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Avec ses statues ornant la place centrale des grandes et petites villes, son visage souriant sur les billets de banque, Gandhi est omniprésent en Inde. Les hindouistes au pouvoir célèbrent la mémoire du leader de l’indépendance, tout en pratiquant une politique de division et de discrimination dans laquelle Gandhi ne se serait pas reconnu.

« Tout et rien », répond avec malice Sudarshan Iyengar, économiste renommé et gandhien pur souche, qui a dirigé pendant une décennie la Gujarat Vidyapith, l’université créée par le Mahatma en 1920 à Ahmedabad. Après avoir pris sa retraite en 2014, M. Iyengar s’est installé dans une communauté d’hommes et de femmes engagés, à quelques encablures de Dandi, dans le Gujarat. La cité communautaire formée par des gandhiens comme Iyengar, est installée au milieu des bois en marge de la grande ville. Elle compte un hôpital et une école destinés à accueillir les populations tribales, le peuple premier du sous-continent.

« Il n’y a pas une ville en Inde qui n’ait au moins une rue nommée après Mahatma Gandhi. On ne compte pas les statues de Gandhi qui parsèment l’espace géographique indien, du Cachemire au nord à Kanyakumari dans le sud. Gandhi est aussi dans nos portefeuilles avec sa photo ornant les billets de banque. Mais, malheureusement cette présence quasi rituelle du Père de la nation n’a pas empêché les Indiens de se lancer dans des quêtes très peu gandhiennes de l’enrichissement personnel et des avantages sociaux, en marchant sur la tête des autres, si nécessaire. On pourrait dire que Gandhi est partout et nulle part. »

Les statues du Mahatma Gandhi parsèment les villes et campagnes de l’Inde. © Spurgeon George / EyeEm / Getty Images
À Gangtok, dans l’État du Sikkim, cette statue de Gandhi s’est fondue dans le paysage. Malgré sa présence dans une rue passante, chacun poursuit son chemin sans vraiment prêter attention à la sculpture. © Himanshu Khagta / Getty Images
Des matériaux précieux sont utilisés pour rendre hommage à Gandhi. En effet, cette statue située à Port Blair, sur les îles Andaman, est entièrement couverte de feuilles d’or. © Darren Rob / Getty Images
Cette statue de Gandhi, placée à Marina Beach, à Chennai, est la première érigée en son honneur en 1957 par Jawaharlal Nehru. Elle dépeint l’homme pendant la Marche du sel. © Malcolm P. Chapman / Getty Images

LE RAPPORT QUASI SCHIZOPHRENE DES INDIENS AVEC GANDHI

Rien n’illustre mieux ce rapport quasi schizophrène des Indiens avec leur homme politique le plus célèbre que l’utilisation que font de son nom et de sa mémoire les hindouistes au pouvoir. CEs derniers furent accusés d’avoir été le véritable cerveau derrière l’acte perpétré par le meurtrier de Gandhi, Nathuram Godse par une soirée frisquette de janvier 1948. La légende veut que son acte commis, le tueur se soit incliné respectueusement devant l’homme qu’il venait d’abattre.

Godse est un dieu pour les hindouistes radicaux, qui tiennent Gandhi responsable de la partition de l’Inde. Certains de ses supporters sont allés jusqu’à ériger une statue à l’assassin. Plus récemment encore, pendant la dernière campagne électorale pour le scrutin législatif de mai 2019 remporté par les hindouistes, une candidate à la députation issue du parti d’extrême droite a qualifié Godse de «patriote », sans que pour autant sa formation entame une action disciplinaire contre elle.

Lors du procès des complices et de l’assassin de Gandhi, le 27 mai 1948. © Bettmann / Getty Images

Récupération politique des symboles gandhiens

« Cela n’empêche pas le gouvernement hindouiste au pouvoir à New Delhi d’organiser en grande pompe cette année le 150e anniversaire de la naissance de Gandhi, fait remarquer le vice-chancelier Sudarshan Iyengar. Ou encore de s’accaparer des symboles, notamment celui des lunettes qui ornent les publicités faites dans les médias autour de  la  Swaach Bharat Abhiyan, la campagne du Premier ministre Narendra Modi pour nettoyer les villes indiennes », détaille-t-il.

Nous assistons en ce moment à une vaste entreprise de récupération des symboles gandhiens,
affirme Sudarshan Iyengar, économiste et partisan gandhien.

Issu de la Rastriya Swayamsevak Sangh (RSS), la matrice idéologique du mouvement hindouiste, le Premier ministre indien ne rate pas la moindre occasion d’afficher sa nouvelle proximité avec les institutions gandhiennes. En 2017, ses hommes de main avaient même réussi à persuader les responsables de la « Khadi Village Industries Commission », chargée de promouvoir les industries rurales et l’artisanat, de remplacer sur leur calendrier de l’année la photo de Gandhi à l’œuvre sur son rouet par celle de Narendra Modi, tout de khadi vêtu. Les Gandhiens avaient alors crié au scandale, sans pour autant parvenir à faire interdire la publication du calendrier.

« Nous assistons en ce moment à une vaste entreprise de récupération des symboles gandhiens, prévient Sudarshan Iyengar. Le but est d’instrumentaliser ces symboles à des fins politiques et économiques. N’oubliez pas, au niveau international, Gandhi incarne l’Inde, notamment aux yeux des potentiels investisseurs étrangers dont dépend l’économie indienne. Il n’est nullement question de bousculer les habitudes mentales ni les préjugés, car il y va de la survie du gouvernement Modi. »

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