L'Iran est le berceau de la culture du blé : c'est ici que l'être humain a sélectionné les premières variétés de céréales.
Le pays était ainsi une incroyable banque de semences à ciel ouvert. Jusqu'au moment où, dans les années 70, le pétrole est devenu le principal moteur de l'économie et a fortement transformé l'agriculture. Le gouvernement a favorisé l'adoption de techniques agro-industrielles, avec la fourniture des semences, des équipements, et des produits chimiques. Le résultat a été une forte et dramatique réduction de l'agrobiodiversité.
La variété des climats nous a fait comprendre que les semences industrielles ne sont pas adaptées à notre agriculture."
Khadija Catherine Razavi
Avec les sanctions économiques mises en place par la communauté internationale dans les années 90, les paysans se sont tournés vers plusieurs ONG pour garantir leur survie, faute d'avoir accès au marché international. En effet, le gouvernement américain avait interdit presque toute transaction avec l'Iran à travers l'application de la loi sur les sanctions contre l'Iran et la Libye (Iran-Libya Sanctions Act), votée en 1996. Plus de 150 milliards de dollars qui résidaient sur des comptes étrangers (en Chine surtout) ont été gelés.
C'est aussi grâce à cela que les associations rurales iraniennes ont aujourd'hui une expérience de plus de 35 ans qui leur a permis de développer des solutions et méthodologies de grande valeur et efficacité, comme l'explique Khadija Catherine Razavi, fondatrice avec son mari Mohammed Taghi Farvar de Cenesta (Centre for Sustainable Development), une ONG de développement agricole basée à Téhéran. Elle est biologiste avec un Doctorat en sciences et développement social à la Sorbonne, lui est un scientifique interdisciplinaire qui agit pour les droits des communautés rurales. Ils collaborent avec le ministère de l'Environnement du nouveau gouvernement.
Le saviez-vous ?
L'Iran est un pays qui a une tradition agricole multimillénaire. Il se trouve dans le Croissant fertile, la région d'origine du blé et d'autres céréales. Ici, les populations locales ont commencé à expérimenter et sélectionner les céréales. On y a produit les premiers pains dans l’histoire de l'humanité.
L'embargo et la redécouverte des céréales d'antan
Un grand poète persan disait avec ironie qu'on demande aux autres ce qu'on a déjà. Quel bénéfice à semer des graines du Texas ici en Iran."
Ahmad Taheri
L'Iran est l'un des premiers pays au monde où un réseau paysan a décidé de s'attaquer au problème de la productivité. Au départ, Ahmad Taheri et ses confrères étaient seuls, mais grâce à leur ténacité, ils ont ensuite reçu le soutien de plusieurs ONG et centres de recherche.
Près de Garmsar dans la province de Semnan, une centaine de km au sud-est de la capitale Téhéran, les champs d'Ahmad et de ses confrères surprennent pour la grande variété de taille, forme et couleurs de plantes qui y sont cultivées. En effet Ahmad et les autres agriculteurs ont mis en place un processus de sélection participative des semences, qui a permis de produire de nouvelles variétés de semences en les testant directement sur le terrain. Et ils les produisent dans des petites surfaces à économie familiale. Cenesta les soutient avec ses agronomes. Les agriculteurs ont ainsi eu accès à un grand nombre de variétés de graines en très peu de temps. Les graines ainsi sélectionnées ont démontré une plus forte résistance aux herbes infestantes, aux maladies et aux insectes.
À travers l'échange, la formation, la réflexion, qui a lieu aussi à niveau international, ils ont pu expérimenter des pratiques durables et gagner en autonomie tout en augmentant la valeur de leur produit.
Le saviez-vous ?
Les techniques de sélection participative des semences : PPB et EPB
La sélection participative est une forme d'amélioration génétique qui implique les agriculteurs dans le processus de sélection, à côté des chercheurs et agronomes.
Avec le PPB (Participative Plant Breeding) chaque agriculteur réserve une parcelle de sa terre pour planter différentes variétés de graines. La croissance de la plante est ensuite observée par les agronomes et les agriculteurs, et d'autres facteurs sont aussi pris en compte dans la sélection, par exemple l'utilisation effective des graines (si pour faire de la farine, ou de la paille, ou du fourrage, etc.). L'évaluation est effectuée sur plusieurs zones climatiques. L'agriculteur a la liberté d'expérimenter plusieurs variétés dans la même parcelle, et même croiser des variétés.
L'EPB (Evolutionary Plant Breeding) se base sur le constat que la pression sélective agit différemment en fonction des caractéristiques du sol et du climat. Le résultat sera d'autant plus efficace si plusieurs variétés sont cultivées en même temps (ce qu'on appelle une population). Avec l'EPB, c'est cette population dans son ensemble qui évolue de génération en génération, avec des croisements naturels. A tout moment, la population sera composée par des plantes génétiquement différentes et jamais définies à l'avance. Grâce à cette variété génétique, en évolution continue, la population devient de plus en plus adaptée au terrain et au climat, et donc plus résiliente, car le patrimoine génétique est entièrement valorisé.
Bien évidemment, l'EPB n'est ni appréciée, ni compatible avec l'agro-industrie à cause de la forte diversité génétique des graines. Les engrais chimiques ont en fait besoin d'une forte homogénéité pour être efficaces.
Les projets de PPB mis en place en Iran ont bénéficié du soutien scientifique de Salvatore Ceccarelli, chercheur italien, créateur du PPB et consultant au sein du CGIAR, un réseau international pour la recherche orientée vers la souveraineté alimentaire.
La sélection participative des semences
Les bénéfices d'une plus grande variété de céréales ne se limitent pas à une plus grande qualité de la farine pour faire du pain : toute la filière de l'alimentation peut en profiter, y compris celle de l'élevage. Mohammad Hosseini, par exemple, n'est pas seulement agriculteur, mais aussi éleveur. Il a commencé à utiliser des triticales (+) développés et cultivés par l'association d'Ahmad pour l’alimentation de son élevage d'agneaux de haute qualité. Les agneaux grandissent davantage. Mohammad a pu vendre 250 moutons en 5 ans.
Le saviez-vous ?
La valeur nutritionnelle du triticale est meilleure que l'orge et comparable à celle du blé. Du fait de son faible contenu en gluten, il n'est pas adapté à la production de pain. En revanche, il est riche en oligo-éléments, notamment le magnésium et le manganèse.
Des champs à l'élevage – les bénéfices se multiplient
Ahmad et ses confrères ont compris que développer la diversité veut aussi dire diversifier et faire croître ses propres activités, ainsi que créer des nouveaux produits à introduire sur le marché.
À Eyvanakeh, un four a été construit grâce au soutien du réseau d'agriculteurs de Garmsar. Ici, ce sont des femmes qui travaillent en préparant un pain traditionnel avec les farines de blé local. L'agriculture devient ainsi une pratique d'émancipation sociale et le moteur d'une nouvelle économie. Aujourd'hui, le four travaille à plein régime, une sorte de défi aux fours industriels du pays. Et il n'est pas le seul.
Les agriculteurs deviennent boulangers
Dans cette étape en Iran, vous avez recueilli des semences au passé ancestral et appris les motivations pour la sélection participative.
Avec qui auriez-vous envie d'échanger vos semences et augmenter la productivité ainsi que la biodiversité ?