Chronologie des évènements
Chapitre 1 - Reconstruire un état failli

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Après deux ans et demi de crise, la Centrafrique s'efforce de se remettre debout. La tâche est immense. Il faut faire taire les armes. Reconstruire l'Etat. Réconcilier des populations qui se sont déchirées. Faire rentrer ceux qui ont fui. Le forum de Bangui a essayé de diagnostiquer les problèmes. Un accord de désarmement a été signé. Dans cette période charnière, des solutions peuvent être mises en oeuvre. Mais le pays peut aussi basculer de nouveau.

1 | Le forum de la réconciliation

Ils sont venus de tout le pays, de la diaspora, des camps de réfugiés. Près de 700 délégués ont convergé vers Bangui pour le forum de réconciliation qui s’est tenu du 4 au 11 mai 2015. Une semaine pour mettre à plat les problèmes du pays. Une impossible course de vitesse. Quatre groupes thématiques se sont efforcés d’écouter les récits, les demandes et les doléances des participants. Ils ont travaillé sur la Gouvernance, la Paix et la Sécurité, la Justice et la Réconciliation, le Développement économique et social.

« Le Forum national de Bangui a été qualifié par tous comme une rencontre de la dernière chance pour le Peuple Centrafricain. Et cette dernière chance, nous l’avons saisie pour parler, pour nous parler franchement, fraternellement. »
Catherine Samba Panza, présidente de transition lors de son discours de clôture du forum de Bangui,
lundi 11 mai 2015

De ces échanges sont sortis des dizaines de recommandations que la présidente de transition, Catherine Samba Panza s’est engagée à appliquer. Le forum a vu la signature par les groupes armés d’un accord de DDR (Désarmement, Démobilisation, Réinsertion) et l’adoption, par l’ensemble des participants, d’un pacte républicain. Mais beaucoup de participants se sont plaints de la brièveté des temps de parole et de la sélectivité des présidents de séance. Le symbole du forum de réconciliation a par ailleurs été entaché, avant même la fin de la cérémonie de clôture, par le coup de colère de combattants anti-balakas et sélékas qui ont lancé des grenades et tiré des coups de feu devant le bâtiment du Conseil national de transition. Des barrages sont réapparus en différents points de Bangui.



2 | Une administration à terre

Il ne restait déjà plus grand-chose de l’État centrafricain avant la crise. Mais l’armée en déliquescence s’est totalement effondrée à la chute de François Bozizé. Et l’installation de la Seleka dans le pays a achevé la mise à terre des services publics encore debout début 2013. Selon une étude du PNUD , trois quarts des bâtiments des préfectures et huit sous-préfectures sur dix ont été partiellement ou totalement détruits.

Aucune administration ni service public n’est épargné. Police, gendarmerie, justice, éducation, santé, tous les symboles de l’État ont été pris pour cible, pillés, ou détruits. Les dossiers et archives sont détruits ou sont inexploitables.

Sur les 113 gendarmeries recensées dans le pays, 68% nécessitaient une réfection totale ou partielle à l’été 2014.

Les trois quarts des commissariats de police étaient dans le même cas. Plus de la moitié des tribunaux et des maisons d’arrêt avaient besoin d’être totalement réhabilités. Enfin, la moitié des établissements scolaires ont été fermés ou détruits.

Sur le plan financier, dès l’avènement de la Seleka, l’État centrafricain a été privé de l’essentiel de ses recettes douanières et fiscales. Sans fonctionnaires pour collecter l’impôt, l’argent ne rentrait plus dans les caisses. Mais surtout les recettes de l’exploitation des diamants, de l’or et des forêts alimentaient de manière directe ou indirecte les chefs locaux Seleka.

Avec le changement de chef d’État de transition, les bailleurs internationaux se sont montrés davantage enclins à aider Bangui. Fin janvier 2014, ils ont promis près d’un demi-milliard de dollars d’aide à la République centrafricaine. Aide humanitaire, mais aussi budgétaire pour l’année 2014 : 177 millions de dollars ont été destinés en priorité à verser les salaires de la fonction publique.

