Les équipages sont arrivés à l’aube sur le tarmac de Toulouse Francazal. Dans les premières lueurs du matin, les carlingues lustrées nous rappellent l’imminence d’un grand départ. Les premiers échanges bruissent de souvenirs au-dessus de la Sierra Nevada, de traversées du Sahara, de conseils sur l'atterrissage à Tarfaya. Ceux qui n’ont encore jamais fait le trajet, l’ont rêvé mille fois, en lisant Saint-Exupéry, en s’instruisant sur l’histoire de l’aviation ou en s’inspirant du destin aventureux de ces pionniers des airs, déjà centenaires. Participer au Raid Latécoère-Aéropostale, c’est un peu comme entrer en pèlerinage. Il y a l’attente, la préparation, l’équipement mais surtout le plan de vol, le chemin. Les pèlerins du monde entier le savent bien et le répètent tel un mantra: “Ce qui compte c’est le chemin, pas l’arrivée”. Mais comment, en 1918, alors que le vieux continent vient de vivre une de ces pires tragédies, des hommes se sont lancés dans une telle aventure? Au sortir de la Grande Guerre, l’Europe panse ses plaies, l’heure est à la reconstruction et à la reconversion. L’aviation, jusque-là réservée au domaine militaire, est en plein essor et l’enjeu économique d’une poste rapide et moderne devient primordial.
Les As de l’aviation, eux, cherchent de nouvelles raisons de s’envoler. Retraités avant l’heure, ils ne supportent pas la vie au sol. Et c’est justement de pilotes prêts à repousser les limites de l’aviation dont a besoin Pierre-Georges Latécoère, père de la Ligne. A l’époque, les premières lettres qu’on échangeait mettaient des semaines à arriver en Afrique, par bateau. Pierre-Georges Latécoère, industriel et entrepreneur français, a basé son entreprise familiale à Toulouse. Il imagine ouvrir des routes aériennes pour transporter le courrier en quelques jours de la France au Maroc, puis au Sénégal et plus tard jusqu’au Chili.
A ceux qui l’interrogeaient, ce jeune ingénieur ambitieux d’à peine 30 ans répondait :
Pierre-Georges Latécoère
Les lettres prennent le relais des bombes et les soldats deviennent des postiers du ciel.
En 1918, tout commence au “Royal Cambouis”, surnom donné aux hangars Latécoère installés à Toulouse Montaudran. C’est là que les pilotes de la Ligne, parmi lesquels Saint-Exupéry, Guillaumet ou Mermoz, ont connu leur période d’initiation. Avant de voler, il fallait plonger les mains dans le moteur, apprendre l’avion et la compagnie. C’est là aussi qu’étaient fabriqués les avions : le Salmson (un engin pour le front), le Bréguet XIV (l’avion mythique de la Ligne) puis des versions améliorées comme le Laté 25, un monoplan à aile parasol, celui-là même que Mermoz a dû poser en urgence dans la cordillère des Andes le 9 mars 1929 au cours d’un vol de reconnaissance vers l’Argentine.
Il y a tout juste un siècle, le 25 décembre 1918, Pierre-Georges Latécoère et le pilote René Cornemont rallient donc Toulouse à Barcelone et inaugurent la première liaison de la Ligne à bord d’un Salmson 2A2.
Aujourd’hui, à Toulouse, il ne reste qu’une infime partie du site historique, depuis lequel s’envolaient les pilotes vers l’Afrique. L’ancienne piste de deux kilomètres de long est classée monument historique sur 400 mètres et traverse des logements sociaux construits en 2010. Le bureau d’études ou l’immense hangar ont été abandonnés, squattés. La mairie a entrepris de restaurer les lieux. En décembre 2018, un site culturel nommé “La Piste des Géants” doit voir le jour, conçu autour de la mémoire de l’aéronautique.
Préserver la mémoire des lignes Latécoère-Aéropostale c’est aussi l’objectif d’Hervé Bérardi, pilote de ligne et président de l’association du même nom. Il organise le raid chaque année depuis 12 ans. C’est un homme passionné, habité par l’idée que l’avion est un trait d’union entre les populations.
A l’occasion du centenaire du premier vol de la Ligne, il milite pour l’inscription de la ligne Aéropostale au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.
Hervé Bérardi, président du raid Latécoère-Aéropostale
27 septembre 2018 : Jour J pour le Raid Latécoère-Aéropostale. L’histoire peut continuer à s’écrire dans le ciel de Toulouse. Cinquante avions, Cessna, Piper, Cirrus décollent les uns après les autres et Thierry Roz, chef pilote du raid, organise le spectacle. Depuis le départ jusqu’au retour à Perpignan, il va coordonner pendant trois semaines, les vagues successives d’avions. Il y en a quatre : Alpha, Bravo, Charly, Delta.
À bord, les équipages sont constitués d’amateurs, adhérents à un aéroclub, d’anciens pilotes professionnels ou de vieux copains des airs qui n’en finissent pas d’emmagasiner les anecdotes aux grés des vols. Là, une famille vole à bord du plus vieil avion du raid, un Bonanza de 1954. Ici, un équipage entièrement féminin. La trentaine de femmes qui participent à ce raid est fière de prouver à ces messieurs que le ciel ne leur est pas réservé. Tous ont un infini respect pour les pilotes d’antan qui jouaient leur vie à chaque escale. Aujourd’hui, les conditions de vol demeurent toujours éprouvantes même si les machines ont énormément évolué en cent ans. Et aujourd’hui, chaque équipage doit débourser entre 10 et 15 000 euros pour suivre ce raid.
Il est 16h, le dernier avion a décollé, l’aventure peut commencer…