Avec ses 240 millions d'habitants, sa croissance démographique incontrôlée et une population fortement rurale, l'Indonésie est l'un des géants de l'Asie du Sud-Ouest.
À partir des années 1960, le pays a fortement augmenté sa production agricole grâce à l’adoption des technologies de la Révolution verte. L’État indonésien a effectivement joué un rôle de premier plan afin de favoriser la sécurité alimentaire, en subventionnant massivement les denrées de base, les intrants chimiques, les carburants fossiles, et en mettant sur pied des mécanismes de stabilisation des prix. La hausse de la production alimentaire a permis une diminution importante de la malnutrition.
Cependant, cela a un prix : la perte d'agrobiodiversité et la forte dépendance des agriculteurs aux aides et subventions du gouvernement. À la suite de la crise financière du Sud-Est asiatique, le pays a commencé à remettre en question ces mesures surtout liées au riz. Dans ce pays où 25% des terres cultivées sont allouées à la riziculture, le risque d'une crise alimentaire est fort.
Aujourd'hui, les paysans commencent à se réunir en réseau pour proposer des modèles alternatifs de gestion de la terre. À Florès, une île de 360 kilomètres de longueur entre Bali et Timor dont le nom et rappelle la longue présence portugaise et sa nature florissante, une association petite, mais solide et motivée, Sunspirit for Justice and Peace, se fait le porte-parole d'un mouvement qui sort de l'anonymat.
Le saviez-vous ?
Grâce à la « Révolution verte (+) » les rendements moyens à l’hectare sont passés d’un peu plus de 2 tonnes/hectare en 1968 à plus de 4 tonnes/hectare en 1998 pour atteindre près de 5 tonnes/hectare en 2011.
L'Indonésie est aujourd'hui le troisième producteur de riz au monde, derrière l'Inde et devant le Bangladesh. Plus préoccupant, au regard de la sécurité alimentaire pour l’Indonésie, est l’augmentation des importations de céréales autres que le riz et les oléagineux (huile de palme), le pays est maintenant le premier importateur de blé dans le monde, et le plus grand importateur de soja en Asie du Sud-Est.
Sunspirit est née en 2005, à la suite du terrible tsunami qui a dévasté la zone ouest de l'Indonésie, notamment à Aceh (Sumatra). Née dans un contexte de reconstruction, l'association s'est petit à petit focalisée sur le développement rural en aidant les communautés paysannes à sortir de la dépendance économique et faire valoir leurs droits. L'association est appuyée par des ONG internationales, notamment le Secours Catholique en France.
Au lieu d'avoir une approche militante tout court ou d'opposition au pouvoir, Sunspirit préfère le dialogue, l’éducation et la sensibilisation de toutes les parties : un jeu délicat de négociation qui implique les agriculteurs d'abord, mais aussi les autorités villageoises, provinciales, régionales et nationales.
Marianus Nuhan est le directeur de la plus importante antenne de l’association à Florès. Il a une grande capacité à écouter et à motiver les gens.
À Baku Peduli, à quelques kilomètres de Labuan Bajo, port d'entrée de Florès, Sunspirit a ouvert un centre pédagogique qui intègre aussi une banque coopérative de semences paysannes et un jardin expérimental. C'est ici que les graines sont plantées pour multiplier les stocks et approvisionner la petite banque de semences locales. Celle-ci n'occupe que quelques mètres carrés, et la plupart des graines sont contenues dans des bouteilles de bière réutilisées. Mais leur valeur va au-delà des chiffres, car elle représente un changement symbolique à Florès : 15 variétés de graines ont été récupérées jusqu'ici, souvent après des recherches dans les villages isolés de l'intérieur de l'île. Mais la banque fonctionne déjà avec le mécanisme classique : les agriculteurs peuvent demander des semences, et ils les rendent après la récolte.
