Chronologie des évènements
Chapitre 2 - Les Seleka

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Seleka : « alliance » en sango. Le nom de l’agrégation de groupes rebelles du nord-est du pays. Sans se heurter réellement à une véritable résistance, les rebelles de la Seleka cueilleront le pouvoir et chasseront Bozizé avant de diriger le pays pendant les 10 mois qui suivront. Mais dès leur arrivée au pouvoir, ceux qui se considéraient comme des libérateurs seront perçus comme des oppresseurs.

1 | 2012 : Naissance d’un mouvement rebelle

Ce sont des promesses non tenues qui ont poussé les rebelles à prendre les armes en 2012. Des retards accumulés dans le processus de paix engagé avec les mouvements armés du Nord-Est. Suite à la signature de différents accords, les groupes rebelles opposés au pouvoir de François Bozizé ont transmis les listes des combattants qui, selon eux, devaient bénéficier de mesures d’accompagnement (ce qu’on appelle le processus de DDR . Mais si les groupes du Nord-Ouest (comme l’APRD ) ont été pris en compte, les autorités et les institutions internationales ont, en revanche, longtemps fait patienter les combattants du Nord-Est : ceux de l’UFDR Signataire de l’Accord de Paix global de Libreville du 21 juin 2008] et de la CPJP . Problèmes de financement, difficultés logistiques, manque de volonté politique… En septembre 2012, « un plan opérationnel » a finalement été mis en place pour la relance du processus dans le nord-est du pays. Mais l’attente des combattants avait déjà été trop longue.


« Le DDR ne marchait pas. Toutes les recommandations du Dialogue politique inclusif sont tombées à l’eau. C’est pour cela qu’on est revenus à nouveau prendre les armes. Si le DDR s’était bien passé, je ne pense pas qu’on aurait cherché à résoudre notre problème par les armes. »
« Général » Abdelkader Khalil, UFDR



Le général de la Seleka Zakariya Isa Chamchaku et ses hommes près de la villle Lioto le 6 juin 2014. © Reuters/Goran Tomasevic


La colère des chefs rebelles du Nord-Est éclate avec la cooptation de l’un d’entre eux par le pouvoir de François Bozizé. Abdoulaye Hissène, le chef de la CPJP, vient signer à Bangui le 25 août 2012 un acte d’adhésion au processus de paix. Cette signature provoque la création de deux dissidences dans son groupe : la CPJP dite « Fondamentale » et la CPSK . Les chefs de ces deux groupes décident de s’opposer ensemble au pouvoir de Bozizé. À ce premier embryon d’alliance vient se joindre l’UFDR, remobilisée par son chef, Michel Djotodia qui est rentré du Bénin en août 2012. Dans les derniers mois de l’année, Djotodia part à la rencontre des combattants. Qui acceptent de reprendre la lutte armée pour obtenir la satisfaction de revendications en souffrance. L’UFDR fournira l’essentiel des troupes de la Seleka.






Mohamed Moussa Dhaffane, l’un des fondateurs de la Seleka sur les origines de l’alliance rebelle

Michel Djotodia explique les raisons de la reprise de la lutte armée





Dans le premier communiqué conjoint signé par les groupes armés du Nord-Est au nom de la Seleka après le début des attaques en décembre, les chefs rebelles listent leurs revendications et celles de leurs hommes. Ils réclament avant tout le paiement des primes promises aux combattants, des enquêtes sur la disparition de deux leaders politico-militaires, le retour des opposants armés condamnés à l’exil. Ils réclament également « la restitution inconditionnelle des diamants et or, argent liquide et autres biens spoliés par le gouvernement en 2008 », lors de l’opération Closing Gate. Le développement de la région Nord-Est n’est, en revanche, pas mentionné. Et il n’est pas encore question du départ de François Bozizé.



gouvernement en 2008

  • Le respect de l'accord de Birao et entre le gouvernement et l'UFDR,
  • La mise en œuvre concertée des recommandations et conclusions du Dialogue Politique Inclusif (DPI)
  • La mise en place d'une commission d'enquête indépendante sur les circonstances de la disparition du colonel Charles Massi de la CPJP et de Monsieur Hassan Ousman du MNSP, et pour élucider celles de l'accident de Maître Goungaye Wanfiyo Nganatoua et bien d'autres victimes de cette même barbarie gouvernementale,
  • La régularisation des 15 millions de francs CFA par combattant selon l'accord conclu avec le général François Bozizé afin de laver la dignité centrafricaine de ce genre de revendications malencontreuses, mais tout de même légitimes,
  • Le versement sans condition de la somme négociée d'un million de francs CFA par combattant, somme débloquée, mais encore détenue en partie par le ministre délégué à la Défense, Jean-Francis Bozizé.
  • La restitution inconditionnelle des diamants et or, argent liquide et autre bien spoliés par le gouvernement en 2008,
  • La libération de tous les prisonniers politiques tant en Centrafrique qu'à l'étranger,
  • L'ouverture d'une commission d'enquête indépendante sur les crimes odieux de guerre et crimes contre l'humanité perpétrés par un détachement de la garde présidentielle sur des populations civiles au village « Zakoumba » ou Soukoumba et l'incendie des maisons d'habitation ainsi que la mosquée centrale d'Akroub-soulback dans le Bamingui Bangoran,
  • Le retour sécurisé et la liberté de circulation assurée à tous les compatriotes opposants armés ou non armés forcés à l'exil,
  • L'arrêt des harcèlements exercés sur les opposants et leurs parents.