Les bailleurs de fonds internationaux demeurent de très loin la première source de financement de l’État centrafricain. Mais les autorités de transition ne cessent de plaider pour une levée de l’embargo sur les diamants imposé par le Processus de Kimberley , afin d’obtenir une source précieuse de recettes douanières.



3 | Reprendre le contrôle du territoire

Dans le courant de l’année 2014 et au début de l’année 2015, les autorités de transition ont progressivement essayé de réinstaller leurs fonctionnaires dans les villes de province dans le sillage des casques bleus de la Minusca . Si le redéploiement des fonctionnaires dans les préfectures de l’ouest de la Centrafrique s’est déroulé sans grand problème, il a posé davantage de problèmes dans l’Est, en particulier dans des villes réputées être des bastions de l’ex-Seleka. Bria, notamment, a été en février 2015 le théâtre d’affrontements entre les forces internationales (Sangaris et Minusca) et un groupe de combattants de l’ex-Seleka pour la reprise des édifices publics (RCA : des affrontements à Bria font plusieurs morts).


« Je n’ai jamais vu les habitants d’une ville applaudir autant la venue de leur percepteur des impôts. »
Un membre de la délégation présent à Bria. Février 2015





A Bria, l’ambassadeur de France à l’ONU, François Delattre, passe en revu le contingent cambodgien de la Minusca,
RCA, le 11 mars 2015.
© RFI/Pierre Pinto


Dix jours après la reprise des bâtiments administratifs, une délégation officielle a fait le voyage à Bria pour appuyer le retour des fonctionnaires. En mars, ce sont les ambassadeurs du Conseil de sécurité des Nations unies qui se sont rendus à Bria pour saluer ce retour formel de l’administration dans la ville ([Reportage] Centrafrique : à Bria, une autorité à restaurer). Les quelques fonctionnaires qui ont accepté de revenir sur place ont cependant peu de moyens pour travailler.

Autre épisode symbolique orchestré par les autorités de transition, le redéploiement en mars 2015 de l’administration à Ndélé dans le nord-est du pays ([Reportage] RCA : les habitants de Ndélé veulent rompre l'isolement ). En mars 2015, quinze préfets avaient regagné leurs préfectures, une cinquantaine des 71 sous-préfets avaient repris leur fonction.



4 | La police et la justice renaissent

La lutte contre l’impunité est l’un des grands axes affichés de la politique des autorités de transition. Elle passe par la relance de la machine judiciaire et par la réhabilitation des Forces de sécurité intérieures (police et gendarmerie). À Bangui, les trois brigades de gendarmerie et les commissariats de police des huit arrondissements rouvrent progressivement et sont supposés être tous opérationnels d’ici fin 2015. Selon le PNUD , environ 500 policiers centrafricains étaient opérationnels à Bangui ([Reportage] RCA: le retour de la police dans les rues de Bangui)en février 2015. Les patrouilles sont de plus en plus visibles dans les rues de la capitale. Les contrôles routiers se multiplient.



Des policiers en patrouille à Bangui. ©AFP/Pacome Pabandji


Mais si la capitale connaît une amélioration sécuritaire depuis quelques mois, elle doit toujours faire face aux activités criminelles à grande échelle menées par des éléments armés. Activités criminelles qui se traduisent en général par des braquages de véhicules avec violence. Pour lutter contre ce phénomène, les FSI ) - toujours accompagnées de policiers onusiens - mènent des opérations de contrôle des véhicules dans les quartiers posant problème.



En province, les gendarmeries rouvrent également à mesure que l’État centrafricain se réimplante localement. Mais les effectifs restent très bas et l’armement est un véritable problème. Les FSI, comme les militaires, pâtissent de l’embargo sur les armes qui pèse sur la Centrafrique.

