4. Saint-Louis : l’envol vers l’Amérique du Sud
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Avant le Sénégal, la traversée du Sahara occidental et de la Mauritanie.

En contrebas, quelques villages de pêcheurs parsèment la côte qui s'érode de manière inquiétante. Ces habitations de fortune, comme posées en équilibre sur le rebord du monde, interpellent Raphaël Domjan, écoexplorateur moderne d’origine suisse et parrain de cette édition du raid. Il a réalisé le premier tour du monde en bateau solaire et rêve un jour de voir le raid voler à l’énergie solaire. L’impact écologique d’une telle entreprise sportive et mécanique se pose à tous.

De Toulouse à Dakar, sur la Ligne en Afrique

Après avoir survolé le Sahara occidental, territoire insoumis, hier comme aujourd’hui, Thierry Roz survole la splendide baie du Lévrier, où s’étale un camaïeu de bleu. Au loin se profile la piste de l’aérodrome de Nouadhibou, anciennement Port-Etienne à l’époque de l’Aéropostale. Aujourd’hui, c’est la capitale économique de la Mauritanie. Les eaux poissonneuses ont attiré, après les Européens, les Japonais et les Chinois, ces derniers étant la communauté étrangère la plus importante à Nouadhibou.

Au pied de l’aérodrome, une hélice de Laté 25 fait figure de monument. Une plaque commémorative nous renseigne :

Le 2 juin 1925, les pilotes Georges Drouain et Émile Lécrivain et le mécanicien Jean Lavadalie à bord de deux Breguet XIV des lignes aériennes Latécoère font escale à Nouadhibou (ex Port-Etienne) inaugurant ainsi la première liaison commerciale aérienne Casablanca-Dakar

Cette année-là, la Ligne compte 108 pilotes et 250 mécaniciens pour livrer le courrier. Quelques mois plus tôt, elle a acheminé 3 millions de lettres entre la France et l’Afrique. Cent ans plus tard, en Mauritanie, les souvenirs du passage des équipages des lignes aériennes Latécoère et du courrier ont été balayés par le sable.

Ce matin sur le tarmac, il fait déjà une chaleur écrasante. Enfin, la vague Alpha, celle des avions les plus rapides du raid, peut décoller. À bord de Québec Novembre, l’avion de Thierry et Catherine, on survole le désert épais et brûlant du Sahara vers Dakar. Il fait 48 degrés dans la cabine. Sous nos yeux, le Banc d’Arguin. Splendide. L’océan embrasse le désert. Thierry prend de l’altitude pour refroidir l’appareil et sortir du nuage de sable qui se forme. “Cette année, nous avons de la chance avec la météo, l’année dernière, la Mauritanie était une vaste tempête de sable. Les vols étaient compliqués et nous n’avons rien vu des paysages.”

Survol d’un village de pécheurs sur la côte africaine de l’océan Atlantique © Julien Masson
Sur le tarmac de La Ayoune au Sahara occidental, grâce à des pompes manuelles, l’équipe de l’avion-ouvreur refuele tous les avions © Julien Masson
Survol du Sahara occidental © Julien Masson
Arrivée à Dakhla pour refueler avant de reprendre la route vers Nouadhibou en Mauritanie © Julien Masson
Les équipes de l’aéroport apportent des bidons de 200 litres de fuel aux équipages du raid Latécoère-Aéropostale © Julien Masson
À l’aube, sur le tarmac de Nouadhibou, Jean-Louis, Catherine et Hervé, font un point avant de décoller pour le Sénégal © Julien Masson
Survol de la baie du Lévrier à Nouadhibou, en Mauritanie © Julien Masson
Entre Dakar et Saint-Louis, on croise plusieurs villages de pêcheurs installés sur la côte © Julien Masson
Cyrille Delame se penche sur le trajet du retour © Julien Masson
Une jeune fille du foyer La Liane qui accueille tous les ans les pilotes le temps d’un déjeuner © Julien Masson

Le fleuve Sénégal délimite la frontière avec la Mauritanie. Son embouchure est gigantesque. En quelques minutes de vol, la température baisse, on survole une réserve verte, de nombreux villages de pêcheurs et le Lac rose. Après deux nuits à Dakar, Saint-Louis marque la dernière étape du raid avant de remonter en Europe avec des escales différentes. C’est l’aboutissement de la ligne africaine, le “point de chute de la trajectoire”, écrit Kessel.