Source : Communiqué de la Seleka daté du 12 décembre 2012 et diffusé le 15.



Une progression sans grande résistance :
carte graphique retraçant l’avancée des armées de la Seleka



2 | La chute de Bozizé

  • La rupture
  • Après l’offensive de décembre et les accords de Libreville du 11 janvier, cinq ministres de la Seleka sont entrés au gouvernement. Mais les frustrations s’accumulent. La troupe et certains officiers rebelles ont le sentiment que François Bozizé n’applique pas les accords. Noureddine Adam, resté à l’extérieur du gouvernement d’union nationale composé après Libreville, mène le camp des mécontents. Les déçus de Libreville font venir les cinq ministres Seleka à Sibut, où ils les retiennent. Et lancent un ultimatum au pouvoir. La Coalition se remet en marche le 22 mars avec cette fois comme objectif d’en finir avec François Bozizé.

    Michel Djotodia, la Seleka lance un ultimatum à François Bozizé et menace d’attaquer






    Son costume cravate et ses professions de foi démocratiques feraient presque oublier comment il a grimpé - jusqu’au sommet - les échelons de la société centrafricaine. François Bozizé est l’un de ces « entrepreneurs politico-militaires » qui se sont imposés par les armes, a su prendre des risques, échouer parfois, rebondir toujours.

    Bien qu’il soit né à Mouila, au Gabon, le 14 octobre 1946, Bozizé est un fils de l’Ouest centrafricain. Il embrasse la carrière militaire au sein de l’école supérieure des officiers d’active de Bouar dont il sort en 1969 avec le grade de sous-lieutenant. Son parcours connaît une accélération vertigineuse sous Bokassa, mais ne s’interrompt pas sous Dacko (il sera ministre de la Défense) ou au tout début des années Kolingba (où il obtiendra le portefeuille de l’Information et de la Culture.)

    Viennent ensuite les premières chutes et les premiers retours. Sa participation au complot de 1982 aux côtés du général Mbaïkoua lui vaudra plusieurs années d’exil au Bénin, une arrestation en 1989 et deux ans de calvaire. Acquitté et mis en liberté, il revient au pays, est candidat malheureux à l’élection de 1993, puis est rappelé dans l’armée au poste de chef d’état-major. L’année 2001 voit éclater des mouvements de colère chez les militaires et le 3 novembre, le pouvoir de Patassé tente de l’arrêter. François Bozizé entre en rébellion. Il se réfugie au Tchad. Ses partisans, soutenus par le régime tchadien, reviennent se saisir du pouvoir à Bangui le 15 mars 2003 à la faveur d’un voyage au Niger d’Ange Félix Patassé.

    Élu en 2005, réélu en 2011, fondateur d’un parti politique, le Kwa Na Kwa, Bozizé met en place une gestion patrimoniale et clanique du pouvoir qui lui vaut d’être décrié par la population. Franc-maçon, membre de la Grande loge du Congo, François Bozizé aura finalement été lâché par ses « frères » de la sous-région lors de l’offensive finale de la Seleka en mars 2013. Après Libreville, il a en effet une nouvelle fois montré son peu d’empressement à gérer la paix et à appliquer les accords signés.


    François Bozizé, dénonce la Seleka le 4 avril 2013
    depuis son exil béninois





  • La Chute
  • En RCA, l’histoire bégaye. Dix ans quasiment jour pour jour après être entré dans Bangui avec l’appui des forces tchadiennes pour faire tomber le régime en place, François Bozizé est renversé par la Seleka.

    Deux colonnes de rebelles fondent sur Bangui. L’une a fait un long détour vers le Nord-Ouest. Elle passe par Bouca, Bossangoa, Bossembélé. L’autre traverse la « ligne rouge » de Damara. Les FACA, les Forces armées centrafricaines sont en déroute tandis que les soldats sud-africains qui défendaient l’entrée de la capitale ont dû demander un cessez-le-feu face à la puissance de leurs adversaires.


