FRANCE
Le réseau croissant des agriculteurs bio

La France possède une filière agricole très industrialisée, l’exploitation se fait sur des grandes surfaces avec une très haute productivité.



La Révolution agricole française a eu lieu au début des années 1950, l’urgence était de nourrir les Français au sortir de la guerre. L’arrivée de la mécanisation et de la recherche variétale a permis d’augmenter les rendements. Mais cette course à la productivité a plongé de nombreux agriculteurs dans une spirale infernale : ils doivent produire toujours plus, causant ainsi l’effondrement des cours mondiaux. Les cours très bas et les marges des intermédiaires asphyxient financièrement les agriculteurs qui ont du mal à survivre.

Pour sortir de ce cercle vicieux, certains agriculteurs se sont tournés vers l’agriculture biologique : une agriculture qui redécouvre les variétés locales, des plus petites surfaces et une plus grande diversité de produits de haute qualité.


Aujourd’hui pour t’en sortir en agriculture, soit tu as une grande surface, soit tu fais du traditionnel, du bon produit."
Armand Duteil




Dans le Périgord, l’agriculture conventionnelle a longtemps dominé. C'était aussi le cas de la ferme d'Armand Duteil. Une ferme transmise de père en fils, dans laquelle l'utilisation classique de semences hybrides F1 (+) issues des laboratoires des entreprises agricoles était la norme. Quand Armand Duteil en reprend l’exploitation, en 2010, il décide de convertir la ferme au bio. C'est pendant un voyage au Pérou, pays d'origine de sa femme, que des paysans le convainquent que la méthode agro-industrielle n'est pas durable, car elle épuise la terre. « Je voulais voir si ma terre était encore vivante, comment elle allait réagir à ce changement », confie-t-il. Malgré les forts doutes de son entourage, il va jusqu'au bout.

Sortir de l’agriculture conventionnelle



Le saviez-vous ?
Aujourd’hui sur le marché, on ne trouve plus que des semences hybrides F1 et des OGM brevetés. 90% du marché des semences mondiales sont contrôlés par les multinationales. Si on supprimait les semences hybrides F1 et les OGM (+) de la planète, il n’y aurait presque plus rien de reproductible.



En chiffres :

En 2014, le marché des produits alimentaires issus de l’agriculture biologique a été estimé à plus de 5 milliards d'euros (progression de 466 millions d'euros depuis 2013).



Provenance des produits bio consommés en France.
La France est devenue en 2014, le troisième pays européen en termes de surface cultivable bio derrière l'Espagne et l'Italie.
En France, la production en bio a doublé en 5 ans



Armand Duteil n'est pas le seul, ni le premier, à se lancer dans cette aventure dans le Périgord. Il n'est pas non plus le seul qui a bénéficié de ses voyages en Amérique latine pour voir les choses autrement. Bertrand Laissagne fut un des premiers agriculteurs périgourdins à passer au bio à la fin des années 1990, et cela à la suite d'une expérience très négative : il vendait des produits chimiques pour l'agriculture, en faisant des démonstrations dans les champs. Un jour, il en a respiré trop et il est tombé malade. Il a donc commencé à réfléchir à d'autres techniques moins dangereuses pour les hommes et la terre, en se tournant vers le bio. Aujourd'hui, sa ferme bio de 70 hectares permet de faire vivre deux familles.

Au début des années 2000, Bertrand se rend aussi au Brésil en quête de variétés de maïs. L'idée de la création de la Maison des Semences lui vient justement au Brésil, où il découvre les Casas de sementes crioulas (organisation collective de gestion des semences paysannes), où les paysans échangent et conservent leurs graines. À son retour, il lance le même concept dans le Périgord. Les agriculteurs membres de l'association peuvent emprunter des graines, et après la récolte, ils en restituent une partie à la Maison.

La recherche et le stockage des semences paysannes



Pour ces agriculteurs, la clé pour une activité durable est la diversité des produits qui passe par la recherche et le développement de semences, récupérées auprès des conservatoires de plantes ou de paysans, particulièrement adaptés au climat et à la terre qu'ils cultivent. Dans le Périgord, c’est ainsi qu’un réseau d’échanges de semences, et un réseau de distribution et vente locale ont vu le jour, comme l'explique Jean-François Berthellot, un des pionniers de la sélection participative des semences dans la région.

Une agro-entreprise bio, est-elle rentable ?



La défense des semences traditionnelles, c'est aussi une lutte politique qui unit les agriculteurs du monde entier, à travers l'échange de pratiques... et des graines. Dans plusieurs pays, des associations de paysans veulent empêcher le « hold-up » du vivant par les multinationales. C’est ainsi que des variétés traditionnelles ont été réintroduites grâce aux semences miraculeusement retrouvées ailleurs. Ces agriculteurs peuvent échanger et développer ces graines, car la loi permet de le faire à des fins de conservation, mais elles ne peuvent pas être vendues. Et dans le futur ? Comme l'explique Patrick De Kochko, président du Réseau Semences Paysannes, il y a ceux qui veulent faire des semences un bien commun, sans valeur commerciale, et ceux qui affirment que les agriculteurs qui développent des semences puissent ensuite les vendre.

La création du Réseau Semences Paysannes

Quelle législation pour les semences ?
Depuis 1961, les semences autorisées à la culture et à la commercialisation en France sont celles inscrites au catalogue officiel des espèces et variétés végétales, exclusivement des hybrides F1 et des OGM.

Comme les médicaments, les semences sont soumises à une procédure d’enregistrement préalable sur le marché. Elles doivent répondre à différents critères de stabilité, d’homogénéité et apporter une amélioration par rapport aux variétés existantes, lorsqu’il s’agit de plantes de grandes cultures. (Les grandes cultures sont composées de la culture des céréales, des oléagineux et des protéagineux. Elles représentent deux tiers des exploitations agricoles.)

Fin 2015, la pétition #YesWeGraine a mobilisé un grand nombre de citoyens et associations, avec l'objectif de proposer un amendement au projet de « Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ». Cet amendement autoriserait à nouveau l'utilisation des semences paysannes pour la production agricole. Un changement historique dans un contexte de forte pression des groupes industriels. Le texte, approuvé au Sénat, a été transmis à l'Assemblée nationale le 25 mai 2016. Sera-t-il un vecteur de changement pour les réseaux paysans ?

Vous l'avez maintenant compris : pour développer une agriculture à taille humaine, certains se sont mis en réseau et sont repartis des semences.

Ils trouvent, sélectionnent et échangent, année après année, les semences les plus adaptées à la terre que chacun cultive. Alors, continuons avec eux ce voyage dans 3 continents. Avec qui souhaitez-vous échanger vos semences ?



Au Sénégal, au marché des semences de l'Afrique de l'Ouest

Avec les agriculteurs iraniens qui ont récupéré leur blé millénaire