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Le 30 janvier 1948, Gandhi est assassiné à New Delhi par un fondamentaliste hindou. L’onde de choc pousse les Indiens à oublier leurs divisions et haines. Mais 71 ans plus tard, l’Inde est de nouveau confrontée à ses vieux démons.

Parti sur les traces de Gandhi en Inde, me voici arrivé à New Delhi, qui constitue la dernière étape de ma quête. Dans cette ville capitale, la présence du Père de la nation reste étroitement liée à son absence puisque c’est ici qu’il fut assassiné le 30 janvier 1948, quelques poignées de mois après l’accession de l’Inde à l’indépendance le 15 août 1947. Paradoxalement, la responsabilité d’organiser les festivités du 150e anniversaire de naissance de Bapu incombe à l’extrême droite hindouiste au pouvoir depuis cinq ans, celle-là même qui est soupçonnée d’avoir inspiré, sinon organisé, l’assassinat du Mahatma.

Pour l’historienne indienne Mridula Mukherjee, spécialiste du mouvement pour l’indépendance de l’Inde, il ne fait aucun doute que le meurtre du Père de la nation fut soigneusement préparé et financé par les officines hindouistes qui accusaient Gandhi de favoriser la minorité musulmane au détriment des hindous. « Les rapports d’enquête vont tous dans ce sens », affirme l’historienne. Pour Jawaharlal Nehru, le Premier ministre de l’Inde de l’époque, qui avait accès aux rapports des services de renseignement, loin d’être l’œuvre d’un cerveau dérangé, ce qui fut la thèse de l’extrême droite indienne, ce meurtre s’inscrivait dans un vaste complot hindouiste. L’objectif ultime des hindousites était de renverser l’État indien, rappelle la professeure Mukherjee. Pour atteindre ce but, l’extrême droite aurait prévu, comme Nehru l’avait écrit à l’époque dans sa lettre hebdomadaire aux chefs des provinces, une série d’assassinats visant des responsables politiques de premier plan. Cela aurait plongé le pays dans un chaos indescriptible et total et aurait permis aux hindouistes de prendre le pouvoir.

Gandhi et Nehru en 1947 pendant la crise des réfugiés. © Wikimedia Commons.

Aussi, l’historienne ne décolère-t-elle pas lorsqu’elle entend le Premier ministre Narendra Modi, issu du mouvement hindouiste, se réclamer de Gandhi à tout bout de champ. « Il pourrait au moins avoir la décence de reconnaître que Gandhi avait eu raison en préconisant la non-violence et l’harmonie entre les communautés, alors même que l’extrême droite appelait à son meurtre. »

« Gandhi Smriti », un musée hors du temps

Le 15 août 1947, Gandhi ne participa pas aux festivités de l’indépendance. Il préféra rester à Calcutta, qui était alors aux prises avec les troubles communautaires opposant hindous et musulmans. La présence physique du Mahatma suffit à calmer les ardeurs meurtrières de part et d’autre. Lorsque les réfugiés hindous en provenance du Pakistan commencèrerent à débarquer dans la capitale indienne, Nehru craignant de voir Delhi s’embraser à son tour, fit appel à Gandhi. Ce dernier accourut.

Gandhi avait alors 78 ans en 1947. Il s’installa à Delhi, à Birla House, la propriété d’un riche homme d’affaires indien. C’est dans cette maison qu’il fut assassiné, en se rendant à sa session quotidienne de prières œcuméniques, ouverte à tous. La maison est devenue, depuis, un musée où aujourd’hui des empreintes de pas en pierre dans le jardin marquent le chemin que Bapu a parcouru de sa chambre jusqu’à l’endroit où il fut abattu.

Le temps semble s’être arrêté à Birla House, rebaptisée depuis « Gandhi Smriti » (« mémoire de Gandhi »). Dans ce musée émouvant où plane la mémoire des derniers jours du Mahatma, j’ai la chance d’être guidé par l’arrière-petite-fille de ce dernier, Sukanya Bharatram. Celle-ci est la petite-fille de Devdas Gandhi, le plus jeune des quatre fils de Mohandas et Kasturba. Elle n’était pas encore née lors de la disparition de son célèbre aïeul, mais les circonstances de l’assassinat apprises de la bouche des membres de sa famille restent gravées dans sa mémoire telle une blessure psychique ancestrale.