Saint-Louis du Sénégal est une ville atypique. À califourchon sur le fleuve Sénégal, une partie de la ville est coincée sur une bande de sable large de quelques centaines de mètres inexorablement attaquée par l’océan. Une autre s'étend sur l’autre rive, tandis que le centre historique est posé sur une île. Pourquoi Saint-Louis devint cette escale indispensable à l'acheminement du courrier ? Outre sa position géographique privilégiée pour s’élancer vers l’Amérique du Sud, Saint-Louis est une ville où la France est implantée depuis plusieurs siècles. D’abord simple comptoir commercial établi par des marins de Normandie, elle est la première ville africaine bâtie par des Européens dès 1659. Dans cette conquête permanente de la France, la ville s’impose à la fin du 19e siècle comme capitale de l’Afrique-Occidentale Française. Et Saint-Louis est un lien entre l’Europe et l’Amérique du Sud.

Jean-Jacques Bancal, saint-louisien, métisse franco-sénégalais d’une soixantaine d’années, a toujours entendu parler de l’Aéropostale avec émotions ici, que ce soit par des vieux pilotes ou des témoins du passage des avions.

L’arrivée du courrier, de Mermoz et de tous les pilotes, c’était un événement. Quand le courrier partait, on hissait un drapeau sur la Poste et les gens courraient dans les maisons pour récupérer les lettres et les apporter à l’avion. A Saint-Louis, on faisait partie des premiers à être reliés par un courrier postal.
Jean-Jacques Bancal, saint-louisien franco-sénégalais

Des traces de cette histoire de l’Aéropostale il y en a certainement disséminées un peu partout dans les villes escales, mais le temps qui passe les a pour beaucoup effacées et les témoins du passage des avions ont disparu.

C’est à Saint-Louis que la mémoire semble aujourd’hui la plus vivante. Comme au musée Jean Mermoz, installé depuis 2005 dans les locaux du Syndicat d’Initiative à la Gouvernance de Saint-Louis, grâce à un partenariat avec l’association Mémoire d’Aéropostale de Toulouse. Le guide Abdullah s’applique à décrire chaque iconographie, chaque maquette d’avion dans les deux petites pièces qui composent le musée. En face se dresse le célèbre Hôtel de la Poste où Mermoz résidait dans la fameuse chambre 219. Véritable galerie à ciel ouvert, les murs de l’hôtel sont couverts d’affiches, de lettres, de photographies de pilotes et de vieux avions.

Quand on descend le fleuve Sénégal, quatre kilomètres plus loin, en passant par Guet-Ndar, le quartier populaire des pêcheurs, on arrive à l’hydrobase depuis laquelle les appareils pouvaient prendre leur élan sur les eaux calmes de la lagune. C’est là qu’en 1930, Jean Mermoz, Jean Dabry et Gimié se sont élancés pour la première traversée de l’Atlantique Sud vers Natal au Brésil. Avec 130 kilos de courrier à bord. Sur une distance de 3 173 kilomètres pour 21 heures de traversée. Un nouveau record du monde de distance en ligne droite.

En fin d’après-midi, on arpente ce bout de quai avec l’équipage du Broussard, un vieux zinc des années 1950, entretenu par l'association des Ailes Limousines. C’est le point ultime du pèlerinage des équipages du raid.

Hydrobase de Saint-Louis : l’envol vers l’Amérique du Sud

Le fleuve s’écoule lentement, traînant quelques pirogues dans son sillage. D’ici, on tourne déjà le regard vers l’Amérique du Sud. C’est de l’autre côté de l’Atlantique que l’aventure va se poursuivre, avec une nouvelle géographie à dompter : la Cordillère des Andes. Henri Guillaumet a dû procéder à un atterrissage forcé en 1930 et après six jours de marche dans le froid et la neige, il confie à son camarade : “Ce que j’ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait.”

Le maillage du continent sud-américain - Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay, Venezuela, Chili - va rapidement se renforcer. C’est également le défi des vols de nuit, véritable révolution à l’époque. Finalement, en 1933, l’Etat va racheter les actifs de la société Aéropostale lors du regroupement des lignes aériennes pour créer la compagnie Air France. C’est la fin de ce qui fut, sans aucun doute, la plus grande aventure de l’aviation.

Aujourd’hui, à l’heure de l’internet, des emails, des SMS et des vols long-courriers, les échanges sont partout. La bravoure des pionniers, illustres ou anonymes, tombés pour que passe le courrier (un mort tous les 100 kilomètres nous dit la légende) peut sembler bien désuète, lointaine voire romantique. Cependant, l’esprit d’initiative, de camaraderie et de dépassement qui les animait, lui, demeure. Il est à trouver désormais chez des aviateurs explorateurs d’énergies nouvelles comme Raphaël Domjan, Loïc Blaise ou Raphaël Dinelli, tous les trois invités sur le raid en 2018. Car aujourd’hui, il ne s’agit plus d’ouvrir de nouvelles voies aériennes, mais de trouver des solutions durables pour que l’homme puisse continuer à voler.

Le Petit Prince de Saint-Exupéry continue d’inspirer pilotes et voyageurs © Julien Masson