sur les États de droit et la démocratie qu’il ne faut pas mésestimer. La production mondiale de cocaïne a atteint des niveaux historiques. On voit aujourd'hui, en Europe de l'Ouest, des cas concrets d'affaires qui ne se produisaient qu’en Amérique latine ou dans certains pays africains extrêmement faillis. Des saisies de plus en plus importantes atteignent des niveaux record. Sur les grands ports européens d’Anvers et de Rotterdam en 2022 c’est près de 160 tonnes qui ont été saisies (dont 110 tonnes uniquement dans le port d’Anvers), alors que pour comparaison, la consommation annuelle de cocaïne en France est de 26 tonnes. Des organisations criminelles extrêmement implantées en Europe de l'Ouest utilisent maintenant des méthodes de terreur telles qu'on peut les voir au Mexique. Le Premier ministre néerlandais a même été menacé d'un contrat pour assassinat par des organisations criminelles qui tiennent ces ports. On a vu aussi des ballots de cocaïne en très grandes quantités s’échouer sur les côtes atlantiques françaises… un semi-submersible qui venait de traverser l’Atlantique chargé de cocaïne a été intercepté au large du Portugal ainsi qu’un autre en construction au Suriname. Autant d’événements qu’on ne voyait qu’en Amérique latine et qui sont aujourd’hui de plus en plus fréquents en Europe. L'avalanche de cocaïne qui touche l'Europe de l'Ouest a de multiples conséquences sanitaires, sociales, économiques. Les enjeux sont énormes et la lutte doit agir fortement afin de pouvoir résister à la pression que les groupes criminels ont la capacité d'exercer, des groupes qui sont largement financés par le trafic de cocaïne. Un marché mondial où le Suriname a joué, depuis le début, différentes partitions.
Situé sur la façade atlantique du continent sud-américain, au nord du Brésil, ce petit territoire amazonien du plateau des Guyanes fut, dès 1630, administré à différentes périodes par les Britanniques et par les Néerlandais.
La traite des esclaves et la colonisation vont faire venir dans la colonie, au fil du temps, des travailleurs de diverses origines : des Africains (certains fuient l’esclavage et se réfugient en forêt. On les appelle les « marrons »), mais aussi des Hindoustanies (ressortissants du sous-continent indien), des Javanais, des Chinois et des Créoles qui, avec les premiers habitants, les Amérindiens, constituent les principales composantes de la population actuelle.
En 1950, la colonie du Suriname obtient de la couronne néerlandaise un statut d’autonomie interne (assemblée législative élue au suffrage universel). A cette époque, le territoire compte près de 400 000 habitants, la langue est le néerlandais, la bauxite est devenue la principale ressource d’exportation devançant les activités agricoles de l’époque coloniale et le pays s’achemine progressivement vers l’indépendance avec le soutien des Pays-Bas qui ne s’opposent pas au processus en cours.
Il n’y aura pas de conflit interethnique au moment de l’indépendance, mais les communautés restent très divisées politiquement. Durant les négociations pour l’indépendance deux groupes politiques s’opposent, les partis Noirs et Créoles, favorables à l’indépendance et le parti Hindoustanie qui souhaite rester attaché aux Pays-Bas. Le processus durera un an et l’indépendance sera obtenue par un vote et une majorité assez étroite de 51% contre 49%.
L’indépendance du Suriname est proclamée le 25 novembre 1975. Johan Ferrier est nommé président de la République et une Constitution de type parlementaire est votée. Le gouvernement civil restera 5 ans au pouvoir jusqu’au coup d’Etat du 25 février 1980.
Le 22 mars 1999 s’ouvre à La Haye le procès par contumace de Dési Bouterse et de deux de ses acolytes pour avoir dirigé le « Suri-cartel », une organisation responsable d’un important trafic international de cocaïne. L'acte d'accusation rend Dési Bouterse notamment responsable de cinq convois représentant un total d'une tonne et demie de cocaïne, vers les Pays-Bas et la Belgique, de 1989 à 1992 et mentionne que l’accusé a «utilisé sa position de chef de l'armée, commandé aux personnes concernées de transporter la drogue, organisé le transport à partir d'aéroports surinamais et fait en sorte que les stupéfiants ne soient pas saisis par la police, la douane et la gendarmerie du Suriname».