L’entrée de Gandhi Smriti (anciennement Birla House), où Gandhi a été assassiné le 30 janvier 1948. © Tirthankar Chanda / RFI
Dans le jardin de la demeure devenue musée, une pierre sur laquelle on peut lire un texte de Gandhi intitulé « L’Inde de mes rêves ». © Tirthankar Chanda / RFI
Les empreintes de pas perpétuent le souvenir de la dernière marche du Mahatma vers la salle de prière. © Tirthankar Chanda / RFI
Le lieu de prière de Bapu à Gandhi Smriti. © Tirthankar Chanda / RFI
Dans la dernière demeure de Gandhi à Delhi, avec son arrière-petite-fille, Sukanya Bharatram. © Tirthankar Chanda / RFI
Cette pièce servait à la fois de bureau et de chambre au Mahatma pendant son séjour à Birla House. C’est sur ce lit que sa dépouille a été déposée juste après son assassinat. © Tirhankar Chanda / RFI

Gandhi, « co-auteur » de son destin funeste

L’histoire de la mort de Gandhi est connue, mais je demande quand-même à Sukanya de me la raconter, avec ses mots. Elle s’exécute avec grâce et solennité : « Le 30 janvier, retenu par son rendez-vous avec le ministre de l’Intérieur, Bapu était en retard pour sa prière du soir. À 17h15, avec un quart d’heure de retard sur son timing habituel, Gandhi sortit dans le jardin boisé de la Birla House. Appuyant ses bras sur les épaules de ses petites nièces, Manu et Abha, qui avaient coutume de l’accompagner, il emprunta le chemin vers la salle de prière. Soudain un homme surgit barrant le passage, avant de se baisser pour toucher les pieds de Gandhi. Comme Bapu n’aimait pas qu’on lui touche les pieds, Manu fit signe à l’homme de s’écarter. Il la repoussa, faisant tomber de ses mains le rosaire et le livre des prières. En s’agenouillant pour les récupérer, elle entend les quatre coups de feu tirés à bout portant. Gandhi s’effondre en murmurant le nom de Dieu. »

« Selon nos livres sacrés, quitter le monde en murmurant le nom de Dieu est la plus belle façon de mourir », explique Sukanya Bharatram. Et d’ajouter : « Chaque fois que je pense à la mort de Gandhi, je me souviens des mots de Nehru : ''La lumière de nos vies s’est éteinte''. Nous sommes condamnés à l’obscurité. ».

D’après les historiens, Gandhi s’attendait à une mort violente. Il avait compris que le pays était allé trop loin dans le chemin de la haine et qu’il fallait un sacrifice pour l’empêcher de sombrer dans la folie meurtrière.

« Sa mort était un cadeau que Gandhi a fait à l’Inde naissante, suggère Mridula Mukherjee. Elle a mis fin pour un temps aux tueries intercommunautaires qui ensanglantaient le pays depuis plusieurs mois. La paix que son assassinat inaugure va durer au moins dix ans, permettant au gouvernement de Nehru de se remettre au travail. » Le meurtrier, Nathuram Godse, ne pouvait imaginer qu’il allait pouvoir perpétrer sa basse besogne si facilement. Gandhi lui avait, d’une certaine façon, préparé le terrain, s’érigeant, comme l’a écrit un psychanalyste indien, en « co-auteur de son propre assassinat ».

Sa mort était un cadeau que Gandhi a fait à l’Inde naissante.
Mridula Mukherjee, historienne

Laissons le dernier mot à Tushar Gandhi, héritier et disciple du grand Mahatma. Conscient de son lourd héritage dont il s’est fait un défenseur enthousiaste, l’homme s’inquiète de la montée des forces obscurantistes dans le pays que son arrière-grand-père avait combattu jusqu’à son dernier souffle. Il s’interroge sur le devenir de l’héritage de son ancêtre dans le contexte de la prise de pouvoir par les fondamentalistes hindous qui veulent en finir avec la laïcité de Gandhi et de Nehru. « L’Inde est de nouveau confrontée à ses vieux démons communalistes mais, cette fois-ci, prévient-il, il n’y aura pas de Gandhi pour retenir le pays face au précipice de l’Histoire ».

Le chauffeur venu me chercher à Bombay au début de mon périple ne me disait pas autre chose.

La sépulture de Mahatma Gandhi, à Delhi, est devenue un lieu de pèlerinage pour de nombreuses personnes à travers le monde. © Tirthankar Chanda / RFI

À écouter

LA MARCHE DU MONDE
> Dans les pas de Gandhi
Par Valérie Nivelon