Sortir de la dépendance économique par la récupération des semences locales
Le riz rouge (mawo laka) est l'une de ces variétés locales récupérées par Sunspirit. Presque disparu, il est devenu un symbole de leur action de récupération. Dans le centre de Baku Peduli, il est aussi en vente à 15 000 roupies (environ 1€) le kilo, contre 8-10 000 pour le riz blanc hybride issu des semences industrielles. Un prix plus élevé, justifié par les petites quantités des récoltes et la main-d’œuvre nécessaire à sa production bio, mais d'après Marianus ce riz commence à avoir un marché, notamment grâce à l'œuvre de sensibilisation et l'appui aux agriculteurs.
Le saviez-vous ?
En comparaison avec le riz blanc hybride, le riz rouge possède un avantage considérable compte tenu des risques de changement climatique en cours : il peut être cultivé à la fois en terres inondées, ou en terres sèches. Ce qui réduit la dépendance aux pluies ou à l'irrigation et donc le risque d'une mauvaise récolte. D'un point de vue nutritionnel, il est plus riche en fibres et réduit les niveaux de cholestérol et de triglycérides dans le sang.
La nature est comme une mère, elle n'a pas besoin de technologies et est très blessée aujourd'hui. Nous devons la réparer."
Fransiskus Manek
Quatorze personnes travaillent dans le Centre de Baku Peduli. Parmi eux, Fransiskus Manek, originaire de Timor. Il est passé par l'éducation des prêtres dans une ville à l'est de Florès, où il a étudié la philosophie. Dans cette région éloignée du pouvoir central, les écoles de l'Église catholique représentent l'un des canaux pour atteindre une éducation supérieure. Et pour lui, la philosophie et l'agriculture sont deux disciplines fortement corrélées. Il n'avait pas envie de devenir officier ou administrateur, et encore moins prêtre. C'est pour cela qu'il s'est engagé dans l'agriculture durable au sein de Sunspirit.
Cependant, changer les esprits et sensibiliser les agriculteurs à une nouvelle approche, en sortant de l'agriculture à haut rendement, n'est pas aisé dans un pays où la mémoire même des anciennes méthodes agricoles a été oubliée en l'espace de deux générations seulement. Sunspirit possède aussi d'autres parcelles, achetées avec ses propres ressources. Fransiskus explique la difficulté de cultiver du riz non hybride quand la parcelle est entourée par des champs conventionnels. L'eau utilisée est la même qui est utilisée dans les champs avoisinants, alors le contrôle complet de la chaîne de production bio n'est pas encore possible. Mais pour Sunspirit, il est important de poursuivre cette culture pour montrer aux paysans une alternative possible.
Le Riz Rouge local, la richesse oubliée
Malgré le fait que l'agriculture conventionnelle et la monoculture sont la norme presque partout à Florès, certains voient plus loin et se posent des questions. C'est le cas de Beneditus Pambur et Aventinus Turu, président et secrétaire d'APEL (Aliansi Petani Lembor), une association d'à peu près 200 agriculteurs de la région de Lembor, à l'intérieur de la province du Manggarai Barat qui occupe la partie occidentale de l'île de Florès.
Lembor est un lieu symbolique, car c'est l'un des projets phares du gouvernement indonésien développés dans les années 1970 et 1980 : une plaine sans fin dédiée à la riziculture, en partie artificielle ; des collines ont été aplaties, des canaux d'irrigation délimitent les champs et permettent la culture toute l'année. Mais des zones plus sèches sont toujours cultivées.
C'est justement cette habitude de la monoculture qu'ils essaient de changer. Après avoir frôlé la faillite pour une question d'endettement, Aventinus a planté du maïs, du manioc, de la papaye et du sorgho, tous mélangés dans ses champs autour de sa maison.
Le jour où les aides s’arrêteront, les agriculteurs n'auront plus les moyen d'acheter les semences. Il faut y penser dès maintenant."
Beneditus Pambur
Les mouvements paysans de Florès se fédèrent pour avoir une voix plus forte
En Indonésie, le mouvement paysan qui propose un modèle alternatif basé sur les semences locales et des fertilisants naturels n'est qu'à ses débuts. Il bénéficierait considérablement des expériences des autres pays.
Où voulez-vous aller chercher ces connaissances ?