Côté justice, les assises ont repris. Et l’on assiste depuis la fin de l’année 2014 à la multiplication des arrestations de personnalités emblématiques au sein des groupes armés tels que Emotion Brice Namsio, porte-parole des anti-balaka ; Rodrigue Ngaibona alias « Général » Andilo, chef d’un groupe anti-balaka soupçonné de nombreuses exactions ; Ousmane Mahamat Ousmane, 2e vice-président du FPRC, l’une des trois fractions de l’ex-Seleka, ou même Romaric Vomitiadé, ministre du Tourisme, condamné en avril 2015 pour viol sur mineure. Saisissant souvent l’opportunité d’un port d’armes illégal, les autorités judiciaires centrafricaines veulent faire passer un message. En frappant haut, elles entendent faire peur aux petits criminels qui mettent Bangui en coupe réglée.

Un anti-balaka arrêté à Bangui, dans le quartier PK12. ©AFP/Issouf Sanogo


Les autorités de transition coopèrent par ailleurs activement avec la Cour pénale internationale. Saisi par les autorités de transition, le bureau du procureur de la CPI a ouvert en septembre 2014 une enquête préliminaire sur les crimes commis en RCA depuis août 2012. « La CPI fait l’effet d’un épouvantail aux leaders de groupes armés », confie d’ailleurs un diplomate à Bangui. Mais pour juger la masse d’exactions commises durant cette crise centrafricaine, les autorités de transition ont créé une Cour pénale spéciale, un tribunal mixte composé pour moitié de magistrats centrafricains, et pour moitié de juges étrangers.



Le 3 juin 2015 les autorités de transition promulgue la loi créant la Cour Pénale spéciale, qui doit maintenant être mis en place et sera composé de 27 magistrats dont 14 Centrafricains et 13 juges internationaux. Un tribunal qui aurait une durée de cinq ans renouvelable et serait intégré au système judiciaire centrafricain. Cette cour sera installée à Bangui. Elle appliquera le droit centrafricain. Elle sera chargée de poursuivre les auteurs présumés des crimes les plus graves depuis 2003. Que ce soit les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et d’autres violations des droits de l’homme.

La cour s’appuiera pour ses enquêtes sur une Unité spéciale de police judiciaire. Mais la police classique pourra, elle aussi, lui fournir des éléments, tout comme la Minusca .

En ce qui concerne les moyens à sa disposition, le texte reste vague. Les locaux qui accueilleront cette future cour pénale spéciale seront à la charge des autorités centrafricaines et pris en charge dans le budget de l’État. Pour ce qui est du reste du budget de la Cour, il sera à la charge de la communauté internationale, notamment au moyen de contributions volontaires. Y compris une participation de la Minusca .

L’une des difficultés rencontrées par les forces internationales et les autorités centrafricaines dans cette lutte contre l’impunité est le manque de lieu de détention. À Bangui, par exemple, la prison centrale de Ngaragba est déjà pleine. La prison de Bimbo est dédiée à l’incarcération des femmes.

La Minusca et les autorités de transition envisagent de remettre en état la prison du Camp de Roux pour y enfermer, à terme, les auteurs de crimes les plus graves.



Pour aller plus loin :
Réécouter BANGUI : vivre avec les braquages, Grand Reportage, avril 2015 par Pierre Pinto


5 | Les forces armées centrafricaines

La restauration des Forces armées centrafricaines porte une tache originelle indélébile. En février 2014, un homme perçu comme un musulman est lynché par des militaires en pleine rue, juste après une cérémonie de remobilisation des Forces armées présidée par Catherine Samba-Panza. Dès lors, la remise en ordre des forces de défense s’avèrera compliquée, et suscitera la méfiance de la communauté internationale. « […] On a estimé que les FACA ne répondaient pas aux standards professionnels, que c’était une armée très ethnicisée qui ne répondait pas aux critères de compétence, qu’elle n’était pas républicaine, qu’elle a vécu beaucoup de chocs et qu’il fallait la restructurer », expliquait Catherine Samba-Panza à RFI le 24 mars 2015.