    Le colonel Narkoyo à propos de l’avancée de la Seleka sur Damara



    Le matin du 24 mars 2013, François Bozizé quitte le pays en hélicoptère. Michel Djotodia s’empresse de s’autoproclamer président. Les pillages commencent à Bangui.



    Michel Djotodia salue ses supporteurs à Bangui, le 30 mars 2013.
    © Reuters/Alain Amontchi


    Fils d’un ancien de la garde territoriale française, né à Birao dans une famille musulmane, Michel Djotodia a reçu une éducation et un prénom catholique. Ses études l’amènent en URSS, où il se souvient avoir séjourné douze ans. À son retour en Centrafrique, il entre dans la fonction publique, puis tente par deux fois de se faire élire député de la Vakaga. Sans succès. Il est nommé consul à Nyala, au Darfour : « La rébellion était déjà en gestation, raconte-t-il. Les autorités soudanaises ayant été saisies par les autorités de Centrafrique, on m’a demandé de quitter Nyala pour Khartoum. Et de là, il était question que je me rende à Cotonou pour des négociations avec le gouvernement centrafricain. »

    Elles ne démarreront jamais, mais c’est de Cotonou qu’il crée son mouvement, l’UFDR et se lance dans la lutte armée. En 2006, l'UFDR attaque Birao, dans l’extrême nord-est du pays. Lui-même est arrêté au Bénin et ne sera libéré qu'en 2008. Il disparaît alors des médias, mais ses contacts avec les différentes tendances de la rébellion se poursuivent. Il revient sur le terrain en août 2012, fait le tour de différentes localités de la Vakaga à la rencontre des populations et des combattants. Le retour aux armes est décidé. Djotodia revient sous les projecteurs des médias avec le démarrage des opérations militaires le 10 décembre 2012.

    Michel Djotodia,
    extrait de sa première interview
    après la chute de Bangui







    3 | Une Seleka incontrôlable

    La prise de Bangui donne lieu à de nombreux pillages. Mais les chefs rebelles mettent également l’intérieur du pays en coupe réglée. Après avoir pris le contrôle de Bangui, ils avancent rapidement vers l’Ouest.

    Sur leur chemin, les Seleka pillent certains villages. Dans les villes, leurs éléments s’installent dans des bâtiments administratifs ou chez des particuliers. Ils dressent des barrages, perçoivent des taxes, volent les biens, intimident les populations, rendent une justice expéditive et disproportionnée.




    Seleka, la rébellion venue du Nord

    • Combattant de la Seleka à Bria, le 9 avril 2014. © Reuters/Goran Tomasevic
    • Combattants de la Seleka à Kouango, près de la frontière avec la RDC, le 9 juin 2014. © Reuters/Goran Tomasevic
    • Combattants de la Seleka devant le palais présidentiel à Bangui, le 25 mars 2013. © Reuters/Alain Amontchi
    • Combattants de la Seleka près de la ville de Goya en juin 2014. © Reuters/Goran Tomasevic
    • Combattant de la Seleka à Molemi un village Peul, le 4 juin 2014. © Reuters/Goran Tomasevic



    « Les Selekas tuent des femmes,
    des enfants.
    »
    Paroles de femmes, janvier 2014




    La FIDH note que sur l’axe Mbrès – Kaga-Bandoro, 270 maisons sont incendiées et 6 personnes tuées en avril 2013 par les rebelles dans 6 villages différents en représailles du meurtre de l’un d’entre eux. À Bossangoa, 40 000 personnes viennent chercher refuge à la suite de leurs exactions dans l’enceinte de la mission catholique. À Bangui, la Seleka est à l’origine de la tuerie de Gobongo du 28 juin 2013. Le quartier de Boy-Rabe, favorable à l’ancien président Bozizé, est ciblé par une opération de désarmement brutale le 20 août 2013. Les exactions se multiplient. La colère des populations monte.



    « On ne peut plus tolérer ce que font les Seleka. », Un habitant de Boy-Rabe à Bangui, janvier 2014




    Le 12 septembre 2013, Michel Djotodia signe un décret ordonnant la dissolution de la Seleka. Mais la décision n’est pas suivie d’effet.

    « Nous étions en train d’enterrer nos morts et ils se sont mis à nous tirer dessus encore ; nous sommes tous retournés nous réfugier dans la brousse.... Je peux encore sentir l’odeur des morts. »
    Un habitant du village d’Ouin (préfecture de Batangafo) interrogé par Human Rights Watch



    Pour aller plus loin :
    Réécouter Centrafrique, l’exaspération d’un peuple, octobre 2013





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