La Hollande, qui a une relation complexe avec son ancienne colonie, et qui abrite une forte communauté surinamienne de 250 000 personnes soit presque autant qu'au Suriname, où ils sont 350 000, suit de près l’évolution du procès. Une grande partie de l’instruction de ce procès s’appuie entre autre sur les sept ans d’enquête très documentée, menée par la COPA (Colombie-Paramaribo), un corps de police des Pays-Bas crée spécialement pour lutter contre le Suri Cartel. Le jugement est rendu le 6 juillet 1999 et condamne par contumace Dési Bouterse à seize ans de prison et à deux millions de dollars d’amende. Dési Bouterse est reconnu coupable d’un trafic de 474 kilos de Cocaïne.
Dési Bouterse, a toujours nié être coupable des faits qui lui sont reprochés, son avocate, Inez Weski, considère que rien n’est prouvé et que des erreurs graves dans le processus judiciaire, ont conduit à tromper la cour dans ce jugement, expliquant que Dési Bouterse a été reconnu coupable parce que le principal témoin, Patrick Van Loon, a été soudoyé par le gouvernement néerlandais. Le jugement est renvoyé en appel, et le 30 juin 2000, la Cour d’appel de La Haye condamne Dési Bouterse par contumace à onze ans de réclusion pour trafic de drogue.
En octobre 2014, une demande de révision est demandée par Inez Weski à la Cour de cassation des Pays-Bas.
Superficie totale : 163 820 km (dont 156 000 km carrés de terre et 7820 km carrés d’eau)
Climat : équatorial (plus de 2 m de pluies par an, 26 °C de température moyenne annuelle).
Végétation : La forêt amazonienne dense recouvre 85 % du territoire, plaine marécageuse au Nord
Nombre d’habitants : 586 600 (estimation 2020)
Capitale : Paramaribo (près de la moitié de la population vit dans la capitale)
Langue : le néerlandais
Monnaie : le dollar du Suriname
Économie : La bauxite est la principale ressource d’exportation
Nature de l’Etat : république à régime parlementaire
Pays frontaliers : Brésil, Guyana, Guyane française
Frontières terrestres : 1703 km + 386 km de littoral sur l’ océan Atlantique.
DÉBUT DU MANDAT / NOM DU CHEF DE L’ ETAT / APPARTENANCE POLITIQUE
25 novembre 1975 Indépendance
25 novembre 1975 Johan Henri Eliza Ferrier (sans parti)
13 août 1980 Désiré Delano Bouterse (militaire)
15 août 1980 Hendrik Rudolf Chin A Sen (Parti National Républicain)
06 février 1982 Désiré Delano Bouterse (militaire)
08 février 1982 Lachmipersad Frederick Ramdat Misier (sans parti)
25 janvier 1988 Ramsewak Shankar (Parti réformiste progressiste)
29 décembre 1990 Iwan Graanoogst (militaire)
30 décembre 1990 Johannes Samuel Petrus Kraag (Parti National du Suriname)
16 septembre 1991 Runaldo Ronald Venetiaan (Nouveau front/Parti national du Suriname)
15 septembre 1996 Jules Albert Wijdenbosch (Parti National Démocratique)
12 août 2000 Runaldo Ronald Venetiaan (Nouveau front/Parti national du Suriname)
25 mai 2005 Runaldo Ronald Venetiaan (Nouveau front/Parti national du Suriname)
12 août 2010 Désiré Delano Bouterse (Parti National Démocratique)
25 mai 2015 Désiré Delano Bouterse (Parti National Démocratique)
13 juillet 2020 Chan Santokhi (VHP Parti de la réforme progressiste)