Au fur et à mesure que la crise s’aggrave fin 2012 début 2013, les FACA se volatilisent, jusqu'à leur évaporation totale en mars 2013, lors de la prise de Bangui par la Seleka. On retrouve des membres des FACA parmi les Seleka. Quand émerge le mouvement anti-balaka, beaucoup de militaires viennent en grossir les rangs et prendre les postes de commandement.



Les Forces armées centrafricaines (Faca) en opération en 2013.
© AFP/Fred Dufour


Mais en 2014, les soldats en quête de légalité regagnent les rangs de l’armée petit à petit. Tous les matins après le lever du jour, des militaires rejoignent par leurs propres moyens le camp Kassaï pour assister à la prise d’armes quotidienne. Aujourd’hui, l’armée centrafricaine compte 7 500 hommes recensés qui s’entraînent chaque jour, sans arme.

Début 2015, Catherine Samba-Panza a officiellement reconstitué ce qu’elle projette d’être l’embryon de la future armée : un bataillon d’intervention territorial, fort de 450 hommes.



Le 5 février 2014, lors d’une cérémonie officielle de restauration de l’armée, un homme est lynché par des soldats qui le croyaient musulman.
© AFP/Issouf Sanogo


Mais le principal problème auquel se heurtent les autorités de transition dans leurs projets de réhabilitation des Forces de défense et de sécurité est l’embargo sur les armes qui pèse sur le pays. En mars 2015, la résolution 2 196 du Conseil de sécurité des Nations unies a assoupli les restrictions. Elle a introduit quelques exceptions destinées à aider le processus de reconstitution des FACA. L’embargo, par exemple, ne s’appliquera plus « aux livraisons d’armes et autres matériels létaux destinés aux forces de sécurité centrafricaines dans le seul but d’appuyer la réforme du secteur de la sécurité ou d’être utilisés dans ce cadre, qui auront été approuvées à l’avance par le Comité (des sanctions, ndlr) ».



6 | Objectif élections

C’est la raison d’être, l’alpha et l’oméga de la transition. L’organisation des élections législatives et présidentielle, précédées d’un référendum constitutionnel. Elles marqueront la fin de cette parenthèse politique. Fin qui d’ailleurs a été reportée plusieurs fois. Les partenaires de la CEEAC (Communauté économique des États de l’Afrique centrale) ont accepté de prolonger de nouveau la transition jusqu'au 31 décembre 2015. Les élections devant se tenir avant cette date.

Le 19 juin 2015, l’Autorité nationale des Élections (ANE) annonce pour la première fois un calendrier : le référendum constitutionnel le 4 octobre ; le premier tour couplé des législatives et de la présidentielle le 18 octobre ; le second tour le 22 novembre. Le recensement des électeurs devant débuter le 27 juin et durer un mois. Mais ce calendrier se heurtera à un certain nombre de problèmes. D’abord il manquait toujours à la date de l’annonce du calendrier, près de la moitié du budget dévolu aux élections, soit 18 millions de dollars. L’ANE en charge de l’organisation de tout cela manque de moyens en personnel et en matériel.

L’insécurité persiste dans plusieurs zones du pays et pourrait compliquer les opérations de recensement, d’acheminement du matériel, ainsi que la tenue des scrutins. Les autorités de transition subissent la pression de leurs partenaires internationaux pour que les élections se déroulent bel et bien avant la fin de l’année. Elles veulent aussi que ce rendez-vous avec les urnes se tienne sur l’ensemble du territoire, ainsi que dans les sites de réfugiés dans les pays voisins où se trouvent toujours 400 000 personnes.

Quoi qu’il en soit, ces élections représentent un espoir pour un grand nombre de Centrafricains de tourner enfin cette dernière page sombre de leur histoire, qui a commencé à s’écrire en 2